Musique et biologie Par Asha Jhamandas
/ 2 octobre 2002
English Version...
La musique est une énigme. Elle peut nous
transporter au sommet de l'extase, faire surgir en un battement d'œil des
souvenirs refoulés ou libérer un torrent d'émotions qui nous laisse pantois. Des
études ont montré que la musique exerce des effets semblables à ceux de la
sexualité ou de la nourriture, ce qui est une compréhension frappante quoique
primaire de l'interaction entre la musique et l'esprit.
Ici, à Montréal, des scientifiques
mènent des recherches sur la façon dont la musique agit sur le cerveau et remue
notre sensibilité. Comment la musique joue-t-elle sur les émotions d'une manière
que les mots ne peuvent imiter ? « Le message de la musique et sa capacité
d'émouvoir sont plus abstraits que ceux du langage, affirme Ante Padjen, un
musicien et chercheur en neurosciences à l'Université McGill. La musique existe
dans un contexte culturel et un morceau de musique peut susciter différentes
émotions chez différents groupes culturels. Même dans un seul groupe, chaque
individu possède une expérience de vie propre dans laquelle il puise lorsqu'il
réagit à la musique. »
Le plus gros défi des chercheurs
est de découvrir où la biologie se situe parmi toutes ces variables sociales.
Quelles règles biologiques persistent malgré les divers contextes culturels dans
lesquels la musique est appréciée ?
Les chercheurs de Montréal ne
s'entendent pas tous sur la nature de ce qu'ils cherchent. Y a-t-il un seul
centre de la musique dans le cerveau ? Des études novatrices en imagerie du
cerveau indiquent que plusieurs régions distinctes du cerveau jouent un rôle
dans le traitement et l'appréciation de la musique. Toutefois, des études menées
chez les personnes souffrant d'une déficience sur le plan musical montrent
également que certains réseaux spécialisés distincts du cerveau pourraient être
dévoués spécifiquement à la cognition musicale.
La
vie sans musique
Par exemple, certains des circuits
du cerveau intervenant dans la perception de la musique semblent être séparés
des circuits qui traitent le langage et d'autres sons dans l'environnement,
comme l'ont montré des études menées chez des personnes souffrant d'amusie, une
forme grave de surdité tonale. Les personnes « amusicales » sont incapables de
percevoir des différences de hauteur tonale dans la musique et peuvent par
conséquent être incapables de chanter dans le ton, de danser sur de la musique
ou de mémoriser une mélodie. Étonnamment, ces personnes possèdent par ailleurs
des capacités cognitives parfaitement normales et leurs capacités auditives et
langagières sont intactes.
Ces études indiquent également que
l'on doit d'abord percevoir la musique normalement avant de pouvoir en jouir.
Une personne amusicale étudiée par Isabelle Peretz, détentrice d'un doctorat,
une psychologue à l'Université de Montréal, ne pouvait déceler des variations de
tonalité dans la musique inférieures à deux demi-tons et a déclaré que la
musique sonnait comme du bruit et, en fait, l'indisposait.
Dans une autre étude, la même
auteure signalait que les personnes amusicales étaient incapables de distinguer
les fausses notes et les dissonances. La plupart d'entre elles disaient aussi ne
pas aimer la musique. Certaines la trouvaient si déplaisante qu'ils cherchaient
à l'éviter complètement.
De toute évidence, un problème
fonctionnel dans le cerveau est à l'origine de l'amusie. Toutefois, les études
par imagerie du cerveau chez les personnes amusicales n'ont pu encore révéler
clairement les différences anatomiques qui seraient en cause.
Les
plaisirs de Xanadu
Bien que les lésions soupçonnées
chez les personnes amusicales puissent être trop infimes pour être décelées à
l'aide des techniques d'imagerie scientifique actuelles, d'autres études
d'imagerie, comme celles qui sont menées à Montréal, ont permis des découvertes
spectaculaires au sujet de la réaction affective à la musique.
L'une de ces études, menée par des
chercheurs de l'Université McGill, a montré pour la première fois que la musique
active elle aussi dans le cerveau les centres de récompense ou de plaisir qui
sont associés à la nourriture ou au sexe.
L'étude est révélatrice, car elle
laisse entendre que la musique est aussi importante pour nous que les stimuli
reliés à la survie biologique. « Bien que nous puissions en théorie vivre et
nous reproduire sans la capacité d'apprécier la musique, celle-ci semble
importante pour ce qui est de notre bonheur et de notre bien-être », conclut
Anne Blood, coauteure de l'étude et qui travaille maintenant au Massachusetts
General Hospital.
L'étude a établi que seule la musique suffisamment belle pour susciter fois
après fois l'euphorie et les frissons activait les centres ou voies de
récompense communément appelés centres du plaisir du cerveau.
Ces centres de récompense font
partie d'un système fort complexe qui comprend des constellations de cellules
organisées en districts fonctionnels. Ce système est responsable des plaisirs
naturels associés au goût, à la sexualité et à la chaleur, par exemple. De
telles récompenses naturelles mènent à un renforcement ou à la répétition du
comportement.
Bien que toutes les expériences
agréables semblent se déverser dans une même voie de récompense, le système est
en mesure de faire des distinctions et il ne réagit pas de façon identique à
tous les stimuli. Il se peut que le système puisse également distinguer divers
types de musique, ce qui expliquerait pourquoi les plaisirs de la musique ne
sont pas tous égaux, que ce soit chez une même personne ou entre les
personnes.
Les
neurotransmetteurs portent la musique et son plaisir
Des études scientifiques ont cerné ces centres de plaisir en utilisant des
substances chimiques psychiquement actives et des stimulations électriques.
Elles ont révélé que les voies nerveuses requièrent un neurotransmetteur appelé
dopamine. L'action de la dopamine semble essentielle dans
la médiation des réponses que nous percevons comme gratifiantes et elle joue
probablement un rôle clé dans la production de sensations d'euphorie. Ainsi, une
expérience musicale agréable a probablement une base chimique dans la molécule
de dopamine.
La distinction entre les sons
musicaux s'effectue dans une région du cerveau d'évolution récente, le cortex
auditif, responsable de l'intégration d'un morceau et de notre réaction à la
musique et où se décide si le morceau est inspirant ou non. Toutefois,
l'information musicale est traitée dans d'autres parties du cerveau avant de se
rendre au cortex auditif. Des régions du cerveau relativement primitives qui
règlent la motricité et la mémoire peuvent également contribuer à notre réaction
affective à la musique. Après diverses consultations, le cerveau prend une
décision qui nous mène à danser, claquer des doigts, faire une grimace ou
sourire. Assez curieusement, les recherches ont montré que pendant que nous
écoutons de la musique, les centres moteurs du cerveau sont activés même si nous
ne bougeons pas.
Le
chant comme hymne évolutionnaire
Les scientifiques ignorent toujours pourquoi un système aussi raffiné pour la
musique s'est développé chez les humains – ou chez d'autres animaux, tant qu'à
cela. D'après Mme Blood, le chant peut avoir évolué à partir du phénomène
langagier appelé prosodie, c'est-à-dire le changement de ton dans notre
discours lorsque nous posons une question ou que nous affirmons une chose.
D'autres chercheurs, comme le Dr Sandra Trehub de l'Université de Toronto,
estiment que le chant pourrait être venu d'effets de voix non verbaux produits
pour rassurer les nourrissons.
Quoi qu'il en soit, la
découverte de flûtes du Néanderthalien en Europe montre qu'un « instinct musical
» s'est développé chez les humains il y a des millénaires. Ainsi que le dit Ian
Cross, un psychologue de la musique de l'Université de Cambridge, « sans la
musique, il se pourrait que nous soyons jamais devenus humains ».
[Traduction d'Alain
Cavenne]
English Version... |