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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 5

L'ascension des Asiatiques en musique classique

Par Denise Lai / 9 février 2004

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De nos jours, il n'est pas rare de voir des musiciens d'Asie en concert. Leur récent succès est cependant remarquable. Le 64e Concours de l'Orchestre symphonique de Montréal, en novembre dernier, a été notable non seulement parce que le gagnant était un Sino-Canadien, Ang Li, mais aussi parce que quatre des six lauréats dans les diverses catégories d'âge étaient des Canadiens d'origine asiatique.

Les Orientaux ne représentent que 5,8 % de la population canadienne, mais ils forment le groupe le plus important des minorités visibles du pays (43 %). Très présents partout au pays, ils excellent dans divers domaines, notamment en sciences et en génie.

Le nombre d'Asiatiques qui font carrière en musique classique est en forte croissance, Chinois et Coréens au premier rang. Le violoniste Young-Dae Park, né en Corée, vétéran de 25 ans à l'Orchestre symphonique de Toronto (TSO) et répétiteur de violon au Toronto Symphony Youth Orchestra (TSYO), se rappelle qu'il n'y avait que deux autres Asiatiques dans toute l'école lorsqu'il étudiait au Royal Conservatory of Music, dans les années 1960. À la seule Glenn Gould Professional School (GGPS), l'on compte actuellement 18 étudiants de pays asiatiques -- sans compter les Canadiens d'origine orientale. Selon Jenny Regehr, juge en piano au Royal Conservatory of Music et également enseignant à la GGPS, le nombre d'étudiants asiatiques qui passent leurs examens a augmenté depuis une dizaine d'années. Et il ne manque pas de musiciens asiatiques dans les orchestres canadiens. Park souligne que « plus de la moitié des musiciens de la section des cordes dans le TSYO sont maintenant des Asiatiques, dont 80 % sont des Coréens ».

Suivant l'idée reçue voulant que les Asiatiques excellent dans les sciences plutôt que dans les arts, Yo-Yo Ma, Midori et Sarah Chang seraient des anomalies dans le monde de la musique. Or, le résultat récent du 64e Concours de l'Orchestre symphonique de Montréal vient réfuter cette conclusion. Citons d'autres exemples : les meilleurs artistes dans les catégories du piano et du violon du dernier Festival de musique Kiwanis étaient surtout des Asiatiques; les deux derniers médaillés d'or du prestigieux Honens International Piano Competition de Calgary étaient des Chinois ; depuis cinq ans, les premiers violons du TSYO ont été des Asiatiques.

Des étudiants sérieux et disciplinés

Le fait que les Asiatiques excellent de plus en plus en musique s'explique en partie par la culture. Les Asiatiques ont une réputation d'étudiants sérieux à la solide éthique de travail, capables d'une grande discipline. L'influence des parents nourrit cette attitude et cette volonté de faire des progrès. Les parents asiatiques encouragent leurs enfants à étudier la musique à un jeune âge afin de les aider à devenir des adultes complets et disciplinés. Comme les leçons de musique coûtent cher et sont vues comme un privilège de l'élite riche et cultivée, les parents asiatiques prennent très au sérieux l'éducation musicale de leurs enfants. Notamment, ils les accompagnent davantage à leurs leçons et ils insistent pour qu'ils travaillent régulièrement à la maison. Les parents les plus ambitieux, encouragés par le succès des virtuoses célèbres comme Midori, prêtent même du potentiel d'enfant prodige à leurs rejetons. Parfois, certains transmettent à leurs enfants leurs rêves non réalisés. Ce fut le cas de la violoniste Sydney Chun, l'un des nouveaux membres du TSO. Sa mère jouait du piano dans sa Corée native, mais regrettait de n'être pas devenue professionnelle. Chun estime que sa mère a grandement influencé sa décision de faire carrière comme musicienne. Elle reconnaît également avoir été encouragée en ce sens par le nombre croissant de modèles d'origine asiatique -- particulièment Kyung-Wha Chung.

La médecine, le droit et le génie d'abord

Assez étrangement, bien que les parents asiatiques inscrivent leurs enfants à des cours de musique, ils voient plutôt cette discipline comme une activité extrascolaire plutôt que comme un éventuel choix de carrière. Alors que la médecine, le droit et le génie sont considérés comme des professions respectables, un diplôme en musique n'est pas vu comme une « véritable éducation » -- une autre illustration du fameux pragmatisme oriental. « Il y a un certain degré de sexisme, ajoute Mme Chun. Les parents asiatiques encourageront leurs fils à devenir médecins ou avocats, mais leurs filles à devenir musiciennes. » Young-Dae Park fait la même observation, soulignant qu'il y a beaucoup plus de musiciennes que de musiciens asiatiques dans les orchestres.

Le fait d'appartenir à une minorité visible dans le monde de la musique présente-t-il des défis particuliers aux Asiatiques? Park et Chun, tous deux des musiciens aguerris, affirment qu'ils n'ont jamais souffert de discrimination en raison de leur origine ethnique. Amy Park (sans parenté avec Young-Dae), une étudiante en 11e année née en Corée et actuel premier violon au TSYO, espère poursuivre des études de musique en interprétation. « Il existe certainement de nombreux obstacles [à la poursuite de la musique comme carrière], dit-elle, mais ils ont peu à voir avec le fait d'être asiatique. » Elle croit cependant que les parents asiatiques transmettent à leurs enfants l'idée qu'ils doivent se dépasser parce qu'ils appartiennent à une minorité visible. Selon Andrew Kwan, un agent d'artistes qui représente de nombreux musiciens asiatiques, « le marché de la musique classique ne fait place au favoritisme pour aucune culture ». Il ajoute qu'Asiatiques et non-Asiatiques font face aux mêmes défis quand vient le temps de percer dans l'industrie. D'autres, par contre, estiment que le fait d'être asiatique comporte ses avantages. Selon Philip Chiu, un étudiant chinois en 2e année de piano à la GGPS, « certains professeurs peuvent penser que les Asiatiques sont de meilleurs étudiants parce qu'ils travaillent davantage ». Jenny Regehr hésite à approuver une telle généralisation, mais elle observe qu'en effet, les étudiants venant d'Asie ont habituellement une tradition de respect envers leurs professeurs et suivent plus volontiers leurs conseils.

Il demeure néanmoins que des stéréotypes sont associés aux musiciens asiatiques. Indubitablement, ces derniers tendent à favoriser le piano et le violon, les Chinois étant vus comme les meilleurs pianistes et les Coréens, comme les meilleurs violonistes -- comme le montrent respectivement Lang Lang et Sarah Chang. Cette généralisation peut être due au fait que les répertoires de musique classique les mieux connus sont écrits pour le piano et le violon, ce qui confère un certain prestige à ces instruments. En outre, pour les parents qui veulent que leurs enfants apprennent la musique à un jeune âge, ces instruments s'y prêtent mieux : il serait plus difficile pour un jeune enfant d'apprendre à jouer et donc à tenir le trombone. Ce n'est donc pas un hasard si la méthode Suzuki a été inventée par un musicien asiatique (un Japonais) qui l'a d'abord conçue pour le violon.

Un préjugé à combattre

L'un des préjugés les plus répandus au sujet des Asiatiques en musique classique concerne peut-être le talent artistique. Tout comme les Asiatiques sont jugés plus susceptibles d'exceller dans les sciences que dans les arts, les musiciens asiatiques sont plus souvent reconnus pour leur technique que pour leur expression artistique. C'est probablement là l'une des idées reçues que les musiciens asiatiques d'aujourd'hui auront le plus de mal à vaincre.

Étant donné la croissance des populations d'Asiatiques dans les grandes villes canadiennes et l'augmentation de ceux d'entre eux qui choisissent de faire carrière en musique, l'on pourrait s'attendre à observer une tendance comparable dans les salles de concert. Or, ce n'est pas nécessairement le cas, selon Liz Parker, directrice des relations publiques au TSO et elle-même à demi japonaise. « Bien sûr, reconnaît-elle, les concerts d'artistes asiatiques comme Midori sont très courus par des gens de leurs groupes ethniques, mais le public en général ne reflète pas la diversité de la population. » Le TSO ne compile pas officiellement de statistiques sur ses abonnés et donateurs selon leur origine ethnique, mais
« certainement, il cherche activement à attirer davantage les Asiatiques, particulièrement les Chinois et les Coréens. » Le TSO offre maintenant un site Web et une ligne téléphonique sans frais en chinois. Il annonce ses concerts dans les journaux chinois et coréens et donne des entrevues à la radio et à la télévision chinoises. En vue de la saison 2004–2005, il se propose de créer une programmation et des formules abonnements distinctes à l'intention de la communauté chinoise. Mike Forrester, vice-président au marketing et développement, est avare de détails, mais il reconnaît que les ventes de billets réalisées grâce à la ligne sans frais en chinois sont encourageantes. « Tout indique que les efforts de vente donnent de très bons résultats. Je suis convaincu que nous verrons bientôt un plus grand nombre d'Asiatiques à nos concerts. »

[traduction d'Alain Cavenne]


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