Véronique Lacroix : Chef de file ! Par Réjean Beaucage
/ 5 mai 2003
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Rencontre avec Véronique Lacroix, directrice
artistique de l'Ensemble contemporain de Montréal (ECM) afin de mieux comprendre
le parcours d'une directrice d'ensemble devenue incontournable.
Originaire de Chicoutimi, dans
la région du Saguenay, Véronique Lacroix est de celles qui ont commencé l'étude
de la musique dès le plus jeune âge. « Ma mère était musicienne,
explique-t-elle. Elle jouait du piano et du violoncelle. Comme dans bien des
familles québécoises, mon grand-père faisait de la musique et ma grand-mère
chantait, mais personne ne pratiquait la musique professionnellement. Ma mère a
choisi d'engager ses trois enfants assez tôt dans les études musicales et j'ai
moi-même débuté à l'âge de quatre ans au violon avant de passer à la flûte vers
l'âge de neuf ans. L'ouverture du Conservatoire de musique de Chicoutimi était
encore toute récente et on avait décidé d'y admettre à titre expérimental de
très jeunes élèves. J'y suis donc entrée à l'âge de cinq ans ! Je dois beaucoup
à Rosaire Simard, le professeur qui m'enseignait le solfège depuis mon entrée au
Conservatoire et connaissait donc bien mon évolution et mes aptitudes
particulières. Il dirigeait aussi la chorale et un jour, à la fin d'une
répétition (je devais avoir 16 ans), il m'a dit qu'il me verrait bien en chef
d'orchestre ! »
On comprend que même à cette époque pas si lointaine, il n'y avait guère de
modèles pouvant pousser une jeune fille à choisir la carrière de chef
d'orchestre. Une image aussi audacieuse ne pouvait provenir que d'un véritable
visionnaire ! Véronique Lacroix a donc accepté l'année suivante de devenir
l'assistante de son professeur à la direction de la chorale et, un peu plus
tard, le professeur étant lui-même requis en tant que chanteur, elle a dirigé le
Requiem de Mozart, ce qui a été sa première grande
expérience de direction. Un peu plus tard, alors qu'elle avait tout juste 18
ans, le chef sortant de l'Orchestre des jeunes de Chicoutimi lui a offert la
direction de l'ensemble. Les études de flûte terminées au Conservatoire de
Chicoutimi, Véronique Lacroix décidait de poursuivre ses études à Montréal en
techniques d'écriture (harmonie, contrepoint, fugue) en préambule à une
inscription à la classe de direction d'orchestre qui a été plus rapide que
prévu. Elle raconte : « J'avais sans doute fait l'audition pour entrer en
direction en croyant que l'attente serait longue, mais dès la deuxième année, en
1986, on m'a dit que Raffi Armenian m'avait choisie et que j'étais la seule.
J'ai accepté, puis quelque temps après, Clermont Pépin, alors mon professeur de
contrepoint, m'a suggéré de fonder mon propre ensemble, arguant qu'il suffisait
pour ce faire de réunir quelques collègues. C'est ainsi qu'est né en 1987
l'Ensemble contemporain du Conservatoire, qui allait devenir en 1991 l'ECM. »
Véronique Lacroix, débordante d'énergie, n'allait pas se satisfaire d'un seul
ensemble et, entre 1987 et 1996, on la retrouvera à la tête de l'Orchestre
symphonique des jeunes du West Island, de l'Opéra Comique du Québec, de
l'Orchestre CAMMAC, de l'Orchestre symphonique Joliette de Lanaudière, et du
Scarborough Philharmonic (Ontario) !
Musique contemporaine ?
Le premier concert de l'Ensemble contemporain du Conservatoire mettait au
programme une sérénade de Mozart pour deux hautbois, deux clarinettes, deux cors
et deux bassons, et une oeuvre d'Anthony Rozankovic, alors étudiant en
composition, qui requiert la même instrumentation. Ce programme réunissant un
compositeur classique et un contemporain annonçait déjà les concerts thématiques
qu'affectionne l'ECM. Ce goût pour la musique contemporaine ne semble-t-il pas
soudain ? « À vrai dire, il remonte à loin, répond Véronique Lacroix. C'est par
ma formation de flûtiste que j'ai abordé cette musique. Mon professeur, Jean
Morin, qui m'a enseigné pendant près de 10 ans, avait beaucoup de partitions de
musique du XXe siècle. Je crois que j'avais 13 ans lorsqu'il m'a demandé de
jouer la Danse de la chèvre (1921) d'Arthur Honegger, pour flûte
seule. J'ai trouvé qu'il y avait là des sonorités particulières, mais il était
tout aussi normal pour moi d'apprendre cette oeuvre que toute autre du
répertoire. Je crois que c'est en grande partie grâce à ce professeur que j'ai
développé une certaine ouverture d'esprit pour la musique d'aujourd'hui. Je me
souviens aussi d'avoir été marquée, vers l'âge de 16 ans, par la lecture du
livre d'Odile Vivier sur Varèse (Éditions du Seuil, collection Solfèges, s.l.
1973). Pour moi, il allait de soi qu'un compositeur, au XXe siècle, soit un
témoin de la modernité, et il était tout aussi naturel de s'intéresser, en tant
qu'interprète, directrice d'ensemble ou même public, aux musiques d'aujourd'hui.
»
La directrice artistique s'est fait un point d'honneur de concevoir pour
l'ECM des programmes où Mozart rencontre Rozankovic, où Stravinski offre
l'instrumentation de l'Histoire du soldat à Estelle Lemire et Varèse,
celle d'Octandre à Jean Lesage. Le premier concert que l'ECM a donné en
1991 sous cette nouvelle appellation s'intitulait "Siegfried... Un matin sur
terre" et proposait évidemment Siegfried Idyll (1870), de Wagner, mais
aussi la Suite lyrique (1926) de Berg et des créations de Marc Hyland et de Liette Yergeau.
La thématique du concert était "l'art total" et il y avait donc, déjà, de la
danse et des oeuvres visuelles sur scène. La pratique multidisciplinaire a par
la suite fréquemment été au centre des événements organisés par l'ECM. « J'évite
de refaire la même chose deux fois, explique Véronique Lacroix. Après avoir
conçu quelque chose, je préfère briser le moule pour devoir en faire un nouveau
par la suite ! »
Pousser la réflexion
On a vu en 2002 que le volet classique des concerts thématique de l'ECM se
rapprochait de plus en plus dans le temps, et si le concert "Cage en liberté"
présentait, bien entendu, des oeuvres de John Cage (toujours mêlées à des
créations de jeunes compositeurs d'ici), c'est à Steve Reich que l'on a confié
cette année le rôle du grand ancêtre. Pour le concert "Unions Libres II",
étonnamment, Véronique Lacroix a choisi de réinviter les mêmes compositeurs qui
participaient en 2000 à "Unions Libres". « C'est là la surprise,
explique-t-elle, parce que tout le monde pensait qu'on inviterait d'autres
compositeurs ! Mais aussi, ça leur donne l'occasion de pousser plus loin leur
réflexion sur la multidisciplinarité, dont la pratique est un véritable défi en
soi. » Cette fois encore, les compositeurs invités sont jumelés à d'autres
artistes avec qui ils ont conçu les oeuvres que nous pourrons voir et entendre.
Au programme : L'union à la une, de Sean Ferguson et de Nathalie Mamias,
écrivaine ; Dialogue sur d'infimes souvenirs, de Michael Oesterle et de
Christine Unger, peintre ; Musique et film II, de Yannick Plamondon et de
Justin Antippa, cinéaste ; Projets d'opéra, d'André Ristic et de Frédéric
Saint-Hilaire, vidéaste. On présentera également en prélude à ce concert déjà
bien rempli Six Pianos de Steve Reich et Piano Remix de Louis Dufort, qui s'inspire directement
de l'oeuvre de Reich. Le vidéaste Yan Breuleux ajoutera sa touche à ces deux
oeuvres. Après le prix Opus 2002 de l'événement musical de l'année décerné
l'automne dernier par le Conseil québécois de la musique pour le concert "Cage
en liberté" et le Grand Prix du Conseil des arts de Montréal que l'ECM a reçu en
mars dernier pour le même concert, l'ensemble et sa directrice artistique sont
gonflés à bloc et prêts, plus que jamais, à nous en mettre plein la
vue.
ECM - "Unions Libres II"
- Événement-bénéfice : mardi 6 mai, 18 h 30, Salle Pierre-Mercure du Centre
Pierre-Péladeau, 300, boul. de Maisonneuve Est, Montréal. Info : (514)
524-0173 ou
www.ecm.qc.ca.
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