Victoriaville : 20 ans de musique actuelle Par Réjean Beaucage
/ 5 mai 2003
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Au moment où le Festival international de musique actuelle de Victoriaville
(FIMAV) tient sa 20e édition, un regard sur son histoire nous permet d'aborder
un peu mieux le concept assez flou de musique actuelle. Tentative de description d'une
musique qui ne se laisse pas cerner sans résister !
L'expression musique actuelle englobe, tout comme l'expression
musique contemporaine, une grande variété de styles, de courants et de
chapelles qui partagent certaines caractéristiques. On peut sans doute parler,
comme dans le cas du jazz, d'une grande famille dont chacun des membres peut
suivre un chemin distinct de celui que suivent les autres (qu'on pense par
exemple à John Coltrane et Diana Krall...). Qu'est-ce donc alors que la musique
actuelle ? Une discussion avec Michel Levasseur, directeur général et artistique et fondateur du FIMAV devrait
nous aider à comprendre le phénomène.
Lorsque je lui demande pourquoi avoir choisi le nom « Festival de musique
actuelle de Victoriaville » (le mot international ne s'ajoutera qu'à la
troisième édition) et, plus spécifiquement, ce que signifiait à cette époque
l'expression musique actuelle, Levasseur répond : « Nous n'avons pas
inventé le terme, mais, à ce moment-là, la musique actuelle se définissait déjà
plus clairement par ce qu'elle n'était pas... Ce n'était pas la musique que l'on
entend à la radio commerciale, mais pas non plus de la musique contemporaine
institutionnelle. À ce moment-là, en 1981, je revenais d'un séjour de sept ans
en Écosse, séjour durant lequel j'ai découvert l'existence du guitariste
Derek Bailey(1) et de sa Company ainsi que de la
formation Henry Cow(2). » À travers ces trois découvertes apparaissent déjà les
grandes lignes de ce qui définira la musique actuelle : l'improvisation, le jazz
et le rock d'avant-garde.
Le développement exponentiel du marché du disque à partir des années soixante
est en grande partie responsable de l'éducation musicale de plusieurs
protagonistes de la scène de la musique actuelle. Lorsque sont devenus
disponibles, souvent dans les mêmes endroits, des enregistrements des pionniers
du jazz et de la musique classique ou contemporaine, et d'autres de chanson
française, de rock, de musique western ou de musique du monde, de nombreux
compositeurs en devenir ont pu compléter leur formation, littéralement, au
magasin du coin. C'est cet amalgame de tous les styles possibles qui forge la
base de la musique actuelle et ceux qui la pratiquent se
caractérisent souvent par des changements de style complet d'un projet à
l'autre, le dosage des influences se modifiant aussi au gré des collaborations.
Les recours fréquents, mais non-exclusifs, à l'art du collage et à
l'improvisation, l'engouement postmoderne pour la relecture, et l'ouverture sur
tous les possibles ne produisent évidemment pas une musique facile à décrire en
quelques mots !
Toujours sur la genèse du festival, Michel Levasseur poursuit : « L'année
précédant la mise sur pied du festival, nous avions déjà produit une série de
concerts. Puis nous avons développé des liens avec d'autres producteurs à
Montréal et à Québec, ce qui constituait déjà un circuit pouvant permettre
d'inviter plus aisément des artistes étrangers. Ce circuit était constitué entre
autres de galeries spécialisées en art actuel – ce terme s'appliquait
surtout aux arts visuels. C'est ce qui nous a fourni l'idée du nom du festival
que nous avons mis sur pied en 1983. J'ai appris par la suite qu'il y avait eu à
Montréal en 1961 un festival de musique actuelle organisé par Pierre Mercure !
L'important pour nous était surtout de trouver autre chose que festival de
jazz, beaucoup trop restrictif, et musique actuelle était pour nous, qui avions des goûts
très diversifiés, synonyme d'ouverture. »
Si Pierre Mercure n'a pas réussi à donner à son festival montréalais la
récurrence qu'il aurait souhaité pouvoir lui assurer, c'est par un juste retour
des choses que l'on peut voir parmi les 13 concerts formant la programmation du
1er Festival de musique actuelle de Victoriaville (du 1er au 4 décembre 1983),
celui de l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM), qui interprète entre autres
une oeuvre de... Pierre Mercure. La petite histoire retiendra ironiquement que
le festival à la programmation musicale la plus iconoclaste doit probablement la
vie à un orchestre que d'aucuns trouvent bien conservateur ! Michel Levasseur
explique : « Le festival devait au départ se tenir au mois d'octobre, mais en
juillet, toutes nos demandes de subvention avaient été refusées... Malgré tout,
j'ai eu l'idée d'aller voir l'OSM, alors j'ai contacté Frank Dans,
qui était à l'époque administrateur de la musique, pour lui expliquer le projet.
Il s'est avéré que cela entrait tout à fait dans les plans de rayonnement
régional de l'OSM, mais la seule date disponible était en décembre...
Évidemment, lorsque je suis revenu à Victoriaville, la confirmation de la
participation de l'OSM a grandement contribué à faire débloquer les choses. Nous
avons pu déplacer les 12 autres concerts et la première édition du festival
s'est tenue en décembre ! » L'OSM est également de la deuxième édition du
festival, en 1984.
Regard sur les programmations
Il n'y a qu'une seule constante
au fil des 20 programmations qu'a produites jusqu'à maintenant Michel Levasseur
: l'éclectisme. Les frontières entre les genres, qui se sont peu à peu estompées
ces dernières années, étaient encore assez claires durant les premières années
du festival. Le mélange de concerts de jazz, de rock, de musique contemporaine
et de musique du monde qui attendait les spectateurs indiquait déjà la direction
qu'allaient emprunter par la suite plusieurs artistes en créant des musiques
hybrides qui incorporent tous ces genres. On trouve, dans les trois premières
éditions du festival, l'OSM, déjà mentionné, mais aussi le Quatuor de saxophones
de Montréal ou I Musici, côtoyant les musiques aux inspirations rock des René
Lussier, Skeleton Crew et autres Wonder Brass. Les années passant, la notoriété
du festival s'est accrue et s'y sont succédés de grands artistes tels Cecil
Taylor ou Terry Riley et de nombreux autres dont la carrière s'est développée
parallèlement.
Évidemment, on ne saurait passer
sous silence le rôle important qu'a joué le FIMAV dans le développement de la
musique d'ici en permettant au public de découvrir des artistes étrangers qui
n'auraient tout simplement pas été invités ailleurs, mais aussi en offrant une
visibilité importante à des artistes et ensembles locaux. Jean Derome, Martin
Tétreault, Michel F.Côté, André Duchesne ou Diane Labrosse, qui forment avec
quelques autres le collectif montréalais Ambiances Magnétiques, ont trouvé à
Victoriaville un terreau particulièrement propice au développement de leurs
projets. L'Ensemble contemporain de Montréal, le N.O.W. Orchestra de Vancouver
ou le Evergreen Club de Toronto ont aussi transité par Victoriaville, comme Tim
Brady, John Oswald, Joseph Petric ou Marc Couroux.
La 20e édition du FIMAV propose
encore un mélange des styles musicaux les plus divers et le nombre de
festivaliers ne cesse de croître. Sont au rendez-vous cette année les vétérans
de la première heure : René Lussier accompagné de huit musiciens, Fred Frith
avec le Nouvel Ensemble Moderne, John Zorn qui présente deux projets différents.
Plusieurs autres artistes font aussi un retour au festival, mais d'autres y sont
pour la première fois. Même chose, sans doute, du côté du public, mais pour
tous, sur la scène ou dans la salle, un seul but : le plaisir de la découverte
!
20e
Festival international de musique actuelle de Victoriaville, du 15 au 19 mai.
Info. : (819) 752-7912 – www.fimav.qc.ca
(1) Derek Bailey :
compositeur et guitariste britannique né en 1930 qui a été interprète dans
toutes les situations imaginables avant de se tourner exclusivement vers
l'improvisation à partir de 1965. Il a formé la Company, un ensemble à géométrie
variable incorporant des musiciens improvisateurs provenant des horizons les
plus divers, en 1976.
(2) Henry Cow : ensemble
fondé en 1968 par le clarinettiste Tim Hodgkinson et le guitariste Fred Frith.
Influencé par les courants les plus expérimentaux du rock et du jazz, mais aussi
par les « musiques savantes », Henry Cow deviendra le phare du mouvement
contestataire européen appelé Rock In Opposition, directement à la source de ce
que l'on appelle aujourd'hui musique actuelle.
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