Les sentiers du jazz - Portraits Rémi Bolduc et Yannick Rieu Par Marc Chénard
/ 1 mai 2002
English Version...
Saxophonistes alto et ténor respectivement, Rémi
Bolduc et Yannick Rieu animent la scène du jazz montréalaise depuis une
quinzaine d'années déjà.
Tous les deux dans la jeune quarantaine,
ils présentent des parcours ayant plusieurs points en commun : spécialistes d'un
seul instrument, ils ont fait leurs classes tant à Montréal qu'à l'étranger, le
premier séjournant dans la Grosse Pomme au début des années 90, le second
passant plus de huit ans dans la capitale française avant de revenir au bercail,
l'an dernier. Plus récemment aussi, l'un et l'autre se sont mesurés à des
personnages importants, en l'occurrence le maître pianiste Kenny Werner dans le
cas de Bolduc et, dans celui de Rieu, le pianiste montant Bill Carrothers. Forts
de leurs expériences respectives, sans compter quelques fréquentations communes
durant les années 80, ces deux saxophonistes de chez nous semblent engagés sur
des trajectoires bien prometteuses. Et si l'on en juge par leurs projets, tout
augure bien pour une percée sur la scène internationale.
Un an après la parution de son second
disque (Renaissance, sous étiquette Effendi), Rémi Bolduc a bien rempli ses 12
derniers mois d'activité en faisant, entre autres, une première incursion dans
le domaine de la danse contemporaine. En effet, en février dernier, il s'est
produit dans le cadre d'un spectacle intitulé Erosio, une réalisation conjointe
entre sa compagnie de productions Art & Soul et Corps Secret, une troupe
dirigée par la chorégraphe Isabelle van Grimde. Évoluant sur scène entre trois
danseuses, l'altiste se fit entendre aux côtés du percussionniste classique
Julien Grégoire dans une musique composée par Michel Frigon. Mais, à l'encontre
de beaucoup de projets musicaux qui ne durent que le temps d'une première, cette
singulière collaboration ne sera pas sans lendemain. « En danse, les choses ne
marchent pas comme en musique », précise Bolduc dans un bref moment de répit
entre une séance d'enseignement à l'Université McGill et une répétition avec
l'un de ses fidèles collaborateurs, le batteur Dave Laing, « parce qu'il est
important de faire tourner un projet comme moyen de justifier le temps
considérable de préparation qu'on y met, soit un an depuis sa conception
initiale. » Chose dite, chose faite, car la production sera jouée dans trois
villes européennes : Potsdam, Leipzig et Bratislava.
Mais cette sortie outre-Atlantique n'est
qu'un des jalons que Rémi Bolduc franchira durant les prochains mois. Au
lendemain de la parution de ce numéro, le 2 mai, il vivra ses retrouvailles avec
le guitariste new-yorkais Ben Monder, qui a participé au premier disque du
saxophoniste (Fable) en 1993. Lors du spectacle qu'ils donneront au Club Soda
(Montréal), ces deux musiciens seront rejoints par Dave Laing et Zack Lober à la
basse, et ce, dans un programme de nouvelles compositions et de quelques autres
provenant du plus récent disque de Bolduc. « De plus en plus, je travaille la
composition, dit-il, et, pour cette représentation, j'ai décidé d'écrire des
choses pour des sous-formations du quartette, comme un duo batterie-sax ou un
solo absolu que je tiens à faire. »
Passionné devant les feux de la rampe,
il se montre tout aussi engagé dans son travail d'enseignant, un atout qui lui
permettra de se rendre au célèbre camp musical de Banff après son retour
d'Europe. « L'année dernière, j'ai fait un bref passage comme invité "spécial",
mais, cette fois-ci, je ferai partie du corps enseignant attitré, aux côtés de
gens comme Chris Potter, Dave Douglas et, surtout, Kenny Werner, à qui je dois
une fière chandelle. »
C'est avec ce pianiste de grande
renommée que Bolduc entretient un rapport privilégié. Ceux et celles qui
n'étaient pas à leur prestation au Festival international de jazz de Montréal en
juillet dernier doivent savoir qu'ils ont certes plusieurs atomes crochus ! Le
saxophoniste se rappelle d'ailleurs leur première rencontre, lorsqu'il se rendit
chez Werner, au New Jersey, quelques années auparavant, à la suite d'un contact
téléphonique durant lequel il le sollicita pour une leçon. Après une seule
séance, cependant, le pianiste estima qu'il n'avait rien à lui montrer et s'est
montré disposé à collaborer avec lui. Ainsi, des préparatifs se font pour la
réalisation d'un disque en duo au cours de l'automne, événement qui viendra
couronner en beauté une année bien remplie pour le saxophoniste.
Si Rémi Bolduc a de quoi se réjouir,
Yannick Rieu n'a pas à se plaindre non plus. Au début d'avril, Rieu a pu
réaliser son projet de rencontre avec le pianiste Bill Carrothers. N'eût été
d'une tempête de neige et de retards de transit vécus par son invité, ils
auraient sans doute été en mesure de répéter ensemble un peu. Et pourtant, dans
la plus belle tradition de la note bleue, les deux musiciens plongèrent tête
première après un test de son d'à peine cinq minutes. « Pour moi, l'expérience a
été concluante, affirme Rieu, et je crois qu'il s'est plu, malgré les
circonstances. » Interrogé sur les raisons de son choix de partenaire, le
saxophoniste dit estimer Carrothers pour son attitude de libre penseur, d'autant
plus qu'il a choisi de fuir New York (et son système de vedettariat imposé) pour
se réfugier dans le décor plus serein de Minneapolis au Minnesota.
L'histoire de leur rencontre remonte à
quelque trois ans auparavant, lorsque Rieu découvrit le pianiste sur disque. Le
réel élément déclencheur fut pour lui un enregistrement en duo avec le batteur
Bill Stewart. Pendant son long périple en France, Rieu fit la connaissance du
pianiste dans un club parisien, sans toutefois lui faire de proposition précise.
Avec l'appui du Festival international de jazz de Montréal, le pianiste put, en
avril dernier, venir jouer en concert et effectuer, le lendemain, un
enregistrement en duo pour l'émission Jazz Beat de la CBC.
Quant à un projet de disque, rien n'est
arrêté encore, « mais c'est dans les plans », selon son instigateur. Avec la
maison de disque Effendi derrière lui, Yannick Rieu a retrouvé son Québec natal
après son exode volontaire, en 1993. En ce qui concerne les motifs de ce départ,
il avait tout simplement envie de découvrir autre chose, partant pour ainsi dire
à l'aventure et sans attente concrète. Durant ces années, il trempa, entre
autres, dans le bain des musiques du monde et des domaines en vogue de
l'électronique et de l'échantillonnage, qui font justement l'objet de son plus
récent disque : le Non Acoustic Project (Effendi 025). Même s'il n'a fait aucun
disque sous son nom en France, il a tout de même participé à une douzaine
d'enregistrements en tant qu'accompagnateur. En dépit de ses diverses
expériences, Yannick Rieu ne peut se soustraire complètement à l'étiquette
post-coltranienne qu'on lui a pendue autour du cou à son arrivée sur la scène au
milieu des années 80. Interrogé à ce sujet, il estime que cela relève plutôt de
la perception des gens que d'une volonté d'identification. Quoi qu'on dise à son
sujet, Yannick Rieu demeure, comme Rémi Bolduc d'ailleurs, l'une des solides
références jazzistiques au pays.
English Version... |
|