L'éducation d'un virtuose Par Réjean Beaucage
/ 3 septembre 2003
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Marika Bournaki est née en 1991 à Montréal et on
peut certes penser qu'elle est promise à une grande carrière de pianiste. À
l'âge de 12 ans, son premier passage à Carnegie Hall et ses premiers concerts
avec l'Orchestre Métropolitain du Grand Montréal ou l'Orchestre symphonique de
Montréal sont déjà choses du passé. Nous aurons plaisir à suivre le
développement de cette carrière, mais nous étions curieux de rencontrer Marika
et son père afin de voir où et comment tout cela a débuté.
« Ça a commencé lorsque je suis entrée à l'école, à
5 ans, lance simplement la pianiste. Je voulais faire de la musique et j'en
avais parlé à mon père, alors il m'a demandé si je voulais apprendre le piano.
Il m'a d'abord proposé le violon, mais j'avais vraiment plus d'intérêt pour le
piano. Donc, à la rentrée scolaire, il m'a inscrite à l'école de musique de
Verdun avec Yolande Gaudreau, qui est restée mon professeur jusqu'à cette année.
»
Marika arrive à suivre une formation scolaire
régulière tout en pratiquant quotidiennement de trois à quatre heures de piano
(selon le moment de l'année). À cela s'ajoutait jusqu'à l'année dernière des
cours de ballet qu'elle a commencé à suivre avant même de débuter ses leçons de
piano, mais qu'elle a choisi d'abandonner. Car elle aura besoin de temps pour
bien répéter si elle veut arriver à jouer les œuvres de son compositeur préféré
: « Depuis le tout début, mon compositeur préféré est resté Beethoven,
avoue-t-elle. J'ai commencé par écouter Beethoven habite à l'étage, un CD
qui raconte l'histoire du compositeur et qui nous fait entendre beaucoup
d'extraits de ses œuvres. J'aimais écouter ça avant de m'endormir et je me
disais que j'aimerais apprendre ces pièces-là. En quatrième année, j'ai fait une
recherche sur Beethoven et j'ai trouvé ça merveilleux de mieux comprendre sa vie
et de voir comment elle se reflète dans sa musique. »
Pierre Bournaki a, bien entendu, joué un rôle
décisif dans les différents aspects de l'apprentissage de Marika. Il explique :
« Ce qui est primordial pour le parent, quel qu'il soit, c'est de savoir
reconnaître le talent de l'enfant. Dans le cas de Marika, il a été très clair
dès le départ qu'elle avait un talent pour la musique. J'ai pu déceler son
intérêt parce que nous écoutions souvent de la musique à la maison. Il faut
aussi pouvoir apprécier la vitesse de son apprentissage : la voir passer de
simples exercices à une invention à deux voix de Bach, puis à des préludes et
fugues, et ensuite des sonatines, des sonates, c'était une merveille ! Si le
talent est bien là, cet apprentissage se fait naturellement. Il y a
parallèlement à cela une autre partie du travail du parent qui consiste à créer
des conditions favorables à la motivation au travail. Bien sûr, on ne commence
pas par trois heures de pratique chaque jour, mais plutôt trois quarts d'heure,
et on augmente le temps de répétition d'année en année. Cela se fait
graduellement. La possibilité de faire des voyages peut aussi motiver l'enfant à
travailler. Parce que, à partir d'un certain niveau, il y a des concours un peu
partout auxquels l'enfant peut participer. Il a l'occasion de se mesurer aux
autres et aussi tester son désir d'aller plus loin. Et puis, la compétition, on
l'aime ou on ne l'aime pas, mais ça fait partie de la vie des musiciens.
»
Marika a déjà participé à bon nombre de concours
internationaux et remporté de nombreux prix. En juin 2002, elle remportait le
Premier Prix au Concours international Pro-Piano Romania à Bucarest et,
lors du même voyage, elle recevait aussi le Prix spécial de la critique musicale
pour un récital donné à la Maison George Enescu, à Sinaia. Toujours durant ce
séjour en Roumanie, on l'invitait à donner un récital à l'ambassade du Canada à
Bucarest, mais ce dont elle se souvient particulièrement et qui illumine ses
yeux lorsqu'elle en parle, n'a rien à voir avec le monde de la compétition : «
On a visité la maison natale de Bartok ! » lance-t-elle dans un éclat de joie.
Et son père d'ajouter : « On a aussi été au château de Dracula ! »
L'apprentissage repose évidemment sur une relation
suivie avec un professeur, et c'est là que réside la clé d'un bon cheminement.
Pierre Bournaki explique : « Le choix de la personne qui sera son professeur
revêt une importance capitale. Parce que, comme dans toutes les matières, un
mauvais professeur peut avoir un effet très négatif sur un enfant, même si ce
dernier est talentueux. Pour Marika, je me suis renseigné auprès de Marc Durand,
qui enseigne le piano à l'Université de Montréal et c'est lui qui nous a
recommandé à Yolande Gaudreau. Le hasard a voulu qu'elle soit également
professeur de musique à l'école régulière que fréquentait Marika, ce qui était
parfait. Par la suite, le parent doit être attentif au progrès de l'enfant afin
de déceler, éventuellement, le moment où il pourrait être temps de changer de
professeur, pour continuer la progression. Ce changement peut être difficile,
parce que l'enfant construit une relation privilégiée avec son professeur, mais
il faut néanmoins être vigilant dans la prévention de la stagnation. » Il
poursuit : « Dans le cas de Marika, ses leçons avec madame Gaudreau ont
maintenant pris fin et elle commencera en septembre 2003 à suivre des cours tous
les samedis dans le programme pre-college de l'école Juilliard à New York
(un programme qui accueille généralement les élèves à compter de l'âge de 17
ans). C'est en faisant des recherches pour un nouveau professeur que j'ai croisé
le nom de Yoheved Kaplinsky, qui est directrice du département de piano à
Juilliard. Nous sommes allés, depuis, quelques fois à New York, pour voir s'il
serait agréable à Marika de travailler avec ce professeur, pour voir si la
chimie allait opérer, mais c'est suite à une audition qu'elle a passée l'année
dernière qu'elle a été acceptée dans le programme. »
Si le père de Marika peut lui servir de guide dans
le complexe apprentissage de la pratique musicale et s'il semble si bien
connaître les règles à observer, on peut quand même dire qu'il a un peu d'avance
par rapport à la majorité des parents. « J'ai un certain avantage sur d'autres
parents parce que je suis moi-même musicien, explique-t-il. J'ai une bonne
compréhension de ce qu'est le monde professionnel de la musique, vers lequel
Marika se dirige, et je sais quelles sont les étapes qu'elle devra franchir.
Lorsque j'ai commencé à étudier la musique, je n'avais aucune idée de ce que
pouvait être la vie d'un musicien professionnel. Parce que, bien que ce soit un
travail passionnant et stimulant, il faut bien comprendre que c'est un
travail. Je pense que 95 % des musiciens ne savent pas ce qui les attend
au niveau professionnel et n'imaginent pas ce que c'est que d'être un musicien
d'orchestre jour après jour et soir après soir tout en continuant à cultiver la
passion. Je suis passé moi-même par Juilliard, à 19 ans, après deux ans en
Europe, mais j'ai réalisé trop tard que je n'avais pas en main les atouts
nécessaires pour répondre aux exigences de la vie professionnelle telle que je
l'avais envisagée. J'étais avec des étudiants qui fréquentaient Juilliard depuis
six ou sept ans, qui avaient déjà un nom et des contacts. J'ai terminé le
baccalauréat et la maîtrise et j'ai éventuellement développé d'autres intérêts,
parce que je savais que je ne voulais par devenir un professeur de violon ou un
musicien d'orchestre. J'ai donc changé de branche, mais je comprends bien ce qui
n'a pas marché dans mon parcours. Et je pense que je peux éviter à Marika de
répéter ces erreurs. »
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