Berlioz : le jeune bicentenaire Par Jacques Desjardins
/ 2 juillet 2003
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Le 11 décembre 2003, Hector Berlioz célébrera son 200e anniversaire de
naissance. Le saviez-vous ? Je n'arrive pas à y croire. Je viens de réécouter la
Symphonie fantastique et cette musique
ne cesse de m'étonner par sa fraîcheur et sa vitalité. La construction
épisodique, l'orchestration inhabituelle et l'usage d'un programme, sous forme
de texte autobiographique comme source d'inspiration à la trame musicale, ont
influencé des générations de créateurs, depuis Liszt jusqu'aux compositeurs de
musique de film.
Véritable inventeur de l'orchestration moderne, Berlioz a transformé à jamais
l'écriture pour grands ensembles et élargi considérablement le spectre des
sonorités et des combinaisons instrumentales. L'orchestre symphonique, tel que
nous le connaissons aujourd'hui, a pris sa forme plus ou moins définitive
d'après les prescriptions du compositeur. Son Grand Traité d'instrumentation
et d'orchestration modernes, paru en 1843, est le premier ouvrage à donner
aux compositeurs les registres des différents instruments et à leur prodiguer
des conseils utiles sur l'art de l'orchestration. Au cours des années suivantes,
des améliorations majeures apportées à la facture des instruments l'ont
contraint de publier en 1855 une toute nouvelle édition de son Grand
Traité. Il en a profité pour ajouter une section sur les nouveaux
instruments comme le saxophone, et une annexe sur l'art de la direction
d'orchestre. Il n'est pas difficile de supposer que Berlioz aurait écrit
l'ouvrage pour son propre usage, lui qui s'était plaint de n'avoir reçu aucune
formation en orchestration pendant ses années d'études au conservatoire. Dans le
chapitre 13 de ses Mémoires, il a avoué avoir
appris l'orchestration grâce à ses présences assidues à l'opéra, en assistant
aux représentations avec la partition sur les genoux. Il a déduit les registres
des différents instruments et l'art de combiner les timbres par sa force
d'observation et sa légendaire détermination.
Et c'est dans la Symphonie fantastique que Berlioz illustre de
brillante façon sa maîtrise de la palette orchestrale. Terminée en 1830, l'œuvre
révèle, dès sa création, la fougue d'un tempérament impétueux et le talent d'un
visionnaire de génie. Première innovation : on distribue aux spectateurs, avant
le concert, un programme destiné à accompagner le discours musical. Intitulé «
Épisode de la vie d'un artiste », Berlioz y décrit la passion qu'il a entretenue
pour Harriet Smithson, actrice irlandaise, qui était devenue l'objet de ses
fantasmes dès 1827, alors qu'elle campait le rôle d'Ophélie dans une production
du Hamlet de Shakespeare. Madame Smithson, de trois ans son aînée,
ignorera cruellement les avances du jeune homme jusqu'en 1832, année où elle
acceptera enfin de lui donner sa main. Au moment d'écrire la Symphonie
fantastique, c'est dans la souffrance d'un cœur
brisé que Berlioz élabore son chef-d'œuvre. C'est pourquoi la partition regorge
d'effusions soudaines et d'emportements violents. Qu'à cela ne tienne, le
programme ne décrit pas en détail les scènes de la vie tumultueuse de Berlioz.
Il sert plutôt à illustrer la réponse émotive du compositeur à certaines
situations dramatiques. L'expression l'emporte donc sur la
description.
Le jeune homme est si obsédé par Harriet qu'elle devient l'idée fixe,
le thème récurrent de la Symphonie, transformé avec maestria dans tous
les mouvements. Cette technique, inspirée de Beethoven et de l'économie
motivique de la Cinquième Symphonie, annonce déjà les Leitmotifs
que Wagner associera aux personnages de L'Anneau du Nibelung. Liszt aussi
rendra hommage au compositeur français non seulement par l'usage de personnages
musicaux, mais aussi par l'audace du langage chromatique. On oublie trop souvent
les innovations harmoniques apportées par Berlioz. Qu'on songe seulement au
chromatisme explicite de certains passages du premier mouvement (nos 10 et 17 à
19 dans l'édition critique d'Edward Cone, Norton, 1971). Qu'on songe aussi à la
superposition bitonale d'accords à distance de triton vers la fin de la « Marche
au supplice » (no 58 dans l'édition citée) : les cordes ponctuent un accord de
sol mineur en réponse à l'harmonie de ré bémol majeur, attribuée
aux vents. Ces accords reviendront presque tels quels, de nombreuses années plus
tard, dans la scène du couronnement de Boris Godounov de
Moussorgski.
Les changements radicaux de tempi donnent à l'œuvre une impression de discours
musical discontinu. Les phrases ne sont plus construites en regroupements
classiques de 8 ou 16 mesures. Le traitement imprévisible de la phrase et de la
pulsation rappellent l'opéra, tout comme les sous-titres attribués aux
mouvements, qui découpent la musique en cinq scènes : I. Rêveries, passions ;
II. Un bal ; III. Scène aux champs ; IV. Marche au supplice et V. Songe d'une
nuit de sabbat.
Ce croisement entre genres caractérise nombre d'œuvres de Berlioz. La
symphonie Harold en Italie de 1834 évoque le voyage bucolique du
personnage principal, tandis que des rôles sont attribués aux chanteurs de
Roméo et Juliette dans l'illustration symphonique que Berlioz a faite en
1839 du drame de Shakespeare. En revanche, La Damnation de Faust, décrite à l'origine par le
compositeur comme un « opéra de concert », a été qualifiée par la suite de «
légende dramatique ». Il faut croire que Berlioz ne s'est jamais senti à l'aise
dans la pureté des genres. On ne se serait attendu à rien de moins d'un esprit
libre au tempérament rebelle et anticonformiste.
Il est grand temps de rendre
hommage au père de l'orchestre moderne. On prévoit des festivités importantes à
Paris l'automne prochain pour honorer sa mémoire. La revanche est douce au cœur
du fils de Grenoble dont la musique a été boudée dans son pays d'origine pendant
la majeure partie de sa vie. Berlioz a longtemps passé pour « le plus allemand
des compositeurs français ». Sa réputation et son influence hors de France ne se
sont jamais démenties. Il est doux de savoir que l'Hexagone le réclame à nouveau
et lui redonne, avec tous les honneurs, sa nationalité musicale
française.
L'Orchestre symphonique de Montréal dirigé par JoAnn Falletta présentera
la Symphonie fantastique au Festival de Lanaudière le 12 juillet et sera
diffusée à la Chaine culturelle de Radio-Canada, le 18 juillet à 13 h 30.
Billets : 1 800 561-4343
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