L'année des héroïnes de Renée Fleming Par Wah Keung Chan
/ 3 avril 2003
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Depuis sa parution en couverture de La Scena Musicale (en novembre
2000), la soprano Renée Fleming est devenue la première diva de la planète. Un
dessert porte son nom et le gouvernement australien a nommé un lis en son
honneur. Peu encline à se reposer sur ses lauriers, la soprano s'attaque à du
nouveau répertoire. Son récent disque, couronné d'un Grammy, est consacré au
bel canto et on la voit en 2002-2003 dans trois nouveaux rôles : Il
Pirata (Metropolitan Opera), Thaïs (Chicago Lyric) et Violetta dans
La Traviata (Metropolitan Opera). LSM lui a parlé à la fin de janvier, alors qu'elle
préparait le rôle de Violetta, qu'elle devait à l'origine chanter à ses débuts
au Met en 1998.
Trois premières en une saison : c'est beaucoup pour une seule
personne.
Je parle de mon année des
héroïnes, parce que ces trois rôles en une même saison, c'est angoissant. Le
défi est énorme et le plus gros s'en vient. C'est aussi merveilleux. J'éprouve
une grande fébrilité lorsque je fais quelque chose de nouveau. Tout au long de
ma carrière, je me suis cachée derrière des rôles obscurs du répertoire –
Pirata, Alcina, Rusalka, Thaïs – et soudain, je chante Violetta. C'est tout un
choc. J'ai commencé à travailler ce rôle en 1998 et je l'avais déjà passablement
maîtrisé, je ne pars pas à zéro. J'ai beaucoup plus d'expérience aujourd'hui et
cela aussi entre en jeu. Violetta sera beaucoup plus riche qu'elle ne l'aurait
été il y a cinq ans.
Comment vous préparez-vous ?
À la base, il s'agit d'apprendre
le rôle, de le répéter et de l'imaginer. L'imagination est le plus important.
J'écoute de nombreuses interprétations de toutes sortes. Quelqu'un vient de me
donner un enregistrement du quatrième acte avec Claudia Muzio, j'attends une
version avec Rosa Ponselle. J'aime beaucoup connaître l'histoire d'une
interprétation.
Quelle est votre interprète préférée jusqu'ici ?
Je n'ai pas encore entendu Muzio et Ponselle, mais, jusqu'ici, je dirais que
c'est Callas. Elle donne vie au personnage. Si Violetta ne vous brise pas le
coeur, alors il manque quelque chose. J'ai vu cet opéra assez souvent pour
savoir qu'il ne fonctionne pas tout seul comme La Bohème ou Le Nozze
di Figaro. Tout est dans l'interprétation, autrement ça ne lève
pas.
Est-ce que vous vous inspirez de vos expériences personnelles
?
Je ne crois pas avoir une
expérience personnelle comparable à celle de Violetta – mais il s'agit
d'émotion, d'espoir, de vulnérabilité, de perte.
Votre divorce ?
Ce n'est pas la même chose. Elle
l'aime jusqu'à la mort, elle choisit de faire ce qui est juste. La douleur que
j'ai éprouvée dans cette période de ma vie marquera certainement ce rôle, comme
tout ce que je fais maintenant sur scène : le passé de tout le monde marque pour
toujours, non dans le sens de l'expérience, mais sur le plan
affectif.
Quels sont les principaux défis sur le plan vocal ?
Le plus difficile, c'est que le rôle semble avoir été composé pour trois
personnes différentes. Les premières oeuvres de Verdi sont extrêmement
exigeantes. Elles ne contiennent pas seulement des passages, elles
sont des passages ininterrompus. Il faut chanter sans
pause durant de longues périodes, comme dans l'aria du premier acte. C'est très
difficile. Il faut alors travailler les muscles jour après jour jusqu'à ce qu'on
se sente à l'aise. C'est long et ce n'est pas facile. Il faut beaucoup
travailler le texte et le style. Je travaillerai avec Renata Scotto. Je n'écoute
pas les interprétations des autres pour les imiter, mais pour mieux comprendre
tout ce qui a été fait dans le passé. Maintenant, j'en suis au stade des
détails.
Le nouveau répertoire présente-t-il pour vous de nouveaux défis
artistiques ?
Je ne vois pas comment une saison pourrait comporter plus de défis. Pour ce
qui s'en vient, j'ai Cappriccio, Daphné et Rodelinda. Cet
été, je ferai de nouveau A Streetcar Named Desire.
Beverley Johnson, votre professeure depuis longtemps, est décédée il y a
deux ans. Avez-vous réussi à trouver une autre oreille ?
Cette saison, j'ai décidé de
régler la question, alors je travaille avec quelques personnes et je me sens
assez bien. C'est une décision tellement personnelle ! Je ne voulais pas qu'un
professeur change ce que je fais, je voulais poursuivre – dans un processus un
peu différent, peut-être. Pour ce qui est des aspects musicaux et dramatiques,
je ne peux pas dire ce qui se passe : j'ai besoin de quelqu'un dans la salle.
L'une de mes plus grandes frustrations, c'est de ne pas pouvoir être dans la
salle à m'écouter, ce serait tellement plus facile !
Comment avez-vous trouvé ce soutien ?
Ce sont des personnes que je
connaissais déjà. Je crois fermement que les chanteurs devraient consulter cinq
professeurs différents et voir avec qui ils s'accordent le mieux. Il est
important que le professeur s'intéresse vraiment à la voix, à l'élève, qu'il
existe une sympathie, que même si vous ne partagez pas encore une terminologie
commune, il y ait au moins un terrain d'entente. Parfois, il faut des mois pour
vraiment comprendre ce qu'une personne vous dit. L'art du chant est tellement
mystérieux, intangible, que nous devons utiliser des images et des analogies
pour le décrire. En fait, c'est une question individuelle. Je ne crois pas qu'un
même professeur convienne à tout le monde.
Vous avez parlé d'une « visualisation du vol » dans une autre
entrevue.
Je parlais de ma voix. Lorsque je chante une phrase, je « l'imagine » comme
un voyage dans l'espace : elle a une forme, le son lui-même prend son essor.
C'est beaucoup plus facile dans les Quatre Derniers Lieder [de Richard Strauss] que dans
ce répertoire. Lorsque le répertoire est aussi difficile sur le plan technique,
je dois me concentrer sur la façon d'aborder l'oeuvre physiquement, avec mon
corps.
Des conseils ?
Je conseillerais aux jeunes
chanteurs de toujours travailler la technique, et de le faire avec les bonnes
personnes. Si un jour vous avez la chance d'être en demande, alors que vous
n'avez pas la technique, vous ne pourrez jamais tenir le coup. La clé, c'est le
chant. Leontyne Price m'a dit : « Peu importe que les gens insistent pour
t'avoir, que le téléphone sonne sans arrêt, que tout le monde parle de toi, tout
cela disparaîtra en cinq minutes s'il arrive quelque chose à ta voix.
»
Faites-vous très attention à votre choix de répertoire ?
Je peux me féliciter à ce sujet,
j'ai été assez prudente. Je n'ai jamais été tentée par le répertoire qui ne me
convient pas. Par exemple, je n'ai pas assez d'étoffe dans le registre moyen
pour chanter Wagner. Pas maintenant, plus tard peut-être.
Vous commencez à vous intéresser à autre chose que
l'opéra.
Je suis allée à l'émission de Garrison Keillor à la radio et j'ai fait un
numéro comique. Je me suis tellement amusée ! Je lui ai dit qu'il venait de
créer un monstre ! Maintenant, je voudrais faire des comédies à la télé, j'y ai
pris un tel plaisir ! [Traduction d'Alain Cavenne]
Renée Fleming chante des airs d'opéra dans l'événement Signature de
L'Opéra de Montréal, « Renée Fleming en concert », le 6 avril. (514) 985-2258.
Son dernier disque avec Bryn Terfel est consacré à la comédie musicale et un
disque de jazz fait l'objet de discussions.
Gagnez des CD de Renée Fleming, une gracieuseté de Universal, en visitant
www.scena.org.
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