Écoute commentée avec Paul Merkelo Par Isabelle Picard
/ 13 juillet 2004
Paul Merkelo, trompette solo de
l'Orchestre symphonique de Montréal, présentait le 26 mai dernier aux quelques
chanceux qui étaient à la boutique Audio Club de Montréal son dernier disque
solo. Cette rencontre se faisait dans le cadre des écoutes commentées
organisées par La Scena Musicale depuis quelques mois. Ces soirées ont
lieu dans des boutiques d'équipement haute-fidélité, et permettent ainsi
d'entendre des disques d'artistes d'ici dans un environnement de qualité avec
des équipements exceptionnels. Mais l'intérêt va bien au-delà de ça. C'est
surtout l'occasion de comprendre les choix artistiques des musiciens, d'échanger
avec eux, de connaître leur point de vue (et non celui des critiques!) sur leur
propre disque, sur les particularités du travail d'enregistrement ou sur la
musique en général. En mai, Simon Fournier (chef du Chœur Radio Ville-Marie),
Luc Beauséjour et Alain Lefebvre se sont également généreusement prêtés au
jeu.
Sur son dernier disque, Baroque Transcriptions
(paru chez Analekta en 2003, AN 2 9812), nous avons la chance d'entendre le
trompettiste Paul Merkelo avec l'excellent musicien Luc Beauséjour à l'orgue et
au clavecin. « Quand le producteur chez Analekta (Mario Labbé) m'a proposé ce
projet, je ne connaissais pas Luc Beauséjour, mais il est devenu un très bon ami
depuis. Nous avons essayé de créer quelque chose de spécial, pour ce disque.
C'est une manière inhabituelle de présenter la musique pour trompette et orgue.
Quand on pense à la musique baroque, on pense immédiatement à la trompette
piccolo au son brillant et léger. Nous voulions emprunter un chemin différent,
créer quelque chose de beau, avec plusieurs couleurs différentes, qui mette en
valeur non seulement le son de la trompette, mais aussi celui de l'orgue. Nous
avons essayé de faire quelque chose de « vocal ». D'imiter la voix autant que
possible. »
Les défis techniques étaient grands pour parvenir à
l'équilibre sonore recherché : « Je ne voulais pas avoir le son de la trompette
au-dessus de celui de l'orgue. Je voulais que les deux instruments jouent
vraiment ensemble. Il a fallu trouver une église dont l'orgue se trouvait au
rez-de-chaussée et non sur une tribune. Nous avons finalement choisi l'orgue
Wilhelm de l'église St-Matthias, à Westmount, mais le problème était que les
tuyaux sont très hauts. Pour permettre aux micros de capter le son des deux
instruments, il a fallu me surélever. J'étais sur une boîte assez haute, que je
devais escalader pour être à la même hauteur que les tuyaux de l'orgue ! Tard
dans la soirée je perdais un peu l'équilibre ! Je ne pouvais pas tellement
bouger. Parfois quand je joue je ferme les yeux, je bouge... Mais là j'étais
limité ! »
On ne réalise pas toujours la somme de travail que
représente un disque. « Pour ce disque, nous avons enregistré pendant 5 jours, 6
heures par jour. Nous commencions à 18 h pour terminer à minuit... du moins en
théorie, mais un soir nous avons terminé à 2 h du matin. Toute personne qui a
déjà enregistré sait quelles difficultés ça représente. C'est une expérience
excitante, mais je préfère de loin le concert! Quand vous allez dans une session
d'enregistrement, quelques personnes sont là et vous disent quoi reprendre.
Parfois on refait la même chose 10, 20, 30 fois! Il est difficile de jouer
toujours avec la même inspiration, on finit par seulement essayer de faire les
choses parfaitement. » Ensuite, il y a le choix des prises pour le montage. «
Avec le producteur et Luc, nous avons passé peut-être 30 heures, rien qu'à
écouter et choisir les prises. Il faut être attentif à tous les détails,
l'intonation, l'ensemble, l'équilibre, les couleurs... Pour finir j'avais un
gros mal de tête ! Mais pour moi il était important d'offrir à l'auditeur une
expérience qui représente "la vraie affaire". Qu'il ait un peu l'impression que
je suis là et que je joue pour lui. Je voulais pouvoir dire "voilà, c'est comme
ça que je joue", alors nous ne voulions pas choisir que des prises parfaites.
»
Le répertoire de ce disque est constitué de
transcriptions de pièces du répertoire baroque. Autant dire que les possibilités
étaient illimitées ! « Nous avons décidé de faire des transcriptions en nous
basant sur le fait que les compositeurs de cette époque, dont Bach lui-même,
pratiquaient la transcription. Pour moi, la priorité était de choisir de la
belle musique. Toutes les pièces de ce disque sont des pièces que j'aime
personnellement. Si je n'aime pas un morceau, je ne veux pas le jouer. Ce disque
n'est pas pour prouver à quelle vitesse je peux bouger mes doigts ou ma
langue... Il y a quand même de la virtuosité, mais le répertoire choisi est
surtout lyrique. C'est ce que je préfère jouer. Ce projet est très spécial pour
moi. J'ai fait une petite sabbatique cette année à l'OSM, et je ne savais pas si
je continuerais la trompette. C'est ce projet qui m'a ramené. Pour moi, c'est
comme un cadeau que je désire offrir. Si vous aimez quelque chose, n'importe
quoi, de ce disque, si ça vous fait ressentir quelque chose, alors j'ai fait mon
travail et c'est tout ce que je souhaite. Pour mon premier disque, j'avais
vraiment essayé d'avoir un produit qui soit "vendeur". Mais vous savez, c'est de
la musique classique! Nous devrions arrêter d'essayer de nous vendre et
seulement être nous-mêmes. »
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