Initiation à la musique - L'orchestration, couleur de la musique Par Sarah Choukah
/ 2 novembre 2002
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Le mythe d'Orphée pourrait bien illustrer
l'origine de la fascination de l'homme pour les bruit émanant des objets, les
timbres des premiers instruments de musique. Cet amour du timbre se concrétise
dans de nombreux aspects de l'histoire musicale : les instruments ont connu un
développement progressif qui a repoussé les limites de la physique acoustique.
Les orchestres ont eux aussi connu une évolution dans leurs effectifs et leur
organisation. Les innovations en matière de composition musicale, stimulées par
des possibilités toujours plus nombreuses, on mené à certains avancements dans
l'étude et la pratique de l'orchestration.
L'orchestration est en fait l'art
de composer pour un orchestre tout en tenant compte des possibilités et des
limites de chaque instrument. C'est aussi la capacité d'associer les timbres, de
combiner les diverses familles d'instruments de l'orchestre afin qu'ils puissent
répondre à une certaine logique musicale. En planifiant les grandes lignes
instrumentales de son œuvre, le compositeur lui donne toute la couleur et toute
la vitalité nécessaires. L'orchestration est un aspect tout aussi important de
la composition que le contrepoint, la fugue ou l'étude des formes. Surtout, elle
donne à la musique une expressivité essentielle : sans l'orchestration, la
préoccupation pour la sonorité des instruments et pour leurs effets
n'apparaîtrait pas, aspect impossible à concevoir dans toute musique.
Des
couleurs et des timbres
La comparaison avec les couleurs
est souvent utilisée pour décrire ce qu'est l'orchestration. « L'orchestration
est un moyen utilisé par le compositeur, une étape tout aussi importante que les
autres puisque certains éléments de la composition y seront mis en relief. Elle
aide à différencier les plans dans la priorité de la perception musicale »,
affirme Denis Beauchamp, compositeur et directeur général du magasin Archambault
musique de la rue Berri, à Montréal. « C'est une base parmi d'autres à employer
pour servir le discours musical. »
Par exemple, une touche originale
donnée par l'intervention d'un instrument à un point donné peut servir à
modifier le discours musical et à faire progresser la pièce. Quiconque écoute
Mozart est séduit par l'équilibre parfait et la clarté de sa musique. Alan
Belkin, professeur de composition à l'Université de Montréal, souligne dans son
traité d'orchestration que la fraîcheur de la musique mozartienne est due en
partie à l'utilisation très efficace de l'effet de nouveauté des timbres dans le
contexte musical : « Même un instrument au timbre familier comme le hautbois
peut induire un effet de surprise et de nouveauté s'il n'a pas été entendu
auparavant. Mozart, en dépit du peu d'effectifs dont disposait son orchestre,
trouvait toujours le moyen de rafraîchir son instrumentation. »
Cependant, l'orchestration n'est
pas une finalité. Gilbert Patenaude, compositeur, professeur de chant choral au
cégep de Saint-Laurent et directeur artistique des Petits Chanteurs du
Mont-Royal et du chœur féminin Les Voix d'elles, abonde en ce sens : « Bien
d'autres principes peuvent être pris en compte dans l'écoute d'une pièce
musicale. Ils sont liés et mis en évidence par l'orchestration, mais cela ne
veut pas dire que le timbre doit être à la base de la perception. Les
assemblages harmoniques, le jeu des notes étrangères, l'équilibre et le
changement du discours dans les parties et le rythme sont autant d'éléments
vitaux reliés au cœur de la musique. »
Les
goûts sont dans l'orchestre
Il est difficile d'attribuer aux
grands compositeurs une note qualitative sur leur approche de l'orchestration,
puisque, contrairement aux autres disciplines théoriques de la composition
(harmonie, contrepoint, fugue), l'orchestration n'est régie par aucune loi
formellement écrite. Elle s'apprend plutôt par l'expérience que tous en ont eue,
trouvailles ponctuelles données dans les traités et l'enseignement de grands
compositeurs. Empirique, elle reflète manifestement la personnalité musicale du
compositeur, sa place dans l'histoire occidentale et la culture dans laquelle
elle se développe.
La formation du musicien et ses
préférences pour un matériau sonore plutôt qu'un autre donne à son orchestration
une marque unique. « Il existe une dichotomie entre musique vocale et
instrumentale : les exigences ne sont pas les mêmes et le compositeur se doit
d'y être très sensible. Le chant verbal demande une qualité d'intonation et
d'articulation particulière. On a beaucoup d'attentes sur l'expressivité d'un
chanteur : les sentiments sont véhiculés de façon très précise dans le texte et
doivent être transmis avec justesse aux auditeurs, surtout dans le domaine de la
musique de scène », souligne Gilbert Patenaude.
La formation instrumentale occupe
également un rôle prépondérant dans la manière d'orchestrer. Certains ont
qualifié Brahms de piètre orchestrateur. Les doublures de traits jugées trop
nombreuses dans ses œuvres symphoniques et la concentration du contenu sonore
dans le milieu du registre jurent avec son aisance inégalée dans la musique de
chambre.
Des
sonorités qui ont fait l'histoire
Tous les musiciens ont leurs influences et leurs modèles propres : la
subjectivité et le goût colorent donc l'appréciation. Les plus grands
compositeurs se dégagent évidemment des énumérations : Mozart pour sa précision
et sa fluidité, Beethoven pour ses nombreux ajouts orchestraux et ses
innovations, Strauss pour la richesse du contenu (tous les thèmes sont inclus
dans un même tutti orchestral, lui-même très surchargé, ses
combinaisons de timbres sont des plus imprévues), Berlioz pour son apport
immense à l'orchestration (son traité sert encore de référence pour les
orchestrateurs d'aujourd'hui, il compléta de façon extraordinaire les
possibilités de la musique symphonique) et Wagner pour avoir poussé les limites
de la virtuosité des musiciens d'orchestre (des traits en apparence
inexécutables sont parfaitement bien joués).
Il ne faut évidemment pas négliger les Russes. Balakirev, Rimski-Korsakov et
Borodine sont les incontournables de la couleur orchestrale. Debussy et Ravel
(qui se permet l'emploi novateur d'un balancier et d'un ressort dans L'Heure
espagnole) leur
doivent beaucoup. Les Russes n'entretiennent pas l'idéal wagnérien du colossal
et de l'exubérance sonore, mais se permettent quand même une grande utilisation
des percussions et des harmoniques. Stravinski écrit des glissandos pour tous
les instruments et fait grand usage des harmoniques de contrebasse (qualifiés
d'« effets d'horreur dignes du cinéma » par Vincent d'Indy, qui ne les
appréciait pas beaucoup) et Scriabine remet déjà en question le système du
tempérament dans son orchestre.
Un
avenir immédiat
L'orchestration et la recherche du
timbre se développent aujourd'hui à un rythme un peu plus rapide. La simulation
orchestrale, résultat des avancées en technologie informatique, est déjà
utilisée par de nombreux étudiants et compositeurs ainsi que dans certaines
musiques de film. Elle permet de simuler un orchestre. Les timbres instrumentaux
presque identiques aux vrais suffisent aux nombreux apprentissages, mais le
programme est encore loin de la précision d'un orchestre réel. C'est donc un
adjuvant qui ne remplacera pas le modèle original avant très longtemps –
probablement jamais.
De plus, les moyens de télécommunication rendent très aisée la collaboration
entre les compositeurs, les orchestrateurs, les musiciens, les facteurs
d'instruments et les chefs d'orchestre désirant pousser les limites de
l'expression musicale. Même si l'électroacoustique a la part belle en matière
d'innovations, les instruments « conventionnels » n'ont pas fini de livrer leurs
secrets. Naturel, d'Henri Pousseur, est une pièce pour cor solo
ayant fait l'objet d'une conférence-démonstration le 6 septembre dernier au
Conservatoire de musique de Montréal. Francis Orval, soliste international et
professeur à la Musikhochschule de Trossingen, en Allemagne, faisait
l'explication de nombreux doigtés inhabituels, d'effets inusités et
d'intonations microtonales pour son instrument.
Nous aurions tort de croire que la
création musicale stagne, comparativement aux grandes productions du passé. Elle
s'oriente simplement vers de nouveaux horizons. « Probablement qu'il est temps
pour nous, maintenant, de faire la route la plus longue, de prendre le temps
d'un détour. Si pour atteindre l'authenticité, la voie la plus directe est
désormais impraticable, alors il nous faut emprunter le chemin le plus long. Et
aller chaque jour un peu plus loin...* »
- Alessandro Baricco, Constellations, Paris:
Gallimard, "Folio", 1998, p.15.
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