Maxim Vengerov, ce jeune virtuose de 28 ans né à Novosibirsk, capitale de la Sibérie occidentale, semble avoir grandi et vécu sous le feu roulant des projecteurs braqués sur lui et sur la couverture glacée des magazines de musique classique les plus sérieux. Âgé de seulement 10 ans lorsqu'il remporte le concours Wieniawski junior en Pologne, il reçoit dès lors des invitations d'orchestres prestigieux qui voient en lui plus qu'un petit prodige tout à fait renversant. « Vengerov, c'est Heifetz d'une main, Kreisler de l'autre », titrait The Strad (publication consacrée aux cordes) en 1989, alors qu'il venait de fêter ses 15 ans : des attentes démesurées peu faciles à combler ! En 1995, son enregistrement des concertos de Prokofiev et de Chostakovitch lui valent deux prix convoités de la revue britannique Gramophone, en plus de le mettre en lice pour un Grammy. Son interprétation électrisante du dernier mouvement du Concerto de Chostakovitch, « Burlesca », lors de la soirée des remises de prix, séduit la foule, pourtant peu attirée par le répertoire classique, qui lui offre une longue ovation. Gramophone vient de lui décerner le titre d'« Artiste de l'année 2002-2003 », cristallisant en pleine ascension son parcours de jeune comète.
Corde raide
Maxim Vengerov, même s'il donne des récitals aux quatre coins du monde, le plus souvent à guichets fermés, et qu'il réussit à vendre ses enregistrements presque aussi facilement que les stars de la pop (au grand plaisir de sa compagnie de disques, EMI), est, malgré tout, bien plus qu'un surdoué de l'archet qui collectionne les trophées et les honneurs.
On l'a vu ces dernières années s'attaquer au fief des « baroqueux », n'hésitant pas à manier archet et violon d'époque (en fait, son premier violon adapté), à la surprise bruyante des spécialistes, mais à son plaisir avoué. « L'archet est beaucoup plus léger et il est possible de faire beaucoup plus de travail manuel, de précision, explique-t-il. Je pourrais même parler d'un produit fait main. » Même s'il interprétera la Toccata et fugue en ré mineur de Bach lors du récital du 12 novembre à Québec (voir l'encadré au sujet des œuvres présentées), il ne le fera malheureusement pas sur son violon baroque, puisque ce dernier « souffre d'une crise majeure » qui demande tout le doigté de son luthier. Il sortira donc son précieux Stradivarius, qu'il ne quitte presque jamais, comme s'il était devenu une extension de lui-même, mais l'assortira de son archet baroque.
Il s'est pris tout récemment d'une passion folle pour son alto, un autre instrument extrêmement rare, réalisé par Antonio Stradivarius, don de la Royal Academy of Music de Londres. Il s'attaque, une œuvre à la fois, à ce nouveau répertoire, rêvant de la Sonate de Chostakovitch, et avoue, mi-penaud, mi-crâneur, ses difficultés à adapter ses « petites » mains à l'instrument plus imposant. Pour se lancer dans l'arène, il choisit le Concerto pour alto de Walton, que son mentor, « Slava » (Mstislav Rostropovich), lui a fait découvrir, et n'hésite pas à l'enregistrer sous sa direction.
Photo: Henrietta Butler
À l'instar de ses aînés Barenboim et Rostropovich, il commence à sentir à l'occasion l'appel de la baguette de maestro, glanant au gré de son horaire surchargé des conseils précieux auprès des chefs et suivant avec détermination des leçons de technique de direction avec son pianiste, Vag Papian. « Je n'ai pas l'ambition de diriger un opéra de Verdi, précise-t-il, mais vous ne savez jamais ce que l'avenir vous réserve. En ce moment, je suis très occupé par mon violon et très content de la situation ! »
Harmoniques
Maxim le caméléon s'investit également dans l'enseignement, dispensant depuis octobre 2000 son savoir à la Musikhochschule de Saarbrücken, mais ne refusant presque jamais une invitation à donner un cours de maître en tournée quand son horaire le lui permet. Né dans une famille musicale, il semble ne jamais s'être posé la question de la pertinence de ce choix. Sa mère dirigeait des chorales d'enfants en plus de superviser attentivement, de soir et de nuit, ses séances d'exercice. Le petit Maxim, dès ses débuts à quatre ans, s'exerçait tous les soirs de 20 heures à 3 heures du matin, et se récompensait ensuite par un bruyant tour de tricycle, au grand dam des voisins du quartier ! Son père était hautboïste à l'Orchestre philharmonique de Novosibirsk. Accompagnant ce dernier lors d'une répétition, il aurait déclaré, avec tout le sérieux d'un enfant, que le poste de premier violon lui semblait bien plus excitant que celui de hautboïste ! Dès qu'il atteint cinq ans, madame Galina Touchaninova l'accueille dans sa classe en insistant sur le caractère réfléchi de la démarche : « Tu as un talent énorme et, en conséquence, tu dois travailler deux fois plus dur que les autres. » Cinq ans et demi plus tard, le professeur Zakhar Bron (qui avait commencé sa carrière comme assistant d'Igor Oistrakh au Conservatoire Tchaïkovski et a également enseigné à un autre violoniste étoile, Vadim Repin) le prend sous son aile et transforme le prodige en musicien accompli. Après cinq années et demie passées avec lui, Maxim Vengerov décide de cesser de prendre des leçons : « J'ai travaillé seul pendant une année parce que je voulais savoir ce que la musique signifiait réellement pour moi et pourquoi je voulais poursuivre. C'est à cette époque que j'ai eu la chance de travailler avec de grands chefs, Barenboim, Rostropovich, Abbado, Giulini, qui m'ont transmis tant de choses essentielles ! J'ai alors décidé qu'il serait temps pour moi de partager mon expérience avec les autres, pas seulement en jouant, mais aussi en inspirant les autres à jouer. »
En cours de maître, Vengerov se révèle d'une perspicacité et d'un enthousiasme fulgurants. Il réussit à insuffler aux jeunes violonistes énergie, conviction, mais, surtout, imagination. Il cherche toujours l'image qui pousse l'élève au dépassement et n'illustre avec son instrument qu'en dernier recours, laissant place à l'expérimentation. Pour se consacrer entièrement à ses cinq étudiants réguliers de Saarbrücken, qu'il voit une semaine entière tous les mois, il a accepté de faire quelques sacrifices, comme de réduire le nombre de ses concerts de moitié. « Avant tout, j'essaie d'établir un contact humain, précise le jeune pédagogue. Je suis ami avec tous mes élèves. Ils sont mes futurs collègues. Qu'ils deviennent solistes, musiciens d'orchestre ou professeurs n'a que peu d'importance. C'est là que réside le pouvoir de la musique. La musique nous guérit, nous dirige vers le droit chemin et nous permet de vivre en harmonie avec nous-mêmes. À travers la musique, tant de choses peuvent être résolues ! En observant mes élèves, au fil du temps, je découvre comment ils ont évolué. Ils deviennent si merveilleux, si beaux en tant que personnes, en tant qu'êtres humains ! Voilà le pouvoir qu'a eu la musique sur moi et qu'elle continue d'avoir. »
Ambassadeur dévoué de l'Unicef depuis 1997, il semble aussi à l'aise pour amasser des fonds (grâce à des concerts-bénéfice pour lesquels il refuse tout cachet) que sur le terrain, en Bosnie ou en Ouganda par exemple, là où les enfants ont le plus besoin de son infatigable enthousiasme. « En tant que musicien, je peux voir l'impact que j'ai dans la vie des enfants », mentionne Vengerov. Il parle avec une douleur évidente des enfants enlevés en Ouganda, transformés en soldats ou en objets sexuels par leurs ravisseurs, membres de l'armée de résistance du Seigneur, et maintenant placés dans des centres de réhabilitation gérés par l'Unicef. « J'ai vu ces enfants complètement traumatisés par leurs difficiles expériences, dit-il. Leur visage était gris, assombri, sans aucun espoir. Que pouvez-vous faire dans de tels cas ? Vous pouvez bien sûr tenter de les réhabiliter, leur donner des vêtements, de la nourriture, de l'eau, mais ce n'est pas tout. Grâce à la musique, aux sports, aux loisirs, les enfants se sentent de nouveau comme des enfants. Je me sens chanceux d'être un musicien pour pouvoir vivre ce genre de miracle ! »
Cordes sympathiques
On peut difficilement imaginer une autre vie, moins effrénée, pour Maxim Vengerov. Quand on lui demande de décrire une journée idéale pour lui, il réfléchit, puis fait le commentaire suivant : « Elle doit être passée en compagnie d'amis, à faire du sport. » Maxim aime beaucoup la natation, le squash, le jogging, le ping-pong et les randonnées en vélo de montagne (à défaut d'enfourcher la Harley-Davidson qui le fait un peu rêver). Il poursuit : « Il y aura un peu de musique, pas trop, quelque chose d'informel, d'improvisé. À la fin de la journée, cependant, il peut y avoir un concert. En fait, quand j'y pense, chaque journée est idéale pour moi. Je saisis ce qu'elle a à offrir. » Carpe diem!
Photo: David Thompson
Ce concert du soir sera mémorable si, tout d'abord, Maxim Vengerov réussit à établir un contact privilégié, intime, avec le public. « Je ne me concentre pas sur la réaction du public mais je sens vraiment l'énergie positive qui s'en dégage, et ce, bien souvent, avant qu'il ne réagisse. La musique est une langue que nous parlons au concert et elle permet de créer un contact humain. Les grands soirs, j'ai un sentiment de confort, comme si nous étions tous les trois à la maison : le public, le violon et moi. Bien sûr, j'inclus le compositeur : je ne suis qu'un lien, un pont, qui relie le compositeur au public, à travers mon instrument. »
Même si on l'a volontiers associé aux compositeurs russes, il admet plutôt avoir des affinités avec Bach, Brahms, Mendelssohn, Schubert et Beethoven : « Ils restent mes préférés parce qu'ils ont beaucoup à donner et que leur musique transmet un message puissant. » Il ajoute, à l'occasion, une œuvre contemporaine à ses récitals, la sonate Echo ou le Concerto cantabile (écrit pour lui) de Rodeon Schedrin, par exemple. « Les œuvres contemporaines doivent posséder une certaine qualité et quelques éléments essentiels pour les oreilles de l'auditeur. Il doit d'abord y avoir du rythme, une pulsation (même si elle est lente), une organisation rythmique. La mélodie est un autre aspect : un sujet mélodique à retenir, certains éléments qui restent avec vous après le concert. La musique doit dégager une énergie positive. Elle peut être très dramatique, suggérer toutes sortes d'émotions, mais une certaine énergie doit se retrouver dans l'œuvre elle-même. L'atmosphère est le dernier aspect important : le talent du compositeur permet de la sentir et rend l'œuvre unique. »
Même s'il fréquente les plus grands compositeurs par procuration et les personnes connues au fil de ses concerts-bénéfice, Maxim Vengerov garde la tête froide et les pieds bien ancrés dans la réalité : « Je ne suis qu'un autre être humain, avec mes faiblesses et mes défauts. Seulement, je joue du violon et je suis très chanceux. » Ses plus grandes qualités restent, selon lui, sa facilité d'adaptation, sa capacité à accepter les autres, sa générosité et son ouverture à l'amour : « Pouvoir aimer et me laisser aimer : avec la communication, voilà les vrais trésors de la vie. » Dans un monde idéal, il souhaiterait poursuivre son parcours tout simplement. « Voyager comme je le fais, jouer pour les gens, rencontrer des personnes enrichissantes, faire de la musique. C'est un vœu très simple. » Il marque une pause : « Peut-être est-il déjà réalisé. » Il faut continuer à rêver...
Maxim Vengerov en quelques questions
Si vous étiez une ville, vous seriez... ?
- Rome (celle de César). J'y jouerais de la harpe !
Si vous étiez un animal ?
- Un lion. Celui-ci est d'ailleurs mon signe astrologique (naissance le 20 août 1974). En plus, mon signe chinois est le tigre.
Si vous étiez une œuvre musicale ?
- Je serais une symphonie, à cause de sa structure musicale complète.
Si vous étiez un mets ?
- Oh ! Je me suis mis à la cuisine pour une deuxième fois récemment ! Je pourrais peut-être vous léguer quelques recettes, mais vous n'aurez pas nécessairement le goût de les essayer ! (rires) Une chose est certaine : je ne serais certainement pas un mets de restauration rapide !
Une folie récente ?
- Je me suis acheté, lors d'un encan-bénéfice, la combinaison portée par le pilote Michael Schumacher lors de sa dernière course. Mes amis en sont fous ! Le plus incroyable est qu'elle me va comme un gant ! Avec cela, impossible de rouler à moins de 300 à l'heure !
Récital solo
Vengerov se paie le luxe d'un récital solo – « Une vraie aventure de violon ! » –, un rêve qu'il caressait depuis longtemps. « C'est renversant de constater ce qu'un violon peut faire par lui-même ! » Ce programme, entièrement inspiré par Bach, comprendra la transcription de la Toccata et fugue en ré mineur (réalisée par son ami Bruce Fox-Lefriche), quatre des six sonates pour violon seul d'Ysaÿe et la sonate Echo de Schedrin, une œuvre qu'il avait découverte dès l'âge de dix ans. « Vingt minutes de musique impossible à apprendre par cœur – enfin, plus maintenant ! », dit-il en riant.
Maxim Vengerov donnera un récital solo le 12 novembre au Grand Théâtre de Québec. Les fonds recueillis lors de ce concert-bénéfice seront versés au Groupe de soutien en obésité morbide, mis sur pied par Louise Forand-Samson, une amie de Vengerov. Info : (418) 656-4638
Gagnez les trois enregistrements de Maxim Vengerov, gracieuseté de EMI Classics (incluant le tout nouveau qui reprend le programme du concert du 12 novembre) en visitant le www.scena.org.