Une intégrale Byrd par Rachelle Taylor Par Christopher Bakervale
/ 5 mai 2003
Si vous croyez ne trouver dans la musique anglaise de
l'époque élisabéthaine que de gentilles chansonnettes, des danses vieillottes et
des morceaux d'ambiance pour les anciennes pompes de la cour, c'est que vous
n'avez pas entendu la musique de William Byrd. Il a créé une oeuvre dont
l'ampleur se compare aisément à la production dramatique de son illustre
contemporain William Shakespeare. Tout comme les mots prononcés par les
personnages puissants et colorés de Shakespeare, la rhétorique musicale de Byrd
« attire l'auditeur comme si des chaînes d'or le liaient par les oreilles.
»
Auteur de près de 120 pièces pour clavier solo et de centaines d'autres
oeuvres instrumentales ou vocales, la musique de clavier de Byrd est à la fois
spirituelle, drôle, poignante, grave, rustique et raffinée. Si tous ces
caractères sont parfois réunis dans une même pièce, il arrive aussi qu'une
intention ou une sonorité particulière soit mise en valeur. Byrd se meut à
l'intérieur d'une vaste palette expressive de la beauté austère des arrangements
de plain-chant à l'extravagance de The Battle, pièce très prisée des
auditoires, où on peut entendre le son nasillard de l'arpichordium (buzz
stop) du virginal, dans les mouvements évoquant les trompettes ou la flûte
et le tambour.
Variations sur des airs populaires
Comme l'écrivait Davitt Moroney dans les notes de livret de ses
enregistrements de l'oeuvre de clavier du compositeur, Byrd devait être un «
joyeux luron » ! Il a écrit 14 séries de variations, de longueur variable
(normalement entre 6 et 9 variations), sur des chansons élisabéthaines.
Mentionnons entre autres John come kisse me now, Sellinger's
Rownde, The Ghost, Fortune my foe.
De temps à autre, Byrd s'est amusé à insérer des bribes de ces pièces connues
dans certaines de ses compositions plus sérieuses.
Grounds
D'aucuns soutiendront que le terme de variation pourrait s'appliquer à
toute la musique de clavier de Byrd. Un ground (ou basse obstinée) est
une série de notes répétées invariablement à la basse et sur laquelle un certain
nombre de divisions (motifs de formes diverses, plus ou moins complexes)
sont développées, dans les parties supérieures, à l'intérieur du cadre
harmonique de la basse. Byrd a composé 11 grounds dont The Bells,
fameuse construction reposant sur un ground de 2
notes seulement !
Le grand cycle des pavanes et gaillardes
Ici, le terme grand s'applique autant à la qualité qu'à la dimension.
Byrd a écrit 24 couples de pavanes et gaillardes auxquels s'en ajoutent quelques
autres composées à part ou qui ne forment pas de couples. La pavane est une
danse à 2 temps, grave et majestueuse, divisée en trois sections comportant
chacune une reprise ornée. Quant à la gaillarde à 3 temps, voici la définition
qu'on en donnait au XVIe siècle : « C'est une danse plus légère et d'un
caractère plus agité que la pavane... » La gaillarde établira donc un agréable
contraste avec la solennité de la pavane. Byrd a appliqué à ces danses un
traitement semblable à celui qu'appliquera Bach dans ses suites de danses
françaises. Même si la structure originelle et le caractère fondamental des
danses demeurent clairement perceptibles, les pavanes et gaillardes de Byrd sont
des oeuvres purement instrumentales, affranchies de leur fonction
d'accompagnement.
Autres danses
Bien que moins en évidence que les pavanes et les gaillardes, on trouve
quelques autres types de danses dans les oeuvres de clavier de Byrd. Ce sont
l'imposante et élégante allemande, la tout aussi élégante mais vive courante,
auxquelles s'ajoutent des danses plus populaires comme la jig et le
hornpipe.
Arrangements de plain-chant
Le plain-chant (cantus planus, en latin) désigne le riche corpus de
chants monodiques utilisés dans l'ensemble de la liturgie (messe et office),
catholique comme anglicane. Il n'est toutefois pas toujours certain qu'à
l'époque, les arrangements de plain-chant de Byrd fussent nécessairement
exécutés dans le cadre de messes ou d'offices liturgiques. Quoi qu'il en soit,
ces pièces sont souvent l'expression de l'époustouflant génie contrapuntique de
Byrd.
Fantaisies
La fantaisie (également appelée fancie, voluntarie,
lesson ou verse, dans la terminologie de Byrd) n'est ni une danse,
ni une variation sur un air populaire ou une pièce de plain-chant. Elle fut
décrite en ces termes par Thomas Morley, en 1597 : « La toute première sorte de
musique qui ne contient pas d'air connu [...], c'est-à-dire, lorsqu'un musicien
prend un motif à sa guise, le retourne et le triture à loisir pour en faire une
musique entièrement différente [...]. » Byrd a composé 11 fantaisies basées sur
différents petits motifs en imitation qui glissent les uns à la suite des
autres. Toutefois, malgré le caractère abstrait des fantaisies et le fait qu'on
n'y retrouve normalement pas d'air connu, Byrd n'a pas pu résister, ici ou là, à
inclure des rythmes de danse ou à insérer des airs populaires dans les mailles
de ses fantaisies. C'est ainsi que l'on peut y reconnaître, entre autres, l'air
intitulé Sicke, sicke, and very sicke...
Ce mois-ci, à la cathédrale Christ Church, la claveciniste Rachelle Taylor
débutera un marathon de concerts de 3 mois qui réuni pour la première fois à
Montréal l'oeuvre complète de clavier de William Byrd. Cette série de 11
récitals est intitulée Byrd in the Hands: The Complete Keyboard Music of
William Byrd. On pourra y entendre des variations sur des airs populaires,
des fantaisies, des arrangements de plain-chant, une oeuvre à programme
intitulée The Battle ainsi que divers grounds, rondes et danses de cour, incluant le cycle
magistral des pavanes et gaillardes. Les récitals seront joués sur 4 instruments
à clavier différents, ainsi que le faisait Byrd : le clavecin, le rond et
grondant virginal, la délicat clavicorde et le mélodieux orgue de
chambre.
Vous avez dit "espionnage" ?
Une journée entière de conférences, prononcées par des experts, se tiendra le
3 mai à la Salle Clara Lichtenstein. Cette série de conférences, intitulée
Byrd in Context, portera sur les idées et les réalités propres au monde
dans lequel Byrd a vécu (de la fin du règne des Tudor et du début de celui des
Stuart). Les quatre conférenciers aborderont des sujets aussi variés que la
culture musicale et le vaste système d'espionnage pour lequel plusieurs artistes
et compositeurs furent recrutés. Deux concerts suivront en soirée à la
cathédrale: Byrd Songs, à 17h (Messe pour quatre voix et motets pour la
Toussaint) et Sacred Byrd, à
21h (oeuvres sacrées polyphoniques et pièces de clavier)
[Traduction by
L. Neuville-Farna]
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