Chambardements radiophoniques à la SRC Par Réjean Beaucage
/ 13 juillet 2004
Sylvain Lafrance, vice-président de la
radio française de Radio-Canada, annonçait en conférence de presse le 7 mai
dernier ni plus ni moins que la fin d'une époque en rendant public le plan de
transformation de la Chaîne culturelle en « chaîne musicale ». La
programmation de la Première chaîne de Radio-Canada, axée sur l'information
généraliste, accueillera 12 heures d'émissions culturelles supplémentaires dans
les domaines du théâtre, du cinéma, de la danse, de la littérature et des arts
visuels. La programmation, ou même le nom de la nouvelle chaîne musicale sont
inconnus pour le moment, mais l'on sait que d'autres genres musicaux seront à
l'honneur, soit le jazz, la musique classique, la musique du monde et la chanson
francophone. La nuit sera destinée plus spécifiquement aux 16 à 34 ans, sur le
modèle de l'émission Bande à part, un grand succès de la Première chaîne
qui déménagera sur cette nouvelle chaîne en automne.
L'annonce de ces changements a semé l'émoi chez de
nombreux intervenants du monde de la musique, habitués à collaborer d'une façon
ou d'une autre avec la Chaîne culturelle. Lors de la conférence-bilan du dernier
festival international de musique actuelle de Victoriaville, son directeur
artistique, Michel Levasseur, s'inquiétait sérieusement quant à l'avenir de son
partenariat avec la SRC, le nombre de concerts enregistrés par la Chaîne
culturelle étant passé de 11 en 2003 à 6 en 2004, avec les implications
budgétaires que l'on imagine. Du côté du Off Festival de jazz de Montréal, c'est
à la conférence présentant l'événement que l'on s'inquiétait de voir disparaître
la diffusion de concerts de jazz (une inquiétude peut-être inutile, puisque
l'émission la plus populaire de la Chaîne culturelle était Escale Jazz,
qui attirait 66 000 auditeurs au quart d'heure).
Le vendredi 14 mai, le quotidien montréalais Le
Devoir rapportait dans un article de Paul Cauchon les propos de Bruno Roy,
président de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ),
s'opposant aux changements annoncés. De nombreuses autres lettres d'auditeurs
ont suivi, dont le propos principal tourne autour de la disparition anticipée
des émissions vouées à la littérature. La seule note d'optimisme dans ce concert
d'inquiétude est venue des Jeunesses Musicales du Canada (JMC), qui organisent
le Concours Musical International de Montréal (CMIM) : « Je suis persuadé que la
promotion des jeunes talents et celle de la musique, objectifs communs des JMC
et du Concours, seront encore mieux desservis dans le futur grâce au nouveau
positionnement de la Chaîne culturelle de Radio-Canada » déclarait monsieur
Joseph Rouleau, président des JMC, dans un communiqué daté du 20 mai. « Monsieur
Joseph Rouleau et monsieur André Bourbeau, président du CMIM ont appris avec
plaisir que la Chaîne culturelle de Radio-Canada devient une chaîne vouée
entièrement à la musique et tiennent à apporter leur soutien à cette décision »,
peut-on encore y lire.
La Scena Musicale a voulu en savoir
plus sur ce qui nous attend l'automne prochain alors qu'entrera en vigueur le
changement annoncé. Pour ce faire, j'ai rencontré Christiane LeBlanc, nouvelle
directrice de la chaîne en mutation.
Une nouvelle direction
Il y a beaucoup d'activité dans le bureau de la
directrice de la nouvelle chaîne musicale ces jours-ci. C'est que l'automne
arrivera vite ! Mais Christiane LeBlanc a une idée claire du travail à accomplir
d'ici-là : « La radio de Radio-Canada est un service public, explique-t-elle, et
elle a à ce titre des mandats de service public. Les mandats qui concernent la
musique ne disparaissent pas ; nous continuerons à nous intéresser aux
compositeurs, jeunes et moins jeunes, nous continuerons aussi notre appui à la
relève, aussi bien en musique classique qu'en musiques émergentes, il y aura
toujours, par exemple, un concours national de chorales d'amateurs. Ce qui
changera, c'est la façon de traduire ces mandats. Pour l'instant, nous sommes en
réflexion sur différentes questions, par exemple : la meilleure façon d'aider la
relève en musique classique, d'avoir une écoute optimale de la part des
auditeurs, est-ce que c'est une émission hebdomadaire ou une autre formule
radiophonique? Je n'ai pas de réponse à ce moment-ci, mais je crois que c'est
sain de se poser ce type de question périodiquement. Cette fois-ci, il s'agit
véritablement d'un changement majeur, parce que c'est la première fois que l'on
sépare complètement les mandats culturel et musical, mais ça m'apparaît une
excellente nouvelle pour la musique au Canada ! »
Certains observateurs craignent justement que la
musique prenne dorénavant tout l'espace disponible, littéralement, pour ne plus
laisser aucune place à des mises en contexte des œuvres entendues. « Ce n'est
pas du tout notre intention, poursuit Christiane LeBlanc. En arrivant en poste
il y a environ un mois, j'ai réexaminé tous les sondages et groupes de
discussion que nous avons organisés dans les 10 ou 15 dernières années et le
résultat est unanime, tous les auditeurs nous disent la même chose : on aime
beaucoup votre choix musical, mais vous parlez trop ! Plus scientifiquement,
nous avons comparé durant quatre jours à la seconde près les animations de CBC
Radio 2, notre pendant anglophone, et celles de la Chaîne culturelle. Pour
chaque minute chez eux, c'est deux minutes chez nous... Et je crois qu'à CBC on
trouve tout de même le temps de mettre les œuvres en contexte ; c'est une radio
vivante. On ne peut pas, en tant que service public, ignorer ce que nous disent
nos auditeurs. »
On sait qu'il y aura encore des Radio-concerts,
ceux diffusés en direct du Centre Pierre-Péladeau, par exemple, ont déjà été
annoncés. Y aura-t-il donc autant de diffusions de concerts qu'auparavant ? «
Nos politiques à cet égard ne sont pas menacées, précise Christiane LeBlanc.
Vous savez, j'étais depuis deux ans directrice des productions musicales et je
peux vous dire que ce que nous avons organisé depuis deux ans ne disparaîtra
pas, au contraire. Il s'agit d'une fusion des deux services, celui de la
production musicale et la nouvelle chaîne. Il n'y a pas de diminution des
captations, par contre, il pourra y avoir des genres qui seront privilégiés. La
musique du monde, par exemple, demeure un secret trop bien gardé à notre
antenne, principalement auprès des communautés culturelles canadiennes, qui sont
nombreuses et diversifiées. Il y a des tendances sociales que nous devons
refléter. Jusqu'à il y a deux ans, la Chaîne culturelle n'était pas diffusée à
l'ouest de Toronto ou à l'est de Moncton. On privilégiait donc ce qui se passait
à l'intérieur de ce territoire. Maintenant que la chaîne est pan-canadienne, ça
change la donne. En clair, ça veut dire que nous enregistrerons des concerts
partout au pays. De plus, comme cette radio s'affichera dans plusieurs genres
musicaux, il sera important de refléter cette diversité musicale dans nos choix
de captation. Notre but premier reste d'offrir une personnalité à cette nouvelle
chaîne en donnant un nouveau souffle à la diversité musicale radiophonique. Il y
a parfois un danger à garder des façons de faire uniquement par respect pour la
tradition. Cependant, je crois que vous verrez à l'automne qu'il y a des
traditions radiophoniques que nous tenons à conserver, sachant très bien
qu'elles sont chères aux auditeurs. »
La suite, l'automne prochain
!
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