Jacques Lacombe - Vision périphérique Par Lucie Renaud
/ 2 septembre 2002
English Version... Photo couverture : Russell Proulx
Sollicité autant pour ses talents de chef de
ballet que pour ses dons à l'opéra ou sa maîtrise du répertoire symphonique du
xxe siècle, il est accueilli à bras ouverts partout dans le monde.
Quand on aborde Jacques Lacombe
pour la première fois, on se sent tout de suite happé par deux traits de sa
physionomie. D'abord, ses mains, très expressives, aux multiples articulations,
dont il use abondamment, qu'il réfléchisse, qu'il dirige, qu'il rigole ou qu'il
s'emballe. Ensuite, ses yeux, d'un brun sombre mais pourtant lumineux, tour à
tour rassembleurs, complices, inquisiteurs, songeurs, taquins ou même
charmeurs.
Quand on a annoncé la nomination
de Jacques Lacombe au poste de premier chef invité de l'OSM au début de juillet
dernier, il y a eu froncements de sourcils et regards interrogateurs. Dérouler
le tapis rouge pour un natif de Cap-de-la-Madeleine plutôt que d'offrir le poste
à quelque chef européen pouvait paraître incongru. Pourtant, c'est oublier que
Jacques Lacombe connaît bien cet orchestre puisqu'il a occupé le poste de chef
assistant de l'OSM de 1994 à 1998 : « J'entretiens une relation très
particulière avec l'OSM parce que j'ai un peu grandi au sein de cet
orchestre-là. » Il a également eu l'occasion de diriger plusieurs de ces mêmes
musiciens, dans la fosse, les soirs de ballet ou d'opéra du fait qu'il est le
directeur musical et chef d'orchestre attitré des Grands Ballets Canadiens de
Montréal depuis 1991 et qu'il a occupé le poste de chef assistant à l'Opéra de
Montréal.
Sollicité autant pour ses talents de chef de ballet que pour ses dons à
l'opéra ou sa maîtrise du répertoire symphonique du XXe siècle, il est
accueilli à bras ouverts partout dans le monde. Il a travaillé abondamment avec
l'orchestre du Covent Garden de Londres (participant même à une tournée en
Australie avec la compagnie). Il a dirigé de nombreuses productions encensées,
aussi bien à Metz, en France, lors de son passage de trois ans à la direction de
la Philharmonie de Lorraine (Aida, Carmen, Anna Bolena et
Lulu) qu'en Allemagne (Faust de Gounod) ou à Philadelphie
(Werther de Massenet). On a pu le voir à la tête de plusieurs orchestres
européens comme chef invité. « Depuis le début, mon cheminement a toujours
recoupé plusieurs intérêts, et pas seulement en musique », souligne celui qui se
dédiait d'abord au monde de l'aéronautique. « J'ai autant de plaisir à écouter
du jazz qu'une symphonie de Bruckner. C'est vrai que je suis un des rares chefs
qui touchent à autant de volets différents et qui le font bien. La plupart des
chefs de ballet ne font que du ballet, avec les conséquences que cela peut avoir
sur leur carrière et leur façon de faire de la musique. Dans mon cas, cela me
nourrit. Même au-delà de la musique classique, mon contact avec ces genres
musicaux influence ma façon de faire la musique symphonique et l'opéra. Je sais
que j'ai un sens du rythme fortement influencé par la musique du XXe siècle et par la musique pop. C'est peut-être une
façon différente d'aborder la musique, une sensibilité différente et je n'ai
jamais voulu qu'on m'étiquette un genre particulier. »
Sa facilité à réagir au quart de seconde, héritée du
monde du ballet, lui sert lorsqu'il aborde le répertoire symphonique. « Le grand
défi au ballet reste de créer une interprétation musicale qui soit complètement
crédible, tout en étant au service du mouvement, de la danse, mentionne-t-il.
Cela demande une technique de direction très précise car, en une fraction de
seconde, l'orchestre doit pouvoir se retourner sur un dix sous. C'est, jusqu'à
un certain point, l'opposé de ce qui se passe dans un concert symphonique.
Pourtant, même avec l'orchestre, j'essaie toujours de me garder un espace
d'imprévu, à l'intérieur d'un cadre précis, bien sûr. Il faut que ce soit
excitant pour le public – évidemment, c'est le but ultime –, mais si les
musiciens, et je m'inclus là-dedans ne sont pas excités, cela passe
difficilement la rampe et peut devenir une beauté un peu plastique. »
Du monde de l'opéra, il retient
la communion d'esprit et le partage d'idées. « Lors des répétitions musicales,
j'apprécie que le metteur en scène soit là, ce qui permet, pour un passage
donné, de discuter de sa vision des choses, de l'intention dramatique, de ce que
le chanteur en pense. Les trois, ensemble, trouvent une solution. À l'orchestre,
nuance-t-il, le chef est plus ou moins seul. Pourtant, inconsciemment, je pense
que les musiciens se sentent dans le coup quand je dirige. Le chef est là pour
contrôler l'ensemble de l'œuvre, mais il y reste de la place pour les
propositions des musiciens. Ce ne sera pas nécessairement verbal, les musiciens
n'en ont pas toujours conscience, mais quand je dirige, surtout avec des
musiciens de qualité comme ceux de l'OSM, je peux me permettre de donner un peu
de corde aux musiciens et de les laisser s'exprimer. L'interprétation devient
encore meilleure, dans la mesure où ces choix s'inscrivent dans une
interprétation cohérente, structurée et organique. Si j'ai choisi la direction
d'orchestre, c'était pour travailler avec des gens. Je recherchais cette
ouverture, sinon j'aurais continuer à jouer de l'orgue! Je suis simplement un
musicien qui a un rôle un peu particulier dans l'orchestre. »
Cette
communication bilatérale se réalise dans un contexte qui allie le respect à une
certaine camaraderie et sous-entend une absence de barrière entre les musiciens
et le chef. «
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Photo : Russell Proulx |
La position de premier chef invité de l'OSM que
j'occuperai suppose un travail sur une base régulière, précise Lacombe. Je n'ai
pas toutes les responsabilités artistiques, mais il y a quand même un travail
dans la continuité avec les musiciens. Ils me connaissent, connaissent mes
qualités, mes défauts (si j'en ai) et l'inverse, ce qui permet d'aller plus
loin. J'aime bien m'adresser aux musiciens par leur prénom. En anglais, le
problème ne se pose pas, mais en français, j'essaie de les tutoyer parce que
certains seront plus proches de moi, les solistes de l'orchestre, par exemple,
et que, tôt ou tard, je finirai par les tutoyer. Si je les vouvoyais devant les
autres membres de l'orchestre, mais que je les tutoyais à la pause, il y aurait
quelque chose de faux. Par contre, si je les tutoie et que je vouvoie les autres
musiciens, je crée deux classes dans l'orchestre, et il ne faut pas cela non
plus. Les musiciens sont des collègues et on partage le même trip
ensemble. Il faut qu'il y ait ce sentiment de fusion. Ce serait
faux que de me faire appeler Maestro alors que je retrouve les musiciens à la
pause et qu'on va prendre un café ensemble. Ce ne sont pas des amis, mais il y a
un contact de musicien à musicien. Je connais peu de formes d'expression où la
communication peut être aussi intime. »
Jacques Lacombe se dit pourtant
quelqu'un d'assez solitaire. « Je n'ai pas beaucoup de fréquentations en dehors
de mon travail. Il faut dire que je rencontre tellement de monde dans une
semaine que cela me fait du bien de me retrouver seul. Je travaille beaucoup.
J'ai peu de temps libre parce que je suis un passionné, un excessif aussi, mais
je l'assume. » Il prend le temps de lire (Éric-Emmanuel Schmitt, ces temps-ci),
s'intéresse à l'actualité et à l'information, aime bien manger et adore le
théâtre. Il ne s'en excuse pas : « Ce n'est pas sans lien avec ce que je fais.
Ma façon d'aborder le travail à l'opéra est fortement influencée par le théâtre.
»
Il est stimulé par
l'effervescence du milieu théâtral québécois et mentionne les créations de
Robert Lepage. Il espère qu'une partie de ce bouillonnement débordera sur la
scène musicale classique. « Avec la nomination de Bernard Labadie à l'Opéra de
Montréal et la mienne, j'ai l'impression qu'il se passe des choses très
intéressantes sur la scène musicale québécoise. Dans le cas de l'OSM, je pense
que l'ensemble de la population a un peu oublié la qualité de cet orchestre-là.
On le tient pour acquis et les gens ne sont pas tout à fait conscients de ce que
l'OSM représente, même sur la scène internationale : prestations à Carnegie Hall
et carrière discographique de l'orchestre. Partout dans le monde, mes collègues
me parlent de l'orchestre! Il faut être fier de ce patrimoine-là. On ne réalise
pas assez la responsabilité qu'on a envers nos institutions. Peut-être que ma
nomination à l'OSM permettra une prise de conscience de la richesse de ce que
l'on possède. »
La porte est ouverte, autant s'y engouffrer. Quand on demande, presque du
bout des lèvres, s'il briguera la direction artistique de l'OSM, il tempère tout
de suite les ardeurs. « Le processus de sélection, bien enclenché, demande du
temps. Il y a fort à parier que le prochain directeur artistique ne sera pas
disponible pour la saison 2003-2004. Même sans toutes les responsabilités
artistiques, j'ai un rôle particulier à jouer auprès de l'orchestre, comme c'est
le cas dans plusieurs orchestres américains qui ont un premier chef invité. Je
n'ai pas l'intention de faire le lobbying nécessaire. Si jamais les membres de
ce comité-là pense que je suis la bonne personne, ils sauront bien me contacter.
Je ne serai pas vexé ou déçu s'ils ne le font pas, parce que c'est une fonction
complexe et que ce n'est pas le seul rôle à jouer au sein d'un orchestre. Ce
n'est pas parce qu'on n'est pas directeur artistique que l'orchestre ne nous
aime pas. Je fais mes concerts, ma musique et ça ne m'empêche pas de dormir! »,
assène-t-il avec un grand éclat de rire. Après tout, comme il confiait à Arthur
Kaptainis du quotidien The Gazette en avril 2001, « vous en connaissez
beaucoup, vous, des chefs de mon âge qui travaillent comme des fous? ». (Il a eu
39 ans le 14 juillet.)
Pas question de souffler, donc. Il y a bien trop d'œuvres qui attendent
d'être transmises par l'éloquence de ses mains et la profondeur de son regard :
Le Sacre du printemps (un vieux rêve), Le Chevalier à la rose,
Ariadne auf Naxos, les œuvres de l'anglais Michael Tippett. Il espère
pouvoir monter Lulu, de
Berg, à Montréal. On ne sera pas surpris de l'entendre affirmer que, s'il
pouvait reculer dans le temps, il choisirait le tournant du XXe siècle, pour «
sa concentration de génie dans les différents domaines ».
Celui qui se décrit comme un être passionné, complètement investi, gros
travailleur, complice des gens avec lesquels il travaille, aurait certes pu y
laisser sa marque. Heureusement, c'est plutôt au tournant du XXIe siècle qu'il continue de
transmettre sa vision de la musique symphonique.
Jacques Lacombe dirigera l'OSM dans douze programmes différents cette
année, dont trois lors de la semaine du 29 septembre. Info : (514) 842-9951. Il
dirigera aussi l'Orchestre des Grands Ballets Canadiens du 26 septembre au 5
octobre dans le Gloria de Poulenc et Les Noces de Stravinski. Info
: (514) 849-0269.
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