Ces voix qui séduisent Par Wah Keung Chan
/ 1 juin 2002
English Version... La première édition du CIMJM
Lorsque l'expiration de l'air des poumons est
coordonnée avec le mouvement des cordes vocales, la vibration qui en résulte est
amplifiée par l'espace dans la gorge et la tête pour produire un beau son. La
production de sons riches l'un après l'autre est ce qui crée la magie de la
musique et du chant. Chez un
chanteur de talent, un message est envoyé, et
l'auditeur tend l'oreille. Ce mois-ci, 51 jeunes chanteurs venant de 21 pays
feront la démonstration de cette merveille de la musique au premier Concours
International de Montréal des Jeunesses Musicales (CIMJM) consacré à la voix.
Les auditeurs en salle ou ceux qui suivent le concours partout dans le monde
grâce aux diffusions à la radio et sur Internet ont une occasion unique
d'entendre 51 façons différentes d'aborder le chant et d'assister à la
découverte de la prochaine cohorte de maîtres chanteurs.
Qu'est-ce qui fait un grand chanteur ?
Un bon concours de
chant est tout aussi excitant qu'une compétition de patinage artistique. Dans
les deux cas, les prestations sont jugées selon leurs qualités techniques et
artistiques. « La voix, la musicalité et la présence sont les critères »,
affirme André Bourbeau, président du jury. Sur le plan technique, les
caractéristiques d'une grand voix sont le timbre (couleur et capacité de
projeter la voix dans une grande salle), le legato, la flexibilité (colorature),
le registre et la diction. La marque d'un grand chanteur est sa capacité
d'amener une bonne voix à communiquer le message et l'émotion portés par le
texte et la musique.
La formation de la voix
Lorsqu'un musicien
ravit son public, peu d'auditeurs sont conscients du travail technique et des
défis à surmonter pour produire un beau son, et cela est bien ainsi. La voix
exerce toutefois une fascination particulière, parce qu'elle est un instrument
que tout le monde possède, et qu'elle dépend de l'état physique et émotionnel de
l'artiste. La présence du langage (et des voyelles) est un autre aspect qui la
distingue des autres instruments de musique, puisque la couleur ou le timbre de
la voix peuvent être modelés selon les exigences musicales du texte. Le
répertoire classique et l'opéra exigent une voix capable de dominer un orchestre
et de se faire entendre dans une salle de 3 000 places. La création d'une telle
voix exige des années de formation sous la direction d'un bon professeur.
Contrairement aux athlètes et aux instrumentistes, les chanteurs atteignent en
général leur maturité après l'âge de 25 ans et peuvent mener des carrières
durant un quart de siècle ou davantage.
La formation de la
voix est l'une des démarches artistiques les plus exigeantes, du fait que son
mécanisme échappe à la vue. Une partie du voile a été levée en 1855 lorsque
Manuel Garcia a inventé le laryngoscope et, de nos jours, nous connaissons
beaucoup mieux la mécanique de la voix. Bien qu'il existe presque autant de
méthodes et de techniques d'enseignement qu'il y a de professeurs, les critères
utilisés pour juger d'une voix sont demeurés inchangés depuis l'époque de
Verdi.
Le timbre
On utilise souvent
les termes petite ou grande pour qualifier une voix, mais une telle
généralité ne peut décrire avec justesse la beauté du timbre ou la couleur de la
voix, ou sa capacité de projection. La forme et la taille de la gorge et des
cavités au-dessus des cordes vocales déterminent le son particulier de chaque
voix. En règle générale, tout comme une trompette ou un cor produisent un son
différent de celui d'une flûte ou du piccolo, un espace plus large produit un
son plus riche. Le timbre résulte de la combinaison de fréquences complexes et
des harmoniques. Les fréquences plus élevées (entre 2 et 4 kHz) sont
responsables de la « projection », cette capacité de la voix d'être entendue
dans un auditorium. Les voix qui semblent puissantes de près mais étouffées au
balcon manquent justement d'énergie dans cette gamme de fréquences.
Les différences
culturelles (la structure osseuse, la langue parlée) jouent également un rôle
dans la production du timbre de la voix. Par exemple, Enrico Caruso, Rosa
Ponselle et Jussi Bjorling avaient tous le visage rond. L'italien est reconnu
comme la langue idéale pour le chant, en raison de ses voyelles ouvertes. Le son
grave d'Europe de l'Est peut vraisemblablement être attribué à l'usage inhérent
de la partie postérieure de la gorge dans la langue parlée. De nombreux
professionnels de la voix attribuent la rareté des grandes voix françaises aux
sons antérieurs fermés du français. L'anglais présente ses difficultés propres,
en raison du son variable de ses voyelles. Néanmoins, les Nord-Américains de la
présente génération continuent de briller dans l'opéra italien et allemand en
raison de leur apprentissage rigoureux des langues.
L'étendue et l'uniformité des registres
La plupart des
chanteurs amateurs ont un registre naturel limité, à peine plus étendu que le
registre de la langue parlée, en raison d'un manque de coordination. Ainsi, il
n'est pas étonnant que la première préoccupation de la plupart des étudiants
soit les notes aiguës. Le répertoire classique et l'opéra exigent une étendue
d'au moins deux octaves. Suivant leur technique vocale propre, les chanteurs
peuvent avoir une, deux ou trois différentes façons (registres) de produire les
aigus, les notes moyennes (mezza voce) et les
graves. Une voix professionnelle devrait posséder une certaine uniformité dans
toute son étendue, faisant en sorte que les changements de registre passent
inaperçus. Idéalement, chaque note, du grave à l'aigu, devrait posséder la même
qualité de résonance et de vibrato.
Le legato
La capacité de
lier les notes et les voyelles dans une ligne fluide, naturelle et homogène est
une autre illustration de la maîtrise de l'art vocal.
La flexibilité
Haendel, Rossini
et Donizetti ont utilisé la colorature comme procédé dramatique. Certains
chanteurs ont une capacité innée de chanter des notes en succession rapide ; les
autres doivent travailler ferme pour l'acquérir. Les chanteuses Marilyn Horne,
Cecilia Bartoli et Ewa Podles sont parmi celles qui peuvent soulever un public
par leur vocalises flamboyantes.
La portée dynamique
Pour répondre aux
attentes tant des compositeurs que du public, les chanteurs doivent pouvoir
lancer les aigus et chanter fort sans modifier la qualité du timbre,
c'est-à-dire sans que le public sente que le chanteur est sur le point de
s'étrangler. L'une des techniques les plus difficiles est le mezza di voce, soit la capacité d'amplifier une note
jusqu'au fortissimo, puis de l'atténuer jusqu'au pianissimo, tout cela devant paraître continu et sans
effort. Lorsque cela est exécuté avec un aigu, le résultat est une note de
signature, l'une des expériences les plus exaltantes et les plus émouvantes dans
le monde du chant.
La diction
Une bonne diction
est nécessaire pour transmettre le message du texte. Les chanteurs à la diction
molle doivent travailler énormément pour corriger cette lacune. Joan Sutherland
est l'une des très rares chanteuses à être devenue célèbre malgré sa diction
très approximative.
Le Concours International de Montréal des Jeunesses
Musicales
La liste des
demi-finalistes et les statistiques du CIMJM révèlent certaines tendances
intéressantes dans l'état actuel du chant. Des 281 candidats, 21 % ont été
rappelés en demi-finale. Parmi les pays qui comptaient 5 candidats ou plus, la
Roumanie a obtenu le plus de succès, 3 de ses 7 candidats ayant été retenus. La
France affiche un taux de réussite décevant de 7 %. Les 21 pays représentés
montrent que la voix d'opéra est maintenant un phénomène aux dimensions
internationales. Les 30 candidats coréens constituent une illustration éloquente
de la mondialisation de la tradition vocale occidentale. Des 5 demi-finalistes
coréens, 3 ont terminé leur formation en Europe et les deux autres ont étudié
aux États-Unis. Il y a 100 ans à peine, les Nord-Américains se ruaient vers les
capitales européennes pour y trouver la meilleure formation vocale. Depuis les
années 1960, cependant, les programmes de maîtrise et de doctorat du système
universitaire américain ont produit des musiciens extrêmement bien
formés.
La dernière fois
que Montréal a accueilli un concours de chant international, il y a 9 ans, 26
chanteurs y ont participé. La mezzo américaine Phyllis Pancella, qui possédait
la voix la plus raffinée, a remporté le premier prix et la mezzo Wendy Hoffmann,
le deuxième. Toutes deux mènent maintenant des carrières respectables. Les
Canadiens ont fait bonne figure : la mezzo canadienne d'origine roumaine
Annamaria Popescu s'est classée sixième et a amorcé depuis une carrière
internationale prometteuse.
Depuis ce dernier
concours de chant international, le Canada est devenu une force de premier plan
dans le monde du chant : au cours des deux dernières années, des artistes
canadiens ont récolté des premiers prix dans des concours internationaux
prestigieux. La contralto Marie-Nicole Lemieux a remporté le Concours
international Reine-Élisabeth en juin 2000 ; la soprano Isabel Bayrakdarian a
gagné l'Operalia de Placido Domingo en août 2000 ; la soprano Gillian Kieth et
la mezzo Stephanie Marshall ont pris la première place au Concours
Kathleen-Ferrier l'une à la suite de l'autre. Comptant 16 chanteurs canadiens en
demi-finale, le concours prendra une allure de compétition entre le Canada et le
reste du monde -- ou, plus précisément, si l'on s'arrête au nombre de chanteurs,
entre le Canada et l'Europe de l'Est, la Corée et les États-Unis.
Les Canadiens à surveiller
- Measha Brueggergrosman
Âgée de 25 ans, la
soprano Measha Brueggergosman est de loin la chanteuse la mieux connue au Canada
anglais. Sa technique vacillante a terni ses deux dernières présences à
Montréal. Si elle retrouve sa forme, elle devrait figurer parmi les
favorites.
- Krisztina Szabó
Le mezzo clair et
bien projeté de Krisztina Szabó lui a valu un succès critique dans des premiers
rôles avec Opera Atelier et l'Ensemble Studio de la Canadian Opera Company. Son
expérience et son assurance devraient lui permettre de se distinguer.
- Melanie Krueger
Sur le plan vocal,
l'air d'Olympia des Contes d'Hoffman, interprété par
la soprano colorature Melanie Krueger de la Colombie-Britannique, a été le point
fort du gala des Jeunes Ambassadeurs Lyriques le 9 décembre dernier à Montréal.
La voix planait au-dessus de l'orchestre. Si elle soigne davantage
l'interprétation, la chanteuse pourrait se rendre en finale.
- Kimy McLaren
La soprano Kimy
McLaren a été remarquable dans le rôle du compositeur dans l'Ariadne auf Naxos de Richard Strauss de l'atelier
d'opéra à Orford l'été dernier. Son peu d'expérience (elle n'a que 25 ans) peut
jouer contre elle, mais elle pourrait nous étonner.
Où sont les ténors ?
La disette
mondiale de bons ténors se poursuit, même si le ténor roumain Marius Brenciu a
été le double gagnant controversé du Cardiff Singer of the World, l'année
dernière. Le CIMJM ne comptera qu'un seul ténor, l'Américain de 24 ans John
Matz. Au total, 28 sopranos, 9 mezzos, 1 ténor et 13 basses et barytons
participeront au concours, dont de nombreux lauréats d'autres concours, par
exemple le baryton coréen Dae San No, vainqueur du prix du lied au Cardiff
Singer of the World en 1999 et ancien élève de Louis Quilico.
Le jury
Le jury, composé
de six chanteurs légendaires (Teresa Berganza, Grace Bumbry, Marilyn Horne,
Joseph Rouleau, Cesare Siepi et Jon Vickers) et d'un musicologue (Gilles
Cantagrel) mettra vraisemblablement l'accent sur la voix et la musicalité. Les
concurrents seront notés sur une échelle de 0 à 100, sans consultation entre les
juges. Les résultats en demi-finale ne seront pas retenus en finale. Notez que
Berganza, Bumbry et Horne donneront trois cours de maître publique et gratuit le
2 juin.
La couverture de l'événement
La Scena Musicale couvrira le concours dans sa
totalité. Le site <http://voicejm.scena.org
> présentera un compte rendu des
événements de chaque journée, les 30 et 31 mai et les 1er, 2, 4, 5 et 7 juin. On trouvera a l'horaire et la
billetterie à <www.jeunessesmusicales.com
>. La Chaîne Culturelle et CBC
Radio 2 diffuseront les finales en direct à la radio, on pourra suivre toutes
les étapes du concours sur le Web à .
[Traduction d'Alain
Cavenne]
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