Nancy Argenta en direct Par Wah Keung Chan
/ 31 janvier 2003
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Originaire d'une petite
communauté de la région de Kootenay en Colombie-Britannique, Nancy Argenta est
aujourd'hui l'une des artistes canadiennes les plus prolifiques, ayant participé
en 20 ans de carrière à plus de 50 enregistrements. Elle le reconnaît, c'est une
vie de rêve. La soprano, spécialisée dans l'oratorio et la musique ancienne,
s'est établie à Londres et mène une carrière internationale
remarquable.
De grands chefs comme John
Elliot Gardiner et d'autres se tournent régulièrement vers Nancy Argenta et elle
donne de plus en plus de récitals. Lorsque LSM l'a interviewée le mois dernier
depuis Londres, elle a parlé avec passion du plaisir de chanter devant un
public.
« En général, je n'écoute pas
mes enregistrements, parce que j'entends toujours des choses que je referais
différemment. C'est une de mes préoccupations au sujet de la vie moderne – les
gens pensent que le disque est le fin du fin. Mais non, la plus belle expérience
musicale est le concert, où il y a une communication entre les artistes et le
public. On a tendance à l'oublier, malheureusement. Si le public est
enthousiaste et très réceptif, si l'acoustique est bonne, je prendrai certains
risques : je chanterai plus vite, plus lentement, plus doucement, selon
l'inspiration du moment. Si je vois un enfant, je pourrai chanter d'une certaine
façon, spécialement pour lui. C'est cela, la magie du concert.
« Un enregistrement est ce qui
arrive un certain jour. Il est immanquablement manipulé par les ingénieurs et
les monteurs. Sur le plan technique, le produit est plus fini qu'en concert,
mais il est entièrement prévisible. En concert, il peut y avoir de la magie,
réelle, palpable. »
Q : Avez-vous déjà assisté à des concerts où il y avait cette magie
?
« Oh oui ! Fischer-Dieskau en
récital. Je le connaissais grâce aux disques de ma mère, mais je n'étais pas
préparée à ce que j'ai entendu en concert à Londres, lorsqu'il a donné une série
de récitals au Queen Elizabeth Hall à la fin de sa carrière. C'était
inoubliable. On aurait dit qu'il chantait dans son salon avec des amis, pour le
plaisir. Il dégageait tellement d'énergie et de sincérité, ce que je n'avais pas
senti sur ses disques. C'était une expérience unique et merveilleuse. J'en
aurais été plus pauvre comme personne et comme récitaliste si je ne n'avais pas
été là. »
Q : Vous arrive-t-il souvent d'être satisfaite de votre chant
?
« Très critique envers
moi-même, je le suis une fois sur six, peut-être, et cela tient à mon
interprétation, à la salle, à l'orchestre. Nous cherchons toujours la
perfection, mais si je croyais l'avoir atteinte, j'arrêterais tout de suite. Je
continue parce que j'adore la musique et que j'apprends toujours. »
Q : Qu'est-ce que vous découvrez ?
« Il y a toujours beaucoup à
apprendre au sujet d'une grande oeuvre de musique. Tout ce qui entoure la
présentation se simplifie. Parfois, l'interprétation musicale aussi se
simplifie, à mesure qu'on comprend mieux une oeuvre. »
Le chant est venu naturellement à une jeune fille dont la mère enseignait le
piano, dirigeait un choeur et était organiste à l'église. La soeur aînée de
Nancy Argenta est violoniste professionnelle, son grand frère est un ténor
amateur. L'enregistrement de Caro Nome de Joan Sutherland a
exercé une première influence. « Je me suis dit que c'était ce que je voulais
faire », dit la chanteuse, qui a changé son nom de famille, Herbison, pour celui
de sa ville natale afin d'éviter les confusions avec la soprano canadienne Nancy
Hermiston. À l'âge de 11 ans, son talent précoce l'a menée à Nelson, à 110
kilomètres de distance, où elle a étudié avec « un bon professeur de chant » et
commencé à se produire. Lorsque son professeur est mort, au cours de ses études
secondaires à Nelson, elle a commencé à se rendre à Vancouver, à 800 kilomètres
de distance, pour étudier avec le Dr Jacob Ham, devant souvent s'absenter de
l'école plusieurs jours de suite.
« Je gagnais des prix dans les festivals de musique autour de Nelson et je
chantais dans des comédies musicales – Fiddler on the Roof, Hello Dolly. Certains
enseignants plus compréhensifs m'appuyaient, d'autres moins. Après l'école
secondaire, je suis allée travailler au Vancouver Community College avec le Dr
Ham et j'ai finalement obtenu mon diplôme à l'University of Western Ontario avec
Martin Chambers. »
Q : Comment votre voix s'est-elle développée ?
« À l'adolescence, j'ignorais
si j'allais devenir une soprano ou une mezzo. Je crois que mon professeur a été
prudent et sage de ne pas me pousser. Il a plutôt renforcé mon registre médian.
Martin Chambers m'a fait travailler mon registre de soprano, de soubrette
lyrique. Puis j'ai remporté le Concours Eckhardt-Gramatté en 1980, ce qui m'a
permis de faire une tournée nationale. En 1981, je suis allée en Allemagne. J'ai
passé un an à Düsseldorf. Ensuite, je suis allée à Londres où j'ai rencontré la
merveilleuse professeure de chant Vera Rozsa. Elle a trouvé la couleur de ma
voix, celle qui m'était propre. Elle a commencé avec quelques notes puis elle
m'a dit : "Voilà ta couleur, ton son unique. Maintenant, il faut l'étendre à
l'ensemble du registre." J'ai trouvé l'approche intéressante. De nombreux
professeurs actuels ne cherchent pas le son unique de chaque voix, et c'est
dommage. »
Q : Combien de temps a-t-il fallu pour développer ce son unique
?
« Je crois qu'après un an, je
pouvais produire un son acceptable dans le monde professionnel, puisque j'y ai
commencé ma carrière au festival d'Aix-en-Provence à l'été de 1983, avec John
Elliot Gardiner. Le développement du son n'est jamais terminé puisque la voix et
le corps continuent à changer. C'est l'aspect à la fois fascinant et frustrant
d'avoir une voix.
« À peu près au même moment,
j'ai découvert la technique Alexander et d'une semaine à l'autre, je ne savais
pas ce qui m'aidait le plus : la leçon de chant ou la technique Alexander.
L'approche de Rozsa de la respiration s'appuie sur le bas du corps. Cela m'a
aidée à trouver ma base et la technique Alexander allait dans le même sens. Il
s'agit surtout d'être détendue, ancrée dans le corps, ce qui permet à la couleur
naturelle de la voix de se manifester.
« J'ai travaillé avec Vera
Rozsa durant dix ans. Puis, j'ai décidé que le temps était venu d'essayer une
approche différente, j'étais prête à explorer d'autres couleurs dans ma voix. Au
cours des dernières années, j'ai travaillé par moments avec Josephine Veasey.
Elle a changé la façon dont je produis mon son et même ma façon de le concevoir.
Au lieu de placer le son, comme le font malheureusement, la plupart des
chanteurs, nous nous concentrons sur la respiration, les cordes vocales et la
résonance. »
Q : Comment votre voix a-t-elle changé au cours de ces 20 ans
?
« La voix change à mesure que
le corps change et l'on peut choisir d'encourager ou de prévenir ces
changements. J'ai choisi de les encourager, pour le simple plaisir – parce qu'il
est agréable de découvrir des couleurs plus variées, de voir une possibilité
d'élargir son répertoire. Je demeure la même chanteuse et l'on me reconnaît
toujours à ma voix. Elle est un peu plus riche et grave et les deux extrémités
du registre sont un peu plus faciles. Certains aiment cette évolution, d'autres
non.
« Pour moi, l'important est
d'être de mieux en mieux centrée, de plus en plus bas dans mon corps. J'étudie
le yoga et la respiration et je fais du conditionnement physique. L'ouverture du
corps à la résonance change la résonance de la voix. La plupart des jeunes
chanteurs ont tendance à être tendus au niveau des épaules, du cou et du tronc
supérieur, ce qui limite la richesse des partiels. À mesure qu'on apprend à
détendre toute cette région, le larynx peut vibre plus librementr, la
respiration est profonde, le son commence à changer. J'aime aussi aider des
élèves à découvrir cette voix personnelle en eux-mêmes. Je ne puis enseigner à
temps plein en raison de mes voyages et concerts, mais de temps à autre, je me
rends au Guild Hall à Londres pour un jour de cours de maître et j'y donne des
cours en été. J'enseigne aussi régulièrement au Nelson Summer Songfest en août.
»
Q : Vous pouvez nous parler du répertoire ?
« Le plus important, je crois, est de chanter des oeuvres qui correspondent à
votre voix et que vous aimez, et d'éviter le répertoire qui ne vous convient
pas. Je suis tombée dans le répertoire du XVIIIe siècle lorsque Gardiner m'a
offert du travail. J'ai vu que j'aimais ça et que cela me correspondait sur le
plan du tempérament, sur le plan vocal et musical. J'adore chanter dans les
symphonies de Mahler, mais on ne pense pas à moi pour du Mahler, même si cela
convient à ma voix et ma couleur. J'ai fait la Deuxième Symphonie avec le Boston
Symphony et Ozawa il y a trois ans et cela demeure un grand moment. Les mélodies
sont aussi un monde très riche. Dernièrement, j'ai donné plus de récitals.
»
Q : On vous considère comme une spécialiste de Bach.
« Bach est difficile à
chanter. Il n'y a jamais une place pour respirer, ce qui est tout un défi.
Pourquoi j'aime sa musique ? Je trouve simplement qu'elle est magnifique et
inspirée. Il faut savoir où va l'harmonie pour comprendre comment la ligne
mélodique évolue par rapport à la basse. La musique de Bach est plus éloquente
que le texte. Si votre esprit créatif naturel est un tantinet désorganisé, vous
avez besoin de quelque chose comme du Bach pour vous donner une structure. Il me
semble que sa musique remet de l'ordre dans le monde. »
Q : Pourquoi aimez-vous la musique classique ?
« Elle nous met en
communication avec notre âme et les forces supérieures, ou le divin, et avec
l'univers, de la façon la plus profonde. Pour tout dire, elle a le pouvoir de
guérir. »
Q : Que retirez-vous du chant?
« Le chant est mon plus grand
maître, parce qu'il m'apprend à me connaître. Tout l'être, la personnalité, le
caractère, se révèle dans le chant. La courbe d'apprentissage est assez abrupte
et cela me forme comme être humain. Le chant est un don merveilleux, mais il est
exigeant si vous voulez développer tout votre potentiel. Si je n'étais pas
chanteuse, il y a beaucoup de choses que je n'aurais jamais sues à mon
sujet.
« Souvent, la sensation la
plus grisante est le sentiment de communauté sur la scène – un frisson
extraordinaire qui échappe au public. Sentir que tout le monde fait sa part pour
produire ensemble un son glorieux, c'est indescriptible. C'est dans ces moments
que je comprends à quel point je suis privilégiée de faire ce métier pour gagner
ma vie. »
[traduction d'Alain
Cavenne]
Nancy Argenta se joint à Daniel Taylor et au Theatre of Early Music pour une
tournée de trois concerts commençant le 1er mars au festival Montréal en lumière
(514-790-1245). Elle sera a Guelph le 8 mars et à Toronto le 9 mars
(418-694-9687). Le programme comprendra le Stabat Mater de Pergolèse et sera
enregistré par la maison ATMA en vue d'une diffusion
ultérieure.
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