La rencontre d'Hector et d'Harriet Par Wah Keung Chan
/ 2 juillet 2003
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Le 11 septembre 1827 et le 9 décembre 1832 sont deux moments phares dans
l'une des plus passionnantes histoires d'amour et d'obsession de la musique. En
ce soir de septembre, au théâtre de l'Odéon à Paris, Hector Berlioz voit pour la
première fois Harriet Smithson, celle qui allait devenir sa bien-aimée, jouer le
rôle d'Ophélie dans le Hamlet de Shakespeare. Quatre jours plus tard, il
la revoit en Juliette, dans une autre pièce célèbre du dramaturge. Il écrit dans
ses Mémoires : « L'effet de son prodigieux talent, ou
plutôt de son génie dramatique, sur mon imagination et sur mon cœur n'est
comparable qu'au bouleversement que me fit subir le poète dont elle était la
digne interprète. » Il ajoute : « Shakespeare, en tombant ainsi sur moi à
l'improviste, me foudroya. Son éclair, en m'ouvrant le ciel de l'art avec un
fracas sublime, m'en illumina les plus lointaines profondeurs. »
Berlioz tenta d'arracher une
audience à madame Smithson par l'envoi de lettres et de messages pressants.
Connaissant la réputation d'excentrique du compositeur, elle refusa de le
recevoir.
Harriet Smithson est née en 1800 à
Ennis, en Irlande, fille d'un directeur de théâtre et d'une actrice de petit
renom. Elle joua sur les planches du Drury Theatre, en Angleterre, en 1817 et
1818, mais, bien qu'elle fût une actrice de talent, sa voix peu puissante ne lui
permit pas de connaître la gloire dans ce vaste théâtre. Elle connut le sommet
de sa célébrité à Paris en 1827 et en 1828, alors qu'elle y interprétait les
grands rôles féminins de Shakespeare devant des salles combles. Sa personnalité
scénique enchanta de nombreux artistes, dont Hugo, Delacroix, Deschamps, Gautier
et Dumas.
Bien que Berlioz tentât de
surmonter sa passion en se fiançant à la pianiste Marie « Camille » Moke (qui
peu après épousait un autre homme), son amour non partagé demeura vivace. Peu
après le départ de Paris de l'actrice en 1829, Berlioz écrivit à un ami : « Elle
est [...] à Londres et cependant je crois la sentir autour de moi [...] J'écoute
mon cœur battre et ses pulsations m'ébranlent comme les coups de piston d'une
machine à vapeur. Chaque muscle de mon corps frémit de douleur... Inutile !...
Affreux !... »
Berlioz canalisa son obsession dans la Symphonie fantastique, dont la
création eut lieu le 5 décembre 1830 au Conservatoire. Après le concert, un
jeune Franz Liszt âgé de 19 ans se présenta et louangea le compositeur.
Toutefois, après seulement deux répétitions, les débuts de la Fantastique
révélaient des failles et Berlioz y apporta des modifications
substantielles.
Pour sa deuxième exécution, le 9 décembre 1832, Berlioz fit en sorte que des
amis y invitent Harriet Smithson. David Cairns décrit l'événement dans
Berlioz: Servitude and Greatness (Penguin, 2000). La salle était en effervescence. Le
programme, intitulé « Épisode d'une vie d'artiste » et distribué au public avant
le concert, décrivait une histoire qui laissait deviner la passion de Berlioz
pour Harriet. De son siège au-dessus de l'orchestre, madame Smithson pouvait
voir le compositeur. Le livret et l'effet d'un grand orchestre lui faisant la
cour touchèrent le cœur de l'actrice. Berlioz écrivit plus tard : « Elle sentit
la pièce basculer; elle n'entendait plus un son, mais elle reposait dans un
rêve, et à la fin, elle rentra chez elle comme une noctambule, à peine
consciente de ce qui arrivait. » Dans les heures qui suivirent, Harriet lui fit
parvenir ses félicitations... Neuf mois et demi plus tard, ils étaient mariés,
Liszt leur servant de témoin.
Épilogue. Avant et après le mariage, la relation
du couple fut loin d'être idéale. Berlioz dut composer avec les objections de sa
famille. Un fils naquit de leur union en août 1834. Ce fut une période de
bonheur. Cependant, madame Smithson, voyant sa carrière décliner, devint
envieuse du succès de son mari et se méfiait des autres femmes. Ils divorcèrent
en 1844. Harriet Smithson se mit à boire et devint malade, arrivant à peine à
bouger ou à parler. Entre-temps, Berlioz eut une liaison avec la soprano Marie
Recio et l'épousa finalement, sept mois après la mort d'Harriet, en 1854.
[Traduction d'Alain
Cavenne]
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