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La Scena Musicale - Vol. 8, No. 3

Initiation à la musique - L'orchestration, couleur de la musique

Par Sarah Choukah / 2 novembre 2002

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Le mythe d'Orphée pourrait bien illustrer l'origine de la fascination de l'homme pour les bruit émanant des objets, les timbres des premiers instruments de musique. Cet amour du timbre se concrétise dans de nombreux aspects de l'histoire musicale : les instruments ont connu un développement progressif qui a repoussé les limites de la physique acoustique. Les orchestres ont eux aussi connu une évolution dans leurs effectifs et leur organisation. Les innovations en matière de composition musicale, stimulées par des possibilités toujours plus nombreuses, on mené à certains avancements dans l'étude et la pratique de l'orchestration.

L'orchestration est en fait l'art de composer pour un orchestre tout en tenant compte des possibilités et des limites de chaque instrument. C'est aussi la capacité d'associer les timbres, de combiner les diverses familles d'instruments de l'orchestre afin qu'ils puissent répondre à une certaine logique musicale. En planifiant les grandes lignes instrumentales de son œuvre, le compositeur lui donne toute la couleur et toute la vitalité nécessaires. L'orchestration est un aspect tout aussi important de la composition que le contrepoint, la fugue ou l'étude des formes. Surtout, elle donne à la musique une expressivité essentielle : sans l'orchestration, la préoccupation pour la sonorité des instruments et pour leurs effets n'apparaîtrait pas, aspect impossible à concevoir dans toute musique.

Des couleurs et des timbres

La comparaison avec les couleurs est souvent utilisée pour décrire ce qu'est l'orchestration. « L'orchestration est un moyen utilisé par le compositeur, une étape tout aussi importante que les autres puisque certains éléments de la composition y seront mis en relief. Elle aide à différencier les plans dans la priorité de la perception musicale », affirme Denis Beauchamp, compositeur et directeur général du magasin Archambault musique de la rue Berri, à Montréal. « C'est une base parmi d'autres à employer pour servir le discours musical. »

Par exemple, une touche originale donnée par l'intervention d'un instrument à un point donné peut servir à modifier le discours musical et à faire progresser la pièce. Quiconque écoute Mozart est séduit par l'équilibre parfait et la clarté de sa musique. Alan Belkin, professeur de composition à l'Université de Montréal, souligne dans son traité d'orchestration que la fraîcheur de la musique mozartienne est due en partie à l'utilisation très efficace de l'effet de nouveauté des timbres dans le contexte musical : « Même un instrument au timbre familier comme le hautbois peut induire un effet de surprise et de nouveauté s'il n'a pas été entendu auparavant. Mozart, en dépit du peu d'effectifs dont disposait son orchestre, trouvait toujours le moyen de rafraîchir son instrumentation. »

Cependant, l'orchestration n'est pas une finalité. Gilbert Patenaude, compositeur, professeur de chant choral au cégep de Saint-Laurent et directeur artistique des Petits Chanteurs du Mont-Royal et du chœur féminin Les Voix d'elles, abonde en ce sens : « Bien d'autres principes peuvent être pris en compte dans l'écoute d'une pièce musicale. Ils sont liés et mis en évidence par l'orchestration, mais cela ne veut pas dire que le timbre doit être à la base de la perception. Les assemblages harmoniques, le jeu des notes étrangères, l'équilibre et le changement du discours dans les parties et le rythme sont autant d'éléments vitaux reliés au cœur de la musique. »

Les goûts sont dans l'orchestre

Il est difficile d'attribuer aux grands compositeurs une note qualitative sur leur approche de l'orchestration, puisque, contrairement aux autres disciplines théoriques de la composition (harmonie, contrepoint, fugue), l'orchestration n'est régie par aucune loi formellement écrite. Elle s'apprend plutôt par l'expérience que tous en ont eue, trouvailles ponctuelles données dans les traités et l'enseignement de grands compositeurs. Empirique, elle reflète manifestement la personnalité musicale du compositeur, sa place dans l'histoire occidentale et la culture dans laquelle elle se développe.

La formation du musicien et ses préférences pour un matériau sonore plutôt qu'un autre donne à son orchestration une marque unique. « Il existe une dichotomie entre musique vocale et instrumentale : les exigences ne sont pas les mêmes et le compositeur se doit d'y être très sensible. Le chant verbal demande une qualité d'intonation et d'articulation particulière. On a beaucoup d'attentes sur l'expressivité d'un chanteur : les sentiments sont véhiculés de façon très précise dans le texte et doivent être transmis avec justesse aux auditeurs, surtout dans le domaine de la musique de scène », souligne Gilbert Patenaude.

La formation instrumentale occupe également un rôle prépondérant dans la manière d'orchestrer. Certains ont qualifié Brahms de piètre orchestrateur. Les doublures de traits jugées trop nombreuses dans ses œuvres symphoniques et la concentration du contenu sonore dans le milieu du registre jurent avec son aisance inégalée dans la musique de chambre.

Des sonorités qui ont fait l'histoire

Tous les musiciens ont leurs influences et leurs modèles propres : la subjectivité et le goût colorent donc l'appréciation. Les plus grands compositeurs se dégagent évidemment des énumérations : Mozart pour sa précision et sa fluidité, Beethoven pour ses nombreux ajouts orchestraux et ses innovations, Strauss pour la richesse du contenu (tous les thèmes sont inclus dans un même tutti orchestral, lui-même très surchargé, ses combinaisons de timbres sont des plus imprévues), Berlioz pour son apport immense à l'orchestration (son traité sert encore de référence pour les orchestrateurs d'aujourd'hui, il compléta de façon extraordinaire les possibilités de la musique symphonique) et Wagner pour avoir poussé les limites de la virtuosité des musiciens d'orchestre (des traits en apparence inexécutables sont parfaitement bien joués).

Il ne faut évidemment pas négliger les Russes. Balakirev, Rimski-Korsakov et Borodine sont les incontournables de la couleur orchestrale. Debussy et Ravel (qui se permet l'emploi novateur d'un balancier et d'un ressort dans L'Heure espagnole) leur doivent beaucoup. Les Russes n'entretiennent pas l'idéal wagnérien du colossal et de l'exubérance sonore, mais se permettent quand même une grande utilisation des percussions et des harmoniques. Stravinski écrit des glissandos pour tous les instruments et fait grand usage des harmoniques de contrebasse (qualifiés d'« effets d'horreur dignes du cinéma » par Vincent d'Indy, qui ne les appréciait pas beaucoup) et Scriabine remet déjà en question le système du tempérament dans son orchestre.

Un avenir immédiat

L'orchestration et la recherche du timbre se développent aujourd'hui à un rythme un peu plus rapide. La simulation orchestrale, résultat des avancées en technologie informatique, est déjà utilisée par de nombreux étudiants et compositeurs ainsi que dans certaines musiques de film. Elle permet de simuler un orchestre. Les timbres instrumentaux presque identiques aux vrais suffisent aux nombreux apprentissages, mais le programme est encore loin de la précision d'un orchestre réel. C'est donc un adjuvant qui ne remplacera pas le modèle original avant très longtemps – probablement jamais.

De plus, les moyens de télécommunication rendent très aisée la collaboration entre les compositeurs, les orchestrateurs, les musiciens, les facteurs d'instruments et les chefs d'orchestre désirant pousser les limites de l'expression musicale. Même si l'électroacoustique a la part belle en matière d'innovations, les instruments « conventionnels » n'ont pas fini de livrer leurs secrets. Naturel, d'Henri Pousseur, est une pièce pour cor solo ayant fait l'objet d'une conférence-démonstration le 6 septembre dernier au Conservatoire de musique de Montréal. Francis Orval, soliste international et professeur à la Musikhochschule de Trossingen, en Allemagne, faisait l'explication de nombreux doigtés inhabituels, d'effets inusités et d'intonations microtonales pour son instrument.

Nous aurions tort de croire que la création musicale stagne, comparativement aux grandes productions du passé. Elle s'oriente simplement vers de nouveaux horizons. « Probablement qu'il est temps pour nous, maintenant, de faire la route la plus longue, de prendre le temps d'un détour. Si pour atteindre l'authenticité, la voie la plus directe est désormais impraticable, alors il nous faut emprunter le chemin le plus long. Et aller chaque jour un peu plus loin...* »

  • Alessandro Baricco, Constellations, Paris: Gallimard, "Folio", 1998, p.15.

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