Le trajet de Québec à Montréal est de deux
heures et demie, mais, pour les Montréalais, la distance pour Québec semble de cinq heures.»Louise Forand-Samson aime bien faire cette remarque. Depuis 30 ans, elle est directrice artistique du Club musical de Québec, un organisme sans but lucratif de 110 ans voué à la musique et qui fonctionne grâce au bénévolat. Madame Forand-Samson produit, chaque année, six concerts qui font l’envie des directeurs artistiques partout ailleurs. Les Montréalais qui ne se sont jamais rendus à Québec pour assister à l’un de ces concerts ne savent pas ce qu’ils manquent. Le Club s’enorgueillit de ses 1600 abonnés et la liste des artistes qui s’y sont produits se lit comme le Who’s Who du monde musical:
cette année, nous y entendrons Ben Heppner, Arcadi Volodos, Radu Lupu et, par le
passé, on a accueilli Fleming, Terfel, David Daniels, Arguerich (à cinq
reprises) et Rostropovich.
Quel est le secret de l’habileté de Louise Forand-Samson
à retenir des musiciens de prestige, dont plusieurs ne se sont jamais produits à
Montréal? Une équipe de bénévoles de longue date est à l’origine de ce succès.
Jusqu’à l’an dernier, le Club musical n’avait jamais payé d’employés.»Les
abonnés au Club ont un sentiment d’appartenance, c’est presque un culte», dit en
riant l’exubérante Louise Forand-Samson, indéniablement le coeur de cet
organisme. Grâce à elle, à son flair aiguisé pour détecter le talent, à son
aptitude certaine pour approcher les agents (ils la prennent au sérieux) et à sa
gentillesse envers les musiciens, la ville de Québec est devenue une des
premières étapes lors des tournées. Lorsque le baryton gallois Bryn Terfel fit
une tournée de récitals, il y a quelques années, le Club musical fut le
troisième arrêt, après New York et Chicago.
Ce qui incite les musiciens à revenir au Club musical est
l’habileté de madame Forand-Samson à rendre les artistes à l’aise, comme s’ils
étaient dans leur milieu habituel.»Un artiste heureux donnera toujours une
meilleure prestation que s’il se sent inconfortable. Je mets tous mes efforts à
assurer aux artistes les meilleures conditions possibles. Le piano doit être
réchauffé et la scène, confortable. Dans sa loge, l’artiste trouve des
serviettes propres, du savon et un verre enveloppés, un cadeau, un panier de
fruits, de l’eau et l’histoire du Club musical. Je veux qu’en entrant, il se
sente attendu. Nous l’accueillons à l’aéroport et nous l’accompagnons à l’hôtel.
Je l’invite à “luncher”. S’il a besoin de compagnie, je suis présente pour qu’il
se sente apprécié. Les musiciens sont généralement des gens solitaires, parce
que les autres personnes ne les traitent pas comme des êtres humains. Je suis
aidée par mon expérience de musicienne de formation, qui a fait des tournées
pendant 12 ans, qui a écouté beaucoup de musique et assisté à de nombreux
récitals: je parle la langue de la musique, c’est un atout.»
Originaire de Montréal, Louise Forand-Samson est issue
d’une famille de musiciens -- sa mère, avant sa naissance, était harpiste
soliste à la New York Philharmonic et à l’Orchestre symphonique de Montréal et
son père»avait une voix glorieuse»à la maison -- et, à partir de l’âge de trois
ans, elle a voulu faire de la musique. Elle étudia le piano avec Yvonne Hubert,
à l’école Vincent-d’Indy, avec Vlado Perlemuter, à Paris, et avec Nadia
Reisenberg, à New York. À son retour à Montréal, elle s’installa rue Girouard et
le lieu devint presque»l’auberge Girouard», parce que tous y étaient accueillis.
Tous les vendredis et durant les fins de semaine, les musiciens locaux et de
l’extérieur se regroupaient autour de son Steinway allemand. On y retrouvait
Alicia de Larrocha, qui devint amie de Louise à New York, Garrick Ohlsson,
Irving Heler, André-Sébastien Savoie, Otto et Walter Joachim, Gaston Germain et
Gabrielle Lavigne. Lorsque Louise Forand épousa Marc Samson, critique musical à
Québec, elle commença à enseigner au Conservatoire de musique de Québec. Elle se
joignit bientôt au Club musical de Québec, où elle commença par poser des
affiches et vendre des billets, puis elle fut chargée de la négociation des
contrats (son bilinguisme fut utile) et devint directrice artistique: tout cela
en un an!
«À l’époque, en 1972, le Club s’apprêtait à fermer: les
abonnements n’étant plus que de 109», dit madame Forand-Samson. Elle présenta
les concerts à la salle Louis-Fréchette, la salle principale du Grand Théâtre de
Québec et, progressivement, fit augmenter le nombre d’abonnements en offrant un
programme de première qualité.»Si une étoile ne m’émeut pas, je ne suis pas
intéressée à la présenter. Je recherche aussi les jeunes interprètes spéciaux et
talentueux», affirme Louise Forand-Samson, en égrenant les noms de Midori, Sarah
Chang, Yo-Yo Ma lorsqu’il avait 17 ans, la jeune Jessye Norman, Cecilia Bartoli
(dont le cachet n’était que de 2000 $), Volodos, Vengorov et Kissin.»Je suis à
la chasse depuis 30 ans, maintenant, et je connais des gens dont le jugement
musical est solide.»Équilibrer un budget n’est jamais facile.»Je négocie
férocement. Les agents savent exactement ce que je puis me permettre. Certains
cachets sont négociables, d’autres non. Je puis accorder un gros cachet par
année, que j’équilibre avec les autres concerts de la série. Je ne marchande
jamais à propos des artistes canadiens.»La formule d’abonnement où tous les
billets sont au même prix pour tous les concerts (environ 35 $ par concert) fait
des miracles. En 1984, le Club musical est revenu à la salle Louis-Fréchette et,
maintenant, 96 % des sièges sont vendus aux abonnés.»Je ne pourrais jamais faire
à Montréal ce que je fais à Québec. Il m’en coûterait plus pour produire Volodos
à Montréal que pour financer toute une saison ici», confie madame
Forand-Samson.
Au fil des années, elle a développé de nombreuses amitiés
avec les artistes -- sa maison, son piano et sa cuisine sont toujours
disponibles à la place d’un hôtel --, mais elle n’a jamais profité de ces
amitiés pour marchander.»Je fais toujours affaire avec l’agent.»Elle a demandé à
Krystian Zimerman d’aller à Hambourg choisir, pour le Grand Théâtre, le Steinway
actuel. Piano Six fit ses débuts à Québec dans un concert qui recueillit 37000 $
pour le piano.
Il y a deux ans, madame Forand-Samson subit une
intervention chirurgicale gastro-intestinale.»L’obésité est une maladie
génétique qui crée des problèmes de santé et sociaux», dit-elle franchement. La
chirurgie innovatrice perfectionnée à l’Université Laval lui a sauvé la vie et
Louise Forand-Samson a créé un groupe de soutien et une fondation pour
l’hôpital. Puisqu’elle est une amie des vedettes, elle aura de l’aide dans cette
cause. Le 10 novembre 2002, Maxim Vengerov donnera un concert pour la
fondation.»Max est très généreux et, lorsqu’il apprit que j’avais mis sur pied
une fondation, a demandé à son gérant de m’appeler.»
Il y a un an, madame Forand-Samson termina son mandat de
dix ans comme codirectrice artistique du Festival international de musique de
Lanaudière:»une grande expérience où j’ai beaucoup appris». Elle devint, par la
suite, consultante pour les tournées des Violons du Roy. L’an dernier, la
tournée de David Daniels fut la première et le concert donné à Québec fut
possible grâce à la collaboration entre Les Violons du Roy, le Club musical et
le Grand Théâtre, chacun se partageant les diverses responsabilités. D’autres
projets se forment.»C’est une nouvelle expérience pour moi. Dans le passé, je
travaillais avec des gestionnaires, maintenant, je travaille avec des
présentateurs.»Les projets ne manquent pas...
[Traduction de
Michelle Bachand]