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La Scena Musicale - Vol. 8, No. 1

Initiation à la musique : Si les applaudissements m'étaient contés

Par Sarah Choukah / 2 septembre 2002

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Pourquoi applaudir entre les mouvements est-il devenu un geste à proscrire ?

Le concert, très attendu, se prépare avec soin depuis des mois. La salle est un bijou en matière d'acoustique. Confortablement installé sur son siège, un habitué des concerts communique pleinement avec l'interprète. Mais voilà, après une des Images de Debussy, quelques faibles applaudissements se font entendre. Le pianiste ne bouge pas, se concentre et entame la suivante. Le mélomane, lui, fait une grimace dans le noir, dérangé par le geste insolite. Deux mains qui se frappent l'une contre l'autre suffisent à briser sa concentration et le plaisir qu'il avait à attendre le prochain mouvement. Tous ne connaissent pas cette convention et on peut se demander pourquoi applaudir entre les mouvements est devenu un geste à proscrire.

Le décorum dans le cadre des concerts de musique classique n'a pas toujours été tel qu'il est aujourd'hui. Le XVIIIe siècle garde encore, dans sa première moitié, le souvenir d'une musique fonctionnelle jouée dans les banquets de cour et les célébrations liturgiques. Il faut attendre l'avènement des Concerts spirituels de Philidor, institués sous la régence française en 1725, pour que se glisse la note du changement. La musique instrumentale commence alors à assumer le rôle qu'on lui connaît, les sonates et concertos de Corelli et de Vivaldi se font apprécier du peuple français, on oublie déjà le culte fanatique des chanteurs au profit des compositeurs et des instrumentistes. Le public s'assagit et applaudit une fois la représentation terminée, gardant toujours à l'esprit la tenue rigoureuse à adopter en chapelle.

Il faut attendre la plume de Beethoven pour que la sonate gagne la forme et l'expressivité révolutionnaires qui aura un impact profond sur la réception du public. Elle est perfectionnée comme un tout dans lequel les mouvements sont interdépendants, non faits de thèmes isolés, comme dans la suite de danse. Par-dessus tout, le grand maître viennois a exigé de son public beaucoup plus que tout autre compositeur auparavant. Sa musique appelle l'humanité dans tout ce qu'elle a d'universel, transcendant la simple harmonie pour devenir un langage intérieur très profond. Beethoven impose l'écoute la plus attentive, demande à son public une réceptivité exceptionnelle pour l'époque. C'est ainsi que la musique entre au service de l'art et intègre un nouveau sens aux yeux de la société.

Parallèlement à ces nouvelles exigences, le silence s'impose pour garder le contact avec le flot continuel de la musique. Toutes les notes sont importantes, l'harmonie doit être perçue dans son intégralité et l'auditeur est convié à la sensation d'émotions plus complexes qui traduisent les questions que soulève le romantisme. « La pause entre les mouvements les unit. Elle assure même la cohésion entre les tonalités exposées dans chacun d'eux. Brahms utilise cette pause avec un soin particulier. Il se sert des relations de tonalité entre la fin d'un mouvement et le début d'un autre comme d'un élément ayant une importance égale à la musique », souligne Stewart Grant, chef d'orchestre et compositeur.

Le silence traduit un recueillement, autant pour le compositeur que pour l'interprète. Des mois de pratique consistant à aborder ce silence, à organiser sa musique avant, après et tout autour de lui supposent un rapport privilégié entre la sonorité et son absence. La pause invite l'auditeur à poursuivre attentivement son exploration auditive, aiguise l'attention entre les parties distinctes de la sonate ou de la symphonie. Entre deux mouvements, le silence devient la méditation de sa conclusion, de sa suggestion finale, et, en même temps, la préparation au discours musical qui suit.

Applaudir entre les mouvements peut vouloir dire beaucoup de choses. Le public s'émeut parfois au point de vouloir le signifier à l'interprète, ce qui ne déplaît pas au musicien, encore moins au compositeur qui assiste à la première de son œuvre. « J'ai déjà une grande reconnaissance envers les gens qui se déplacent pour entendre ma musique. Il faut s'ouvrir à son public et l'accepter tel qu'il est. Cela ne me dérange pas [qu'on applaudisse entre deux mouvements] et, mieux encore, entendre le public applaudir en plein milieu de la pièce me comble de joie. Cela signifie que ma composition leur a plu au point qu'il veut l'exprimer tout de suite, mais il est rare que cela se produise », affirme le compositeur québécois Denis Gougeon. Même son de cloche chez le compositeur Jacques Desjardins : « La forme actuelle des compositions en musique contemporaine en fait des pièces d'une dizaine ou d'une quinzaine de minutes. Certains compositeurs ne respectent pas cette forme et procèdent autrement, mais les suites à mouvements sont beaucoup plus rares qu'au XVIIIe ou au XIXe siècle. Par contre, le silence dans la musique contemporaine tient une place privilégiée : c'est un élément d'expression au même titre que la matière sonore. Certains publics peuvent percevoir autrement ce qui nous paraît évident en tant que compositeurs et applaudir entre deux mouvements ou penser que la pièce est terminée alors qu'elle ne l'est pas. C'est une question de relativité, les publics ne sont jamais composés des mêmes personnes. Les lieux, le style de musique, les interprètes, le pays et l'éducation culturelle, autant de facteurs qui font du public un ensemble très changeant. Mais il est profitable de vivre cette expérience avec les auditoires; autrement, je ne ferais pas ce métier. »

Le public varie surtout selon sa nationalité et sa culture. Ayant fait l'expérience de nombreuses tournées, Myriam Pellerin, premier violon à l'OSM, témoigne des différences de conventions d'un pays à l'autre. « Au Japon, les gens sont extrêmement respectueux et applaudissent longuement. Je me souviens d'un concert où le chef, monsieur Dutoit, est retourné 18 fois sur scène. Il s'agit d'applaudissements très monocordes et exprimant peu d'enthousiasme. En Europe, le public est généralement plus cultivé qu'en Amérique. La musique classique fait davantage partie de la vie quotidienne et de l'éducation, beaucoup la prennent à cœur. L'auditoire a une attitude plus critique envers la musique et écoute avec attention. Par contre, les pays latins regorgent de salles où le public a le dernier mot, souvent avant la fin de la représentation. En Amérique du Sud, les gens signifient sans tarder leur mécontentement ou, au contraire, font des ovations spontanées et généreuses quand ils sont touchés. »

Les Québécois ont également la main très alerte quand il s'agit d'applaudir, mais les musiciens ne s'en formalisent pas. Roseline Blain, membre fondateur de l'ensemble Lamalgamme, affirme que l'artiste doit conserver sur scène une attitude qui communique l'incongruité des applaudissements, qu'il lui revient d'entretenir une concentration tout aussi réciproque que le contenu de sa musique. Une rigidité excessive peut décourager certains mélomanes, qui craindront de ne pas se sentir à l'aise dans l'assistance. Nul ne peut oublier le rôle important qu'assume un public. Le but n'est pas d'en demander davantage de sa part, mais d'orienter sa concentration afin qu'il apprécie l'œuvre qui se joue sous un angle particulier, qu'il découvre, dans le silence, une nouvelle musique.

Petit guide des applaudissements parfaits

Applaudir pourrait être un élément de distinction au même titre que le timbre de la voix ou que la couleur des yeux, la forme des mains n'étant jamais la même d'une personne à l'autre. Cependant, une technique appropriée d'applaudissement pourrait faire des mélomanes des communicateurs beaucoup plus efficaces dans l'art de montrer leur appréciation en concert. Il importe de bien arquer la paume de la main droite et de courber les doigts de la main gauche (position qui peut être inversée pour les gauchers). De cette façon, l'espace créé par la main droite facilite la résonance avec les doigts et la partie supérieure de la paume gauche. Il en résulte un timbre riche et sonore. Essayez cette technique la prochaine fois que vous sentirez le besoin de rythmer votre réponse à une grande musique.


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