Yannick Plamondon : portrait du compositeur au carrefour Par Lucie Renaud
/ 2 mars 2003
Le 6 mars prochain, le jeune compositeur Yannick Plamondon rayonnera de
fierté : il recevra le prix Jules-Léger 2002, une des plus hautes distinctions
honorifiques accordées à la musique de concert au Canada, et le Klangforum de
Vienne, un des ensembles de musique contemporaine les plus respectés
mondialement, interprétera une de ses oeuvres, Autoportrait sur Times
Square. Malgré une carrière en
pleine ascension, le compositeur de 32 ans au parcours éclectique ne s'enfle pas
la tête. Celui qui admet travailler doublement lorsque provoqué, « écorché »,
jette un regard enflammé mais lucide sur le monde de la musique
contemporaine.
Il insiste d'abord sur la
nécessité de rendre accessible la musique contemporaine. « Je regarde la culture
comme un phénomène global. Prenons l'exemple de la recherche en pharmacie : on
ne peut affirmer que la seule recherche valable est celle qui produit des
médicaments et nier l'utilité de la recherche fondamentale. C'est ridicule ! La
musique, selon moi, fonctionne de la même manière. La composition dans son
ensemble, par le travail du compositeur, par la réalisation d'un ensemble
d'univers poétiques, alimentera nécessairement la culture. Je ne crois pas ceux
qui affirment qu'ils n'ont pas besoin de cette recherche fondamentale-là.
»
Plus que tout, Plamondon dénonce
l'ignorance ambiante – particulièrement celle, inacceptable selon lui, des
critiques des grands quotidiens, qui ne font qu'étaler leur « méconnaissance de
la situation de la musique de concert » – entretenant le mythe des gens du
milieu dissociés du reste du monde. Même si la plupart des ensembles de musique
contemporaine du Québec remplissent à demi leurs salles (la situation serait
bien pire à Toronto selon Plamondon, qui y a passé une partie de la dernière
année), un public non négligeable montre un intérêt soutenu pour les nouvelles
oeuvres, mais privilégie le confort du salon pour les découvrir, grâce aux
émissions de radio spécialisées et aux disques. (La Chaîne culturelle et Radio
Two sont d'ailleurs les coproducteurs d'une monographie des oeuvres de musique
de chambre de Plamondon, qui sortira ce mois-ci.) « Ma musique est valable. Il y
a des gens qui écoutent ce que moi et d'autres collègues faisons. Avoir
l'impression que c'est une musique d'initiés est la seule gêne du public.
Pourtant, cette musique ne fait pas appel à la connaissance, au savoir. On n'a
pas le temps d'écouter et de saisir comment la pièce a été construite. Ça
s'adresse d'abord aux sens : tu ouvres les oreilles, tu laisses la musique
entrer et ça marche ! »
Même s'il décrie le
sous-financement de la musique et de la culture en général, Yannick Plamondon
croit en la solidité de son propre avenir. « C'est possible, maintenant, de
faire de bonnes études, de travailler avec de bons maîtres et de vivre de la
composition, dit-il. J'ai 32 ans et je ne fais rien d'autre. Je suis déjà mieux
placé que mes prédécesseurs qui ne pouvaient pas espérer travailler avant l'âge
de 50 ans ou devaient avoir un autre emploi. Je peux envisager cette vie à long
terme sans devenir fou, sous-alimenté ou malade. »
Il réalise par contre que plusieurs des protagonistes de la scène
contemporaine québécoise mènent un combat plus difficile que le sien pour
obtenir une meilleure reconnaissance de leurs capacités, ou simplement pour un
salaire décent. « Je comprends l'amertume, je la ressens parfois moi-même, mais
j'aimerais mieux abandonner l'écriture que d'y sombrer. Les instrumentistes
d'ici se battent comme des lions, travaillent comme des chiens, mais ne sont pas
considérés. Les gens ne se rendent pas compte de leur talent. Si on parlait des
ensembles de musique contemporaine avec autant de fierté qu'on parle du Cirque
du Soleil ou de Notre-Dame de Paris, on entendrait moins de
commentaires amers », affirme-t-il, enflammé malgré lui.
Quand on mentionne le style, il grimace. « J'accepte mal cette notion, parce
qu'elle fait référence à l'expression de soi à travers des idiomes préétablis.
Mon travail se situe en continuité d'une tradition ou en porte-à-faux par
rapport à elle. Pour cuisiner ma musique (je préfère ce terme, parce qu'il
montre qu'il n'y a pas de recette), j'utilise des ingrédients de l'Amérique du
Nord. J'essaie de faire une synthèse entre le lyrisme et le formalisme. Je
travaille énormément les éléments de répétition, de rappel formel, des éléments
qui apparaissent un peu comme des personnages sur une scène de théâtre. Je
m'intéresse beaucoup à la notion de récurrence et aussi à l'intertextualité,
c'est-à-dire aux différentes significations qu'un élément, disons purement
géométrique, peut avoir en fonction de l'arrière-plan. Anthony Braxton, un
saxophoniste américain, dit que le travail d'un musicien repose sur un triangle
à trois pointes : le traditionalisme, le stylisme et le restructuralisme. Le
traditionaliste prend des choses du passé et les adapte au présent. Le styliste
prend des éléments du passé et les retravaille pour montrer la maîtrise et la
perfection d'éléments préexistants. Le restructuraliste prend la roue et lui
fait faire une révolution. On se situe toujours quelque part entre ces trois
pointes-là. »
Autoportrait à Times Square dépeint le compositeur à la sortie d'un
important virage : « À l'âge de 32 ans, je sentais le moment venu de faire le
point sur ma vie, sur ma façon d'écrire, sur la direction que je voulais
prendre. » Pour expliquer cette oeuvre, forcément autobiographique, il offre le
parallèle suivant : « En regardant l'autoportrait d'un peintre, on remarque que
le visage n'est jamais seul dans le tableau, qu'il y a d'autres composantes, un
arrière-plan. Les couleurs, les formes, les angles, véhiculés par les éléments
de cet arrière-plan se reproduisent dans le visage. Depuis quelques années,
j'inscris mon travail dans la continuité d'une tradition musicale typiquement
québécoise, postmoderne, qui consiste à prendre comme objet de départ de
l'écriture des éléments préexistants, que certains appellent des
citations. Je ne les considère pas comme un élément qui sera entendu ou
perçu, mais plutôt comme un environnement expressif, poétique. Les mouvements
périphériques sont conçus à partir de citations. Pour me les approprier, j'ai
employé des techniques particulières, qui leur sont adaptées. Dans le mouvement
central, lent, tout vient de l'intérieur. C'est ce que j'appelle le mouvement
"visage". Toutes les techniques employées pour dériver les éléments
périphériques ont aussi été appliquées à cette musique-là. Times Square représente un environnement où toutes les
cultures de masse convergent. Ni un portrait musical de Times Square ni un
portrait musical de moi-même à Times Square, c'est plutôt un lieu métaphorique
où tout se retrouve pour un instant. »
L'ensemble Klangforum Wien se produira à la Salle
Pierre-Mercure le 6 mars à 19 h 30. OEuvres de Georg Friedrich Haas, Bernhard
Lang, André Ristic et Yannick Plamondon. Info : (514) 987-6919. Concert
radiodiffusé en direct sur les ondes de la Chaîne culturelle et de CBC Radio
Two.
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