Montréal/Nouvelles Musiques : nouvelle vague Par Lucie Renaud
/ 2 mars 2003
Du 2 au 11 mars 2003, Montréal, la ville des festivals,
assistera à la naissance d'un nouvel évènement. En effet, la première édition de
la biennale Montréal/Nouvelles Musiques (MNM) fera découvrir à un public qu'on
espère élargi une quinzaine de formations du Canada et de l'étranger. Avec 17
programmes d'oeuvres différentes (dont plusieurs créations mondiales), une
cinquantaine de compositeurs, les directeurs artistiques du MNM, Walter Boudreau
et Denys Bouliane, frappent fort et désirent plus que tout inscrire Montréal
comme ville importante du circuit international des hauts lieux de la création
musicale.
Les organisateurs du festival espèrent inciter les non-initiés à tenter
l'aventure de la musique, toutes catégories confondues, et ont décidé de
maintenir des prix exceptionnellement bas pour la plupart des concerts. Un
passeport festival est ainsi proposé et plusieurs des concerts sont offerts aux
étudiants pour un modique 5 $. « On parle beaucoup d'un phénomène qu'on appelle
la rupture, qui justifierait que la musique contemporaine
soit à l'écart de la société. Personnellement, je n'y crois pas beaucoup. D'un
autre côté, si on s'amuse à comparer le contemporain avec la culture de masse en
général, qui profite d'un appareil de promotion et de sommes d'argent
importantes pour organiser sa visibilité, il est certain qu'on perdra le
concours ! », explique le compositeur Yannick Plamondon, qui, à Québec, avait
participé de 1998 à 2000 aux précédentes initiatives du duo Boudreau-Bouliane.
Le festival semble s'esquisser sous le thème d'une certaine synergie et désire
mettre en relation les différentes façons de penser, de voir, de faire,
d'exécuter et d'apprécier la musique d'aujourd'hui. Pour faciliter une plus
grande ouverture d'écoute, la Société Radio-Canada retransmettra sur ses deux
chaînes plusieurs des concerts, entre autres les finales du 15e Concours
national des jeunes compositeurs de Radio-Canada, consacré cette année à
l'électroacoustique, au piano et à la musique de chambre.
Une brochette impressionnante d'artistes reconnus aux niveaux national et
international fera saliver les amateurs les plus difficiles. L'Ensemble
contemporain de Montréal, l'Ensemble de la SMCQ, le Hilliard Ensemble, le
Klangforum de Vienne, La Nef, VivaVoce, le Trio Fibonacci, SuperMusique, le
McGill Contemporary Music Ensemble, le quatuor de saxophones Quasar (qui
interprétera dans son intégralité l'oeuvre monumentale de Klas Torstensson,
Licks and Brains), Lori
Freedman, PurForm, Elektra, les quatuors Molinari et Bozzini, Réseaux, le McGill
Symphony Orchestra et l'OSM (en clôture de festival) comptent parmi les invités
prestigieux de cette première édition.
Des cours de maître, des
causeries et une table ronde gratuites seront également proposés aux
intervenants du milieu et aux mélomanes. Trois concerts souligneront le 30e
anniversaire du Centre de musique canadienne au Québec. Les trois derniers jours
de festival permettront la tenue des Rencontres des musiques nouvelles au
Canada, un colloque mis sur pied par le Conseil québécois de la musique. Ces
rencontres pancanadiennes réuniront des personnalités du milieu des musiques
nouvelles au Canada, de même que Jean-Dominique Marco, directeur général du
festival Musica de Strasbourg et Philip Blackburn, directeur de l'Amercian
Composers Forum.
« Le devenir tout entier de
notre culture musicale est plus que jamais tributaire de l'originalité et du
dynamisme dont nous oserons faire preuve au cours des prochaines années »,
lançaient Boudreau et Bouliane lors du dévoilement de la programmation. À bon
entendeur, salut !
Trio Fibonacci
Le Trio Fibonacci, qui a remporté le prix Opus « Découverte de l'année » en
novembre 2002, sera de la fête de la musique de chambre du 10 mars. Fondé en
1998, ce trio défend la musique d'aujourd'hui, mais sous la forme du trio avec
piano, généralement associée aux répertoires classique et romantique. « Nous
voulions créer notre sonorité et notre langage, explique Julie-Anne Derome, la
violoniste du groupe. Nous partageons une même philosophie artistique, une même
qualité d'interprétation, un même amour pour le répertoire contemporain. » Elle
mentionne du même souffle la frustration de devoir vivre avec des oeuvres trop
souvent jouées, qu'elle-même et ses deux compagnons, le pianiste et compositeur
André Ristic et le violoncelliste Gabriel Prynn, avaient ressentie lors de leurs
études. « Que le même répertoire soit joué pendant 500 ans est déprimant,
laisse-t-elle tomber. La musique doit continuer à vivre. »
Le trio, malheureusement
beaucoup plus reconnu ailleurs dans le monde qu'au Québec, se targue d'offrir
une interprétation de premier ordre, d'ailleurs saluée par les compositeurs les
plus respectés : Pascal Dusapin, Jonathan Harvey ou Mauricio Kagel, par exemple.
« Il est parfois difficile de juger de la valeur d'une oeuvre nouvellement
créée, mais cela s'entend quand l'interprétation est de haut niveau, affirme
madame Derome. Si la musique contemporaine était constamment servie de cette
façon, elle aurait bien meilleure presse ! » Elle mentionne des concerts en
Amérique du Sud où un public enthousiaste, même si totalement néophyte, a
ovationné le trio. Elle s'insurge contre l'absence de financement du
gouvernement québécois (Conseil des arts et des lettres du Québec), même si le
trio passe depuis ses débuts de nombreuses commandes à des compositeurs
québécois, alors que l'ensemble est soutenu par le Conseil des Arts du Canada. «
La vie culturelle en musique contemporaine est très riche à Montréal, mais il
faut penser aux musiciens après le festival », mentionne-t-elle. Le trio
interprétera des oeuvres de Serge Provost et de Wolfgang Rihm.
La Nef
La Nef, ensemble mis à flot il y a 11 ans et plutôt associé au répertoire
ancien, s'ouvre à des horizons inexplorés le 8 mars avec « Actuel », un
nouveau secteur consacré aux musiques originales et aux approches exploratoires
et métissées. « Nous sommes avant tout un ensemble de création, explique Claire
Gignac. Ce secteur est donc là pour y rester. » Une nouvelle création verra
ainsi le jour chaque année. Pour cette première production, l'ensemble a fait
appel à deux compositeurs québécois, mais des productions « inter-arts » ou
multidisciplinaires, qui utiliseront éventuellement les nouvelles technologies,
seront esquissées au cours des prochaines années. « Au départ, ce sera toujours
de la musique originale, précise-t-elle. L'idée de recréer des musiques anciennes nous attire depuis nos
débuts. Nous avons décidé de pousser cette idée-là à fond ! »
L'instrumentation choisie permettra le mariage des textures instrumentales
anciennes et modernes. L'Eau ivre de Silvy Grenier, compositrice
particulièrement active dans le domaine du théâtre et qui a déjà collaboré avec
La Nef, est inspirée de la nature et dédiée à la mère de la compositrice,
décédée cette année. La Machine à explorer le tempo de Robert M. Lepage, fort en demande pour sa musique de film, est une
expérience en trois parties : le Temps qui passe, le Temps qui fuit et le Temps
qui penche. « La conduite multiforme permet la lecture, l'improvisation et même
le pilotage automatique. Nos moteurs sont à deux, trois ou quatre temps et
carburent aux motifs rythmiques, harmoniques, mélodiques et "bruitistes" »,
écrit le compositeur dans ses notes de programme.
VivaVoce
L'ensemble vocal VivaVoce, augmenté à 18 voix pour l'occasion, emmènera
l'auditeur pour un périple vocal et architectural audacieux le 3
mars . Musiques ancienne et contemporaine s'y côtoieront, de Gabrieli
à Morton Feldman. Peter Schubert, le dynamique directeur musical de VivaVoce, a
mis sur pied un concept inusité de concerts variés, qui décortiquent les pièces
au programme et en assurent une meilleure compréhension. Le thème du concert
sera cette fois-ci l'architecture et Schubert a bien l'intention de convier les
auditeurs à une aventure qui donnera une toute nouvelle dimension au terme «
proportions ». Les chanteurs, « les meilleurs à Montréal » selon Schubert,
devront plonger dans ce répertoire aux rares points de comparaison avec les
classiques du répertoire choral. « Quand on travaille du répertoire
contemporain, on se trouve à l'intérieur de l'oeuvre et on entrevoit des
réponses que l'auditeur n'a pas », souligne Schubert.
Inspirée par les neuf cercles de l'enfer décrits par Dante dans ses oeuvres
poétiques, la musique de Brian Cherney, ses premières pages pour choeur, promet
d'être très intense, d'une noirceur et d'une profondeur extrêmes. L'ensemble
reprendra, d'André Villeneuve, une oeuvre aux accords que n'aurait pas reniés
Messiaen, sur des textes de saint Augustin. « On parle ici de l'édifice de
l'âme, avance Schubert, celui du poète qui parle à Dieu et qui cherche à le
retrouver dans son espace intérieur. » La pièce de résistance du programme reste
Rothko Chapel , une oeuvre charnière dans la production de l'Américain Morton Feldman,
sans pulsation définie, toute en subtilités et en infimes variations des
textures sonores, l'expression en musique de la brillance des surface des
tableaux de Rothko. « Les chanteurs feront corps avec le son et se laisseront
entraîner par les petites choses. » Des oeuvres de Gabrielli et de Dufay
compléteront le programme.
MNM n'est pas le premier festival montréalais
d'envergure internationale consacré aux musiques contemporaines. Jetons un coup
d'oeil sur quelques-uns des grands événements de notre vie musicale.
La petite histoire des festivals montréalais de
musique contemporaine commence en 1961 (du 3 au 8 août) avec la Semaine
internationale de musique actuelle (SMIM), organisée par le compositeur
Pierre Mercure. Une semaine de concerts et de conférences a fait connaître au
public les musiques de Garant, Kagel, Ligeti, Schaeffer, Varèse et plusieurs
autres compositeurs, parmi lesquels ceux de « l'école new-yorkaise », John Cage
en tête, dont les conceptions radicales ont presque provoqué des émeutes parmi
les spectateurs de la Comédie canadienne ! Sans constituer le premier contact
des mélomanes d'ici avec les nouveaux courants musicaux (le premier concert de
musique contemporaine donné à Montréal a été organisé en 1954, par Serge Garant,
François Morel et Gilles Tremblay), la SMIM a très certainement eu un impact
important en étant l'un des jalons menant à la mise sur pied de la Société de
musique contemporaine du Québec (SMCQ).
Du 1er au 11 novembre 1990, le festival New Music
America était présenté pour la première fois à l'extérieur des États-Unis.
C'est à Montréal qu'est revenu l'honneur de cet événement. Cette fois-là, pas
moins de 50 concerts des tendances les plus diverses ont été proposés au par le
compositeur Jean Piché, le directeur artistique du festival public (renommé
Montréal Musique Actuelle). D'André Duchesne à Fred Frith, en passant par
Test Department et The Residents, et du Kronos Quartet au Nouvel Ensemble
Moderne, en passant par la SMCQ et un Acousmonium réservé à la production
électroacoustique, la programmation ratissait large et, encore une fois, a
soulevé la polémique à cause, surtout, de l'élargissement du terme « musique
actuelle » à des formes plus populaires.
Du 6 au 18 mai 1995, dans la foulée d'un débat lancé
par Lise Bissonnette (alors directrice du journal Le Devoir) sur la
rupture qu'auraient causée les compositeurs d'avec le public, se tenaient Les
Journées du xxe siècle, organisées par l'OSM. Cette fois, outre les
compositeurs d'ici, la programmation favorisait les Européens. Seules les
oeuvres de Morton Feldman au NEM et de Conlon Nancarrow à l'ACREQ représentaient
les États-Unis.
Évidemment, plusieurs autres festivals ont ponctué
notre vie musicale depuis la SMIM : le Festival international des musiciennes
innovatrices de 1986 ou le Super MicMac en 2000, organisés par les
Productions SuperMusique, les Printemps électroacoustiques de l'ACREQ,
qui produit maintenant Elektra, etc. Une histoire à écrire ! On ne peut
que souhaiter que la biennale MNM prenne le relais pour de bon.
Réjean
Beaucage
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