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La Scena Musicale - Vol. 9, No. 4

Regard sur Bach

6 décembre 2003

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Gilles Cantagrel - Recherche et transcription: Frédéric Trudel, recherchiste à la Chaîne culturelle de Radio-Canada

Extrait d'une entrevue accordée à Françoise Davoine et diffusée à l'émission Radio-concerts le 28 février 2000

À l'initiative de la Chaîne culturelle de Radio-Canada, le violoniste James Ehnes et le claveciniste Luc Beauséjour présenteront, le 15 décembre prochain à la Salle Pierre-Mercure, un récital entièrement consacré à Jean-Sébastien Bach. L'occasion est belle de se replonger dans un entretien que le musicologue français Gilles Cantagrel, auteur passionné de plusieurs ouvrages sur Bach, accordait à l'animatrice Françoise Davoine lors des célébrations radiophoniques entourant le 250e anniversaire de la mort du grand compositeur, en février 2000.

Je pense que le plus fascinant et le plus bouleversant dans la personnalité de Bach, c'est ce destin de petit gamin prodigieusement doué à qui arrive un drame atroce, puisqu'à l'âge de neuf ans, il voit mourir successivement, sous ses yeux, sous le toit familial, sa mère puis son père. Le petit orphelin va être recueilli par un frère aîné, puis envoyé dans un collège à Lunebourg, en Allemagne du Nord, et il va falloir qu'il se fasse tout seul, lui-même. Ce coup du destin est un drame dont toute sa musique porte trace. Chaque fois que Bach évoque le « Notre père, dans le Royaume céleste », il ne peut s'empêcher de penser à son propre père, puisque cette mélodie de Luther, si calme, si diatonique et si paisible, il l'harmonise toujours d'une façon chromatique extrêmement torturée. Ça ne peut pas être un hasard. Cette trace le marque jusqu'à la fin de ses jours, mais en même temps, cette obligation de se former tout seul, de se forger sa propre destinée, a sans doute été un ressort très puissant. De même que quand on écoute bien son œuvre, quand on regarde de très près les textes dont aucun n'est innocent, on s'aperçoit que cet homme a très certainement vécu une angoisse existentielle extrêmement profonde.

Je ne fais jamais que dire des banalités puisqu'on sait très bien que tout grand créateur, dans quelque domaine que ce soit, tente de sublimer par son art sa difficulté à être, son angoisse existentielle. Toujours, en y regardant de près, on s'aperçoit que ce grand croyant, comme tous les grands croyants, sans doute, a remis sa foi en cause tous les matins que Dieu faisait. Il réfléchit et remet en cause son adhésion même au dogme. C'est sur cette double angoisse que le petit orphelin va petit à petit fonder sa vie, son éthique, sa morale, sa politique vitale et, en même temps, sa musique. Je ne parle même pas de sa constante fréquentation de la mort : après ses deux parents, ce seront 10 de ses 20 enfants et sa première femme qui mourront ! C'est là-dessus qu'il va fonder sa propre musique. Je dirais même que la régularité immuable, impassible et si forte de la pulsation métrique de sa musique, ces puissantes assises qui balisent le temps qui s'écoule, qui construisent tout l'édifice sonore qui se forme d'une espèce de contrepoint aux réseaux indémaillables et sans fissures, tout cela est une construction de l'esprit musical, comme s'il voulait rebâtir le monde qui s'était écroulé sous ses yeux. « C'est une puissante citadelle que notre Dieu », dit Luther dans l'Hymne de la Réforme, et Bach rebâtit ainsi pour son propre usage cette citadelle détruite. Ce faisant, il met en œuvre une dynamique du rassérènement qui, grâce à son immense génie, fonctionne encore 300 ans plus tard.

Laissez-vous envelopper par la musique de Bach !

La Chaîne culturelle de Radio-Canada vous invite au seul récital montréalais de la saison du violoniste James Ehnes, salué comme l'un des meilleurs violonistes du monde. Avec Luc Beauséjour au clavecin, il interprètera Jean-Sébastien Bach, le lundi 15 décembre à 20 h à la salle Pierre-Mercure dans le cadre de la série les Radio-concerts du Centre Pierre-Péladeau. Pour doubler le plaisir, la soirée sera diffusée le lundi 22 décembre à 20 h à l'émission Radio-concerts sur les ondes de la Chaîne culturelle. Soyez des nôtres !

animation : Françoise Davoine / réalisation : Odile Magnan


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(c) La Scena Musicale 2002