Petite histoire de la percussion dans l'orchestre Par Lynne Gagné
/ 5 novembre 2003
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Depuis le fond des âges, les instruments de percussion
ont accompagné l'homme dans sa musique, dans sa danse et dans ses rituels. En
Occident, ils se sont intégrés graduellement à l'orchestre et ont formé une
section de plus en plus imposante dont, au fil du temps, le rôle a évolué et
l'effectif s'est accrû. Des instruments plus « exotiques », c'est-à-dire venant
de cultures non occidentales, se sont ajoutés aux percussions traditionnelles,
formant ainsi une source d'inspiration inouïe pour les compositeurs.
C'est la timbale qui semble à
l'origine de l'utilisation de la percussion dans la musique occidentale. Déjà
durant l'Antiquité, on associait souvent cet instrument guerrier aux trompettes
pour en renforcer l'éclat. Plus tard, elle tiendra une place de choix dans les
musiques royales, les musiques de cour et même dans la musique religieuse de
Bach ou de Haendel. C'est vraiment à la période romantique que la timbale trouve
sa vraie personnalité : on lui octroie le titre d'instrument de musique. Les
oeuvres de Brahms, de Tchaïkovski, de Wagner et surtout de Berlioz témoignent de
cette évolution. Par exemple, l'emploi des timbales chez Beethoven sert avant
tout à imposer le rythme à l'orchestre, à conclure un accord ou à attaquer en
solo une phrase rythmique, alors que Brahms insiste plutôt sur la couleur des
sons. Son écriture pour la timbale enrobe l'harmonie ou les cordes et sert
parfois de soutien aux instruments solistes de l'orchestre.
Au Moyen-Âge et à la
Renaissance, les percussions jouent en général un rôle secondaire dans la
musique instrumentale profane. Ce rôle changera petit à petit, de sorte qu'au
xviie siècle, les percussions seront vouées à la musique militaire, où on la
marie aux timbales et aux trompettes.
Bref, la section des percussions évolue selon les époques. Ainsi, Haydn et
Mozart utilisent certains idiophones (grelots, crécelle et petit tambour) alors
que Beethoven les utilise de façon plus précise dans certaines symphonies
(grosse caisse, cymbales frappées et triangle). Il va même pousser plus loin
l'utilisation de la percussion dans Bataille de Vittoria, écrite en 1813.
Cette oeuvre incarne l'une des premières expériences « spatiales » où les
instruments de percussion sont divisés en deux groupes placés de chaque côté du
grand orchestre.
Le début des rôles importants
L'importance des percussions depuis la moitié du xixe siècle évolue nettement
et atteint un rôle de premier plan durant le dernier tiers du XXe siècle. Depuis
Berlioz, son impact est considérable. Ce dernier crée un orchestre de
percussions à l'intérieur du grand orchestre symphonique : il écrit pour deux
timbaliers utilisant au moins huit timbales dans la plupart de ses oeuvres. Dans
son Requiem (1837), Berlioz dispose de 8 timbaliers pour 16 timbales. La
Symphonie fantastique (1830) en impose
davantage avec deux grosses caisses, des cymbales frappées ou suspendues, des
tambours militaires, quatre timbales et deux cloches d'église.
Mis à part Berlioz, c'est surtout hors de France que sera approfondi l'usage
des percussions, plus particulièrement avec Rimski-Korsakov (Russie) et Manuel
de Falla (Espagne). La caisse claire, le tambour militaire, la cymbale suspendue
ou frappée, les castagnettes, le tambour de basque, les cloches tubulaires, le
xylophone et le glockenspiel s'ajoutent alors à la section des percussions.
Cette nouvelle expansion devient un développement majeur dans l'orchestre du XXe
siècle. Il sera nourri par la recherche de la couleur et de la texture (La
Mer de Debussy; Don Quichotte et Symphonie alpestre de R.
Strauss) et demande un élargissement particulier de la section des percussions.
Par exemple, Parade de Satie (1913) fait usage d'une variété d'effets
sonores qui nécessitent entre autres des sirènes, des coups de pistolets et une
machine à écrire.
Ainsi, le début du XXe siècle voit l'amplification de la section des
percussions dans l'orchestre grâce à un intérêt marqué pour le rythme. Le rôle
et l'importance de cette section ont évolué, de sorte qu'elle est passée d'un
rôle effacé et secondaire à celui de premier plan. Autrefois, le rôle de la
percussion se limitait à des appuis ponctuels, comme le renforcement de
l'accent, une touche d'exotisme, l'ajout d'une couleur particulière, etc. Elle
se définissait donc selon l'effet à rendre à un moment précis. Ensuite, la
percussion a été utilisée au milieu de la masse orchestrale pour créer des
textures impressionnistes et rendre la sonorité plus complexe, moins limpide.
Les Viennois aussi ont exploré des textures toujours plus originales pour la
percussion. Ils ont superposé des figures comme les trémolos ou les trilles afin
d'étudier les diverses possibilités poétiques (Cinq Pièces pour
orchestre, op. 10, 3e mouvement, de Webern et la première des Trois
Pièces pour orchestre, op. 6, de Berg).
De plus, d'autres facteurs influents s'ajoutent à ce contexte du début du XXe
siècle. D'abord, le bruit en tant qu'élément de l'environnement fascine et
inspire de nouveaux paysages sonores. Ici, la percussion semble être
l'instrument idéal pour évoquer ces manifestations bruitistes. Aussi, la
connaissance de la musique extra-européenne engendre un intérêt poussé pour le
rythme et donne une nouvelle dimension aux compositions pour percussion. Les
fondements de cette nouvelle musique se trouvent chez Stravinski, Debussy,
Bartók et, surtout, Varèse. Ces compositeurs donnent une nouvelle importance à
la percussion dans l'orchestre. Par exemple, dans l'instrumentation du Sacre
du Printemps de
Stravinski, la section des percussions se retrouve au premier plan tout au long
de la pièce. Parallèlement, la montée de la danse latine dans les années 1930
fait connaître de nouveaux instruments qui s'ajouteront à l'effectif
orchestral.
L'apport des Amériques
Pendant la Première Guerre
mondiale, l'Europe découvre l'orchestre jazz américain. Ce dernier produira une
grande impression sur certains compositeurs (Stravinski, Milhaud, Ravel...). La
batterie jazz présente un concept nouveau en introduisant une diversité de
timbres joués en même temps par un seul instrumentiste, alors qu'à l'orchestre
symphonique un percussionniste était limité à un instrument. Après 1945, une
approche plus générale de la percussion a remplacé la spécialisation à un seul
instrument. Ce changement se réalise grâce à l'ouverture dans le monde entier de
cours de percussions intégrés dans les conservatoires : la percussion est
reconnue comme une discipline légitime. En formant des instrumentistes capables
de jouer de tous les instruments de percussion, ces écoles ont permis à la «
percussion multiple » de voir le jour.
Cependant, Varèse avait déjà exploité cette idée. En composant
Ionisation en 1930,
il a créé la première pièce exclusivement pour percussions, un ensemble de 13
exécutants jouant de 37 instruments, dont quelques-uns sont empruntés aux
musiques jazz et latine américaines. Avec cette oeuvre, la perspective d'un
répertoire strictement réservé à un ensemble de percussions ou à une percussion
solo était née. John Cage, Lou Harrison et Carlos Chávez exploreront eux aussi
les diverses possibilités d'un tel ensemble. Chez eux, la couleur, la texture et
le rythme sont développés à un niveau très complexe.
Avec Ionisation, Varèse a été le premier à se préoccuper du
comportement des matériaux sonores bruts. Cette pensée musicale rejoint un
concept qui verra le jour quelques années plus tard, celui où la composition
naît par le matériau lui-même, le matériau de base étant le timbre en soi et non
plus un langage codé sous forme de gammes ou de séries. Le son d'un instrument
devient la référence première d'une composition.
Depuis plusieurs siècles, la
section des percussions n'a cessé de s'agrandir et de s'épanouir. Au cours du
XXe siècle, elle s'est enrichie de nombreux instruments plus exotiques et la
liste des oeuvres qui lui sont consacrées ne cesse de s'allonger. On peut
affirmer aujourd'hui que la famille des percussions fait vraiment partie
intégrante de l'orchestre, au même titre que celles des cordes et des
vents.
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