Coups de coeur de chef Par Boris Brott
/ 2 octobre 2002
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Verklärte Nacht
(La Nuit transfigurée) d'Arnold Schönberg
J'adore la musique qui touche l'âme, qui donne la chair de poule et qui
excite l'intellect autant que les émotions : Verklärte nacht d'Arnold
Schönberg. Un siècle après sa création, la musique de Schönberg inspire encore
la crainte chez l'auditeur moyen : certaines de ses œuvres peuvent, même
aujourd'hui, « vider n'importe quelle salle de concert du monde ». Cette
remarque, par contre, ne s'applique pas à La Nuit transfigurée, excellent point de départ
pour découvrir ce génie qui, en faisant fi des conventions de l'époque, créa le
sérialisme, devenu un des concepts fondamentaux de la composition au XXe
siècle.
Cette composition est de la pure
musique à programme du fait de l'étroite relation que l'auditeur peut établir
entre chaque strophe du poème de Richard Dehmel dont s'est inspiré Schönberg et
certains éléments des mélodies et des harmonies post-wagnériennes de la
partition. À l'exception de quelques enchaînements peu orthodoxes, il n'y a rien
dans ces pages qui laissait présager l'atonalisme exacerbé qui allait devenir la
marque de Schönberg.
Le poème lui-même était
controversé à l'époque : pour le public et la critique du tournant du siècle
passé, il était d'un érotisme trop explicite. Même aujourd'hui, ses images crues
risquent de choquer, mais notre âme ne peut manquer d'être touchée par le
triomphe de l'amour romantique. En résumé, le texte raconte l'histoire d'un
couple qui se promène dans la froideur du clair de lune. Elle lui avoue avoir
été infidèle et être enceinte de cet autre. Ayant perdu la foi en l'amour, elle
s'est donnée à cet étranger. L'homme lui parle, il ne la laisse pas sombrer dans
la culpabilité. Il regarde la lune dans toute sa froideur, mais une flamme
émanant de l'homme et de la femme transfigurera l'enfant et le légitimera. Ils
se perdent dans les bras l'un de l'autre, leurs respirations se transforment en
baisers qui emplissent l'air nocturne : deux mortels qui vagabondent, baignés
par un clair de lune magnifique.
La Nuit transfigurée constitue un portrait étrange des états d'âme des deux
amants et la musique suit leur transfiguration, du début empreint de tristesse,
de trouble et de tension à la résolution, incandescente et sereine. On ne peut
d'ailleurs passer à côté du moment, au changement du mineur au majeur, où
l'homme s'abandonne et accepte la confession de sa femme.
Cette longue création en un seul
mouvement échappe aux cadres des structures établies telles que sonate, rondo ou
toute autre forme. Néanmoins, il s'agit bien d'une œuvre intensément symphonique
par le développement de ses idées musicales et de l'heureux mélange de logique
et d'imagination dont a fait preuve le compositeur.
Jouer Schönberg exige énormément de chaque exécutant : technique, intonation,
écoute et passion. Mon défi en tant que chef d'orchestre sera de donner vie à
chacune des longues phrases de l'œuvre et de maintenir l'intérêt des auditeurs
pendant ses 33 minutes. Les musiciens de la nouvelle édition de l'Orchestre de
chambre McGill sont parfaitement aptes à en remplir les exigences et à la rendre
avec énergie et passion. La qualité d'exécution de l'orchestre et l'intensité
des sentiments dénudés, déchirants et romantiques qui ne cesseront d'interpeller
le public sont les deux autres raisons pour lesquelles j'ai choisi Verklärte
Nacht.
J'invite donc le public à venir s'abandonner aux charmes de cette musique
révolutionnaire et pourtant si accessible.
Écoute suggérée
J'ai fouillé dans ma discothèque
et n'ai pu trouver qu'un vieux disque vinyle avec Léopold Stokowski comme chef
d'orchestre. Son interprétation, très personnelle, reste convaincante. Je
l'apprécie justement parce qu'il donne vie à cette œuvre. Une bonne
interprétation donne toujours l'impression d'être un produit du moment, d'avoir
été créée au moment précis où on l'écoute ! (Étiquette Séraphin, Angel Records,
numéro s-60080)
Boris Brott a choisi Verklärte Nacht comme noyau du second concert de
la série Connaisseur de l'Orchestre de chambre McGill, le 28 octobre à 20 h à la
salle Pollack de l'Université McGill. (514) 487-5190
Boris Brott est Directeur
artistique, Orchestre de chambre McGill
[Traduction de
Christian Haché]
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