Boucler la boucle - John Mac Master Par Wah Keung Chan
/ 3 septembre 2003
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« Vous avez beaucoup plus de voix que vous ne pensez », a
dit Lotfi Mansouri, alors directeur général de la Canadian Opera Company, au
Canadien John Mac Master en 1985. Dix ans plus tard, à la deuxième audition de
Mac Master, Mansouri l'a engagé pour le San Francisco Opera. Un nouveau ténor
dramatique canadien était né, aux côtés de Ben Heppner et de Richard
Margison.
Sur les conseils de Mansouri,
Mac Master est allée vivre à New York en 1986 pendant quelques mois. Il y est
resté 11 ans, travaillant comme chantre et directeur musical adjoint à l'église
St. John the Baptist. Durant cette période, Mac Master a continué à étudier, à
faire des auditions et à chanter. C'est là que Mac Master a rencontré sa femme,
alors qu'elle visitait la ville. « Nous avons célébré notre dixième anniversaire
cet été. Elle est chanteuse et artiste dans son âme et elle comprend ce que
j'essaie de faire. Je ne chante pour m'amuser. Je chante parce que je suis un
artiste et que je crois que je change le monde autant que je le peux en touchant
les gens sur les thèmes de l'amour, du bonheur et de la douleur. Je crois que
cette vocation vaut bien les efforts d'une vie. La vie d'un artiste, d'un
chanteur, est difficile. Nous n'avons pas ce stress dans notre couple.
»
« J'étais content et j'ai aimé
la musique religieuse. Du reste, j'étais très bien payé. J'aurais été heureux de
continuer, mais j'avais un rêve. Dès le début, j'avais ces aigus qui donnaient
du mal aux autres chanteurs. Je me suis dit que si je pouvais chanter ces rôles
en demande et difficiles à remplir, je me devais de continuer à les travailler.
J'ai essayé de raffiner les aigus pour obtenir une qualité de son valable.
C'était une question de maturité, il faut apprivoiser ces notes. Une partie de
ma voix travaillait, d'autres parties résistaient. »
La percée de Mac Master est
enfin venue après 10 ans passés à New York lorsqu'il a découvert un professeur
de chant, le Dr William Riley, grâce à un ami. « Il est toujours compliqué de
former les voix fortes. Les gens ont peu d'occasions de former des ténors
dramatiques et ceux avec qui je travaillais faisaient de leur mieux. Riley était
sur la même longueur d'onde que moi et il pouvait m'aider rendre cette grosse
voix vendable. L'important, c'est que votre voix soit aussi efficace que
possible. La résonance est la clé : essayer de trouver le bon espace à
l'intérieur pour qu'elle résonne correctement. Tout le monde parle de registre
et de la façon dont vous négociez le passage. L'efficacité dans le chant est une
question de résonances harmoniques. Exciter les harmoniques, donne au public
l'impression qu'il y a plus de son. Riley est un mélange de chanteur, de
corniste, de scientifique de la voix et de grand amateur d'opéra. Il comprend la
biologie et la technique. Il vous donnera trois ou quatre réponses à une
question, recourant tant à des images qu'à la physiologie. Il écoute avec une
oreille d'artiste. Il va à l'opéra et il écoute des disques. Cela a bien
fonctionné pour moi parce que nous avons des atomes crochus. »
Après un an et demi, Mac
Master s'est senti prêt et il a communiqué avec Dean Artists Management, qui l'a
ajouté à son équipe après quelques auditions. « Les agents sont importants pour
croire en vous et vous vendre. Ils peuvent vous rapporter ce que les gens disent
durant une audition, ce qui contribue à vous améliorer. Parfois, les compagnies
ne veulent pas vous dire directement pourquoi elles ne vous engagent pas.
»
Dean Artists a organisé la deuxième audition de Mac Master avec Mansouri. «
Je ne leur avais jamais parlé de la première. En 1995-1996, Mansouri m'a engagé
pour aller à San Francisco. Je chantais l'un des Juifs dans Salomé et
j'étais le remplaçant d'Hérode. L'année suivante, j'y chantais Égiste dans
Elektra. Et la troisième année, je remplaçais Peter Grimes et j'ai
commencé à travailler en Europe. Entre-temps, j'avais chanté le ténor italien
dans Phantom of the Opera à Toronto et sur Broadway. J'avais un contrat
avec le Volksoper de Vienne pour deux saisons. À Vienne, j'ai eu ma première
occasion de chanter Pollione dans Norma. J'ai ouvert leur saison dans le
rôle de Hoffegut dans Die Vögel de Braunfels. J'ai chanté Gregori dans
Boris Godounov et Ritter Blaubart dans Blaubart. Ma véritable
lancée est venue en Amérique du Nord, avec Peter Grimes à Détroit et à
Montréal (2001), I Pagliacci à Montréal (2002) et Glimmerglass et
Jenufa à
Toronto (2003).
Le retour à Montréal a été une
sorte de retour aux sources pour Mac Master. « Mon père travaillait pour le CN
et nous avons déménagé à Montréal quand j'avais une douzaine d'années. Je suis
né à Moncton et il y avait de la musique dans les écoles. J'allais à une école
française et le gouvernement provincial présentant chaque semaine une émission
de chants folkloriques acadiens à la radio. Grâce aux religieuses, j'ai compris
que j'aimais chanter. Puis, quand j'étais à l'École secondaire catholique Laval
à Chomedey, j'ai chanté dans un groupe rock (on faisait souvent du Queen) et
aussi dans un chœur rock. Pendant que je faisais un bac en théologie à Loyola,
je travaillais dans les églises, où je faisais de la musique liturgique
contemporaine. » Mac Master a chanté comme amateur dans le Chœur Saint-Laurent
et une année comme professionnel avec les Tudor Singers au côté de Ben Heppner.
« Grâce à une collecte de fonds pour l'église, je me suis retrouvé dans une
comédie musicale et j'ai été encouragé à étudier le chant. L'un des membres du
chœur, Kathryn Laurin, maintenant doyenne de la Faculté des beaux-arts à
l'Université de Regina, étudiait avec Jo-Anne Bentley à McGill et je pouvais
entendre la différence dans la texture de sa voix. Bentley m'a poussé à passer
l'audition à McGill, où j'ai étudié deux ans. Je n'ai pas terminé parce qu'à
l'époque, les possibilités étaient moins nombreuses qu'aujourd'hui. Alors, j'ai
fait l'audition à la Canadian Opera Company à Toronto et j'ai chanté dans le
chœur durant cinq ans. En même temps, je travaillais comme acteur au cinéma et
en publicité et je faisais des comédies musicales au Shaw Festival. Ma carrière
était active, mais à un certain niveau, pas plus. »
Maintenant au milieu de la
quarantaine, Mac Master en est à sa sixième année comme ténor réputé. Son
histoire est une inspiration pour les chanteurs en herbe de tous
âges.
« Pour être un artiste complet, il faut avoir quelque chose à dire. Pour être
un chanteur reconnu, il faut un timbre que les gens aiment entendre et trouvent
émouvant. Il faut une palette de couleurs pour exprimer différentes émotions. Le
son doit s'appuyer sur le souffle. C'est la seule chose qui va ressembler à du
chant, un legato, plutôt qu'à la parole. Il faut de l'endurance
pour passer à travers les longues journées de répétition. Il faut être en forme
physiquement et être constant. Le défi d'une carrière internationale, c'est que
vous voulez faire partie du 1 % des gens qui réussissent. Ce qui vous rend plus
attirant se joue parfois dans les nuances : la voix, la musicalité, l'art, la
préparation, la discipline, la longévité aussi. C'est avoir beaucoup de succès
la plupart du temps. L'essentiel pour un jeune chanteur est de se demander quel
est le petit détail qui manque, qui fait dire à une personne qu'elle ne l'engage
pas. »
Quels chanteurs ont inspiré Mac Master ? « J'ai beaucoup aimé le soleil dans
la voix de Pavarotti et la couleur de son instrument. J'ai commencé à écouter
Gigli, Wunderlich, Gedda et Georges Thill et j'ai compris qu'il existe un large
éventail, que la gamme des rôles et des voix est incroyablement diverse. À mes
débuts, à cause de mes aigus, je regardais du côté de La Fille du
Régiment et de L'Elisir d'amore. À l'époque, je ne pouvais rêver de
chanter les rôles que je fais maintenant. Je n'aurais pu imaginer que je
chanterais Pagliacci, encore moins Peter Grimes, que j'avais vu comme étudiant. Je m'étais
dit que c'était un rôle énorme parce que le personnage est très intéressant sur
le plan psychologique. Jon Vickers a été une inspiration au cours de ces
années.
« Aujourd'hui, j'aimerais chanter tout Fidelio, faire Otello à
un certain moment, Énée dans Les Troyens, ou Benvenuto Cellini et
Bacchus dans Ariadne auf Naxos. Les grands rôles de Massenet
m'intéressent également. Il y a ce je-ne-sais-quoi de noble et de sensuel dans
le grand opéra français. Ce serait merveilleux si certaines compagnies ayant un
bon public francophone faisaient des choses comme Les vêpres siciliennes,
la version originale en français, ou Le Trouvère, ou Salomé en
français (Nagano l'a fait), ou Jérusalem au lieu d'I Lombardi.
Et Wagner ? « J'ai déjà chanté Erik dans le Vaisseau fantôme de Wagner
à Vancouver. En 2005-2006, je chanterai Walter et je serai le remplaçant du
rôle-titre dans Tannhäuser. Pour plus tard, les rôles de Siegfried et de
Tristan me tentent beaucoup. Il est important de savoir où vous voulez aller. Je
ne souhaite pas être catalogué comme un heldentenor qui ne chante que des rôles de Wagner en
allemand. J'aime trop les rôles dramatiques de l'opéra italien et français.
»
En 2003-2004, Mac Master participera au concert-bénéfice de La Scena
Musicale (le 17 septembre, (514) 948-2520) et il chantera Calaf dans
Turandot à l'Opéra de Québec (en octobre), Sweeney Todd au Calgary Opera
(le 31 janvier et les 4 et 6 février 2004), Il Trovatore avec l'Orchestra
London (6 mars 2004), Pagliacci à Opera Pacific en Californie et la
Neuvième de Beethoven avec l'Orchestre symphonique
de Toronto.
[Traduction de Alain
Cavenne]
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