Musique électroacoustique Par Réjean Beaucage
/ 10 octobre 2003
English Version...
Les différentes branches de la grande famille des
musiques électroacoustiques sont très en vogue ces dernières années auprès des
aspirants compositeurs et des techniciens en devenir. Évidemment, les
développements de l'informatique permettent aujourd'hui à tout amateur de
s'installer un véritable petit studio chez lui à des coûts encore inimaginables
il y a seulement 10 ans. Mais vers quelles institutions doit-on se tourner pour
acquérir une véritable formation dans ce domaine ? Nous avons visité quatre
institutions montréalaises qui dispensent des formations en musique
électroacoustique afin de constater les différences entre chacune d'elles. Voici
le compte-rendu de cette tournée.
Conservatoire de musique du Québec à Montréal
C'est après de longues
tergiversations au milieu des années 60 que le Conservatoire a reconnu
l'électroacoustique comme une discipline principale. Depuis 1996, on peut
s'inscrire au troisième cycle du Conservatoire (l'équivalent du baccalauréat) au
programme de « Composition électroacoustique », une spécialité du domaine de la
création musicale, qui comprend aussi la composition instrumentale et
l'écriture. On peut ensuite continuer au quatrième cycle pour la préparation du
concours final (maîtrise) et, depuis cette année, poursuivre au cycle de
perfectionnement (doctorat). Le département est équipé de deux studios
disponibles nuit et jour. Le responsable du programme est le compositeur Yves
Daoust. « La grande différence avec les autres maisons d'enseignement,
explique-t-il, est que le Conservatoire est une institution élitaire et très
contingentée où l'on entre suite à un examen d'admission. En électro, il y a 10
élèves cette année et c'est une très grosse classe ! Par conséquent, les élèves
bénéficient d'un rapport très personnalisé avec leurs professeurs. Notre but est
de former des compositeurs. On ne vient donc pas ici pour suivre des cours
d'appoint. » Les trois programmes de création musicale ont plusieurs cours en
commun. Par exemple, tous doivent suivre le cours « Techniques de travail en
studio », mais aussi les cours d'harmonie et de contrepoint. « Évidemment,
précise Yves Daoust, nous restons fidèles à l'approche de la musique dite «
concrète », avec des notions d'expérimentation, de travail sur des objets
sonores et d'écoute réduite qui entraînent une relation au discours sensiblement
différente de celle que l'on a devant une partition. »
Il y a un autre volet,
parallèle au programme régulier, intitulé « Orientation spécialité », qui permet
d'accepter des étudiants sans formation traditionnelle en musique. « J'y ai déjà
vu des étudiants qui ne savaient pas lire la musique, explique Daoust, mais dans
ce cas-là, ils ne suivent strictement que les cours de la spécialité et cela
peut éventuellement les mener au concours. Évidemment, si un étudiant est
handicapé par de trop grandes lacunes, il peut suivre des cours de rattrapage au
deuxième cycle, par exemple, puisque nous les donnons sur place. » Toujours dans
le but de préparer les étudiants à la pratique professionnelle, le Conservatoire
s'est joint à l'Association des écoles supérieures d'art de Montréal (ADÉSAM)
qui compte 11 membres parmi lesquels : les Ateliers de danse moderne de
Montréal, l'École nationale de ballet contemporain, l'École nationale de cirque
et l'Institut national de l'image et du son (INIS). La mission de l'ADÉSAM est
de « favoriser, d'organiser et de maximiser l'échange d'information,
d'expertise, de services et de ressources techniques entre les différentes
écoles ». On mesure bien le profit que pourront retirer les étudiants du
Conservatoire, à compter de cette année, des échanges effectués entre ces
différents établissements spécialisés.
Il faut souligner que les
élèves du Conservatoire se distinguent particulièrement bien dans les différents
concours de composition. Au Concours national des jeunes compositeurs de
Radio-Canada de mars dernier, ils obtenaient les première et troisième places
(Louis Trottier et Félix Boisvert). Au Concours des jeunes compositeurs de la
SOCAN, dévoilé plus récemment, c'était Martin Leclerc et Mathieu Marcoux.
(Notons que l'année précédente, Martin Leclerc avait remporté les premier et
deuxième prix !)
Université de Montréal
C'est en 1974 que l'Université
de Montréal a commencé à développer un secteur de musique électroacoustique. Le
responsable du programme est le compositeur Robert Normandeau, qui a lui-même
obtenu sa maîtrise et son doctorat dans cette institution. En 1992, il fut
d'ailleurs le premier à y obtenir un doctorat dans cette discipline. Puisque les
étudiants possèdent de plus en plus souvent chez eux les équipements nécessaires
à la composition électroacoustique, le département cherche à leur offrir des
installations qu'ils ne peuvent avoir à la maison. Aussi la discussion avec
Robert Normandeau s'entame-t-elle dans le plus récent studio du département,
inauguré en janvier 2003 et équipé pour la reproduction octophonique (sur huit
canaux), une des spécialités du compositeur.
« Sur les 17 nouveaux
étudiants qui sont entrés en première année cette session, il y en a seulement 7
qui nous ont demandé du temps en studio, ce qui signifie que les autres ont ce
qu'il faut à la maison. Nous avons trois studios, dont l'un comprend les
équipements de base en stéréophonie ; un autre est le studio multiphonique,
accessible à partir de la deuxième année, et le troisième est consacré à la
création vidéo-musique. » Cette dernière discipline est la spécialité de Jean
Piché, précédant responsable du programme, qui la développe depuis plusieurs
années et en est un chef de file. « C'est un domaine en forte expansion depuis
trois ou quatre ans, explique Normandeau. La vidéo et la musique sont
pratiquement au même niveau sur le plan numérique, mais, évidemment, l'image est
beaucoup plus "lourde" que la musique, ce qui requiert des équipements de
pointe. Le département d'électro change ses équipements annuellement ; c'est par
ici que les ordinateurs les plus récents font leur entrée à l'Université et nos
"vieux" équipements vont vers d'autres départements. »
« Sans prétention aucune, je
pense que le programme que nous offrons à l'Université de Montréal est le plus
complet parmi ceux de la francophonie, de dire Robert Normandeau. Il y a dans le
programme une grande diversité de cours, qui vont de l'approche très technique,
avec apprentissage poussé de logiciels, du fonctionnement du studio et de ses
équipements, jusqu'à la psychoacoustique, l'histoire, la perception, etc. De
plus, nous avons beaucoup d'étudiants : il y en a 40 actuellement dans le
programme, ce qui nous permet même d'offrir des séminaires à la maîtrise. Comme
nous avons trois professeurs à temps plein et quatre chargés de cours,
l'encadrement n'en souffre pas. Nous recevons par ailleurs de plus en plus
d'étudiants européens francophones qui ne trouvent pas un enseignement
équivalent chez eux. Il s'agit d'un baccalauréat spécialisé, et les étudiants
n'ont donc pas, par exemple, à faire du solfège. Nous nous considérons plus près
d'un département d'arts médiatiques que d'un département de musique. Pour être
admis à la Faculté de musique, un étudiant doit néanmoins réussir l'examen
d'entrée. S'il échoue, il doit suivre des cours de rattrapage et repasser, avec
succès, l'examen à la fin de sa première année de bac. Une fois accepté dans le
programme, un étudiant peut suivre des cours complémentaires en musique, mais il
peut aussi les suivre en cinéma. »
Université Concordia
C'est en 1971 que le compositeur Kevin Austin met sur pied le studio de
musique électronique de l'Université Concordia et que celle-ci commence à offrir
des cours d'électroacoustique aux étudiants qui fréquentent son département de
musique. Depuis avril 2000, l'Université offre un baccalauréat en études
électroacoustiques (Bachelor of Fine Arts Major in Electroacoustic
Studies). Le responsable du programme est le compositeur
Mark Corwin. Il explique : « Nous attirons une clientèle qui n'est pas celle du
Conservatoire, parce qu'elle ne recherche pas quelque chose d'aussi spécialisé,
mais vise un éventail plus large et, bien sûr, les matières offertes à
l'Université sont plus nombreuses qu'au Conservatoire. Nous avons aussi des
étudiants qui n'auraient pas pu entrer au Conservatoire en raison de leur
formation, souvent différente de la formation classique du musicien, des gens
qui viennent de la musique techno ou de la musique pop. De plus, une bonne
partie du programme d'électroacoustique est consacrée aux techniques
d'enregistrement et plusieurs de nos étudiants sont davantage des techniciens,
plutôt que des compositeurs, mais de bonnes connaissances en musique sont tout
de même nécessaires. Ensuite, en comparaison avec l'Université de Montréal, eh
bien, nous en sommes l'équivalent anglophone ! » Les étudiants qui souhaitent
s'inscrire au baccalauréat n'ont pas à passer d'examen, mais doivent soumettre
des enregistrements d'oeuvres.
La première année du bac est
évidemment basée sur l'histoire de l'électroacoustique et les apprentissages de
base des techniques et du travail de studio. On cherche durant cette période à
faire émerger le style compositionnel de l'étudiant. « On fait ça tout
doucement, me dit Mark Corwin ; on ne leur dit pas qu'ils devront produire cinq
oeuvres au cours de l'année, mais cinq "études"... L'un de nos exercices
fétiches est de leur demander de retirer le son "s" de l'enregistrement d'un
poème. C'est un exercice de déconstruction qui forme la perception, mais c'est
aussi un exercice de base qui leur apprend à manipuler les objets sonores. On
met deux ans à leur enseigner ces connaissances de base et ce n'est qu'en
troisième année qu'ils en viennent vraiment à des cours de composition. En ce
qui concerne nos studios, ils sont équipés d'ordinateurs depuis longtemps, mais
nous avons conservé le matériel analogique aussi, les magnétophones et les
bandes, parce que nous considérons l'apprentissage de toutes ces différentes
techniques comme important. Notre approche, même pour ceux qui recherchent
d'abord l'apprentissage des techniques d'enregistrement, est de considérer le
travail de studio comme une pratique artistique. »
Le programme
d'électroacoustique a connu ces dernières années une véritable explosion et
compte 90 étudiants en première année seulement, supervisés par trois
professeurs à temps plein et quatre chargés de cours. Le département dispose de
six studios variés, dont l'un est équipé pour la diffusion octophonique, et un
studio d'enregistrement situé dans l'immeuble qui abrite la salle de concert
Oscar-Peterson. Il est à noter que la mise sur pied de la Communauté
électroacoustique canadienne (CEC) est aussi à mettre au crédit de Kevin Austin
et que le site Internet de l'association est logé sur le site de
l'Université.
Université McGill
La dernière, mais non la
moindre, l'Université McGill est la pionnière en matière d'implantation d'un
studio de musique électroacoustique au Québec. C'est le compositeur Istvan
Anhalt qui, avec l'aide du compositeur et inventeur Hugh LeCaine, le mettra en
place en 1964. C'est aussi à Anhalt que l'on doit le premier concert de musique
électroacoustique au Canada, qui fut donné à McGill et qui présentait entre
autres, en plus de sa propre musique, celles de Lecaine et de Karlheinz
Stockhausen. La musique électroacoustique a donc été intégrée assez tôt au
programme de composition, mais l'Université a développé depuis 1990, sous la
houlette du compositeur Bruce Pennycook, un programme très particulier intitulé
« Technologies de la musique » (Music Technology), qui est relié au département
de théorie de la faculté de musique et qui mérite certes qu'on lui accorde une
place ici, car il ouvre une autre voie aux étudiants qui sont attirés par les
études en musique en rapport avec les nouvelles technologies. C'est Ichiro
Fujinaga qui fut le premier à obtenir un baccalauréat dans cette discipline et
qui est maintenant responsable du programme, mais j'ai rencontré les professeurs
Philippe Depalle et Marcelo Wanderley.
Comme dans le cas de l'Université de Montréal, les aspirants doivent passer
un examen pour être admis à la Faculté de musique. « En effet, explique Philippe
Depalle, il se fait beaucoup de recherche en Music Tech, il s'agit d'une
activité scientifique. Le but est de servir la musique en créant des outils pour
les compositeurs ou des outils qui sont reliés à l'audio dans le cadre de la
musique. Traditionnellement, c'est dans la Faculté de musique. Alors, c'est un
baccalauréat en musique. L'aspect technique s'ajoute aux préalables en musique.
»
Il va sans dire que la vie des
musiciens, qu'ils soient électroacousticiens ou non, est de plus en plus
tributaire des avancées technologiques. Les étudiants en Music Tech n'apprennent
donc pas seulement comment utiliser des logiciels, mais surtout comment ils
pourraient les modifier ou s'en inspirer pour en créer de nouveaux qui
répondraient mieux à leurs besoins. « Les compositeurs qui viennent ici le font
vraiment pour répondre à un besoin personnel d'en savoir plus sur le
développement des outils eux-mêmes », continue Depalle. Marcelo Wanderley ajoute
: « Ça pourrait être pour créer des extensions qui vont modifier le
fonctionnement d'un logiciel déjà existant ; ce n'est pas du tout notre but de
montrer le fonctionnement d'une table de mixage, par exemple, mais plutôt d'en
examiner les bases scientifiques ou technologiques. » On peut comprendre
aisément l'une des applications possibles de ce type de programme si l'on sait,
par exemple, que Philippe Depalle a rendu possible, avec l'équipe
analyse-synthèse de l'Ircam, certaines prestations incroyables du personnage
central du film Farinelli. Le très large ambitus de la voix du castrat a pu être
recréé en fondant en une seule les voix du haute-contre Derek Lee Ragin et de la
soprano colorature Ewa Malas-Godlewska. Ce type de travail requiert non
seulement des connaissances techniques, mais aussi des connaissances musicales
et, très certainement, un esprit créateur.
Il y a une vingtaine d'étudiants inscrits au programme de baccalauréat, qui
compte quatre professeurs à temps plein, un professeur adjoint, un technicien et
trois chargés de cours. On ne parle plus de studio ici, mais de laboratoire.
Music Tech en partage deux avec le Electronic Music
Studio (EMS) et en utilise deux autres. Les professeurs attachés au EMS donnent
des cours de composition électroacoustique aux étudiants du programme. Ces
derniers sont de plus en plus nombreux à poursuivre leurs recherches au niveau
de la maîtrise et du doctorat.
English Version... |
|