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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 8

Nathalie Paulin : le chemin vers Mélisande

Par Wah Keung Chan / 1 mai 2001

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P our une remplaçante au pied levé qui apprend vite, la préparation d’un premier rôle une année à l’avance est tout un défi. « J’ai un horaire chargé, et j’ai dû trouver une semaine ici et là pour apprendre le rôle », dit la soprano canadienne Nathalie Paulin, qui fera ses débuts dans le rôle de la Mélisande de Debussy à L’Opéra de Montréal.

« Habituellement, je travaille seule, dit Nathalie Paulin. J’aime apprendre des choses par moi-même. Au début, le processus est très lent. Je chante les phrases une à une, de différentes façons, pour les placer dans mon corps et trouver les couleurs des émotions ou du sentiment à tel moment précis. »

Le Pelléas et Mélisande de Debussy est une histoire d’amour tragique. Golaud trouve Mélisande, seule et perdue en forêt, et ils se marient. Le couple regagne le château familial de Golaud, où Mélisande devient amoureuse de Pelléas, le jeune demi-frère de Golaud. Le dénouement n’aura rien de joyeux.

« Sur le plan vocal, je n’ai pas de difficulté avec le rôle de Mélisande, dit la chanteuse. Je n’ai pas d’airs de bravoure à chanter, pleins de notes aiguës. Ce n’est pas du Donizetti. Le défi vient de la caractérisation. C’est un rôle parfait pour une actrice qui est aussi chanteuse, et il exige aussi une excellente technique. »

« Le registre du rôle est plutôt grave, ajoute-t-elle, mais je crois que Debussy voulait une soprano pour la couleur qu’elle peut apporter. Mélisande est très fragile. Elle marche sur des œufs, elle est prudente et réservée. Debussy ne voulait pas d’un son trop riche. Les lignes s’éloignent peu du texte parlé et sont pourtant très mélodiques. Une tessiture plus basse est donc préférable, sans doute. »

Vu l’absence de grands arias, les interprétations rythmiques et dramatiques prennent plus de relief. Au cours du processus d’apprentissage, Nathalie Paulin a pu compter sur l’aide de l’accompagnateur et conseiller vocal Stuart Hamilton et de la soprano Rosemarie Landry.

Vivant à Toronto, la chanteuse s’est d’abord adressée à Hamilton, le gourou de Pelléas et l’un des rares à défendre le chef-d’œuvre de Debussy comme le plus grand opéra jamais écrit. «C’est mon œuvre dramatique musicale préférée, confirme Hamilton. Elle vous fait vivre une expérience émotionnelle déchirante. J’ai beaucoup apprécié travailler avec Nathalie, elle possède une musicalité et une énergie formidables.» « J’ai appris la première scène, puis je suis allée consulter Stuart, j’ai ajusté des choses, je l’ai reprise toute seule, puis je suis retournée le voir, dit-elle. Il me donne parfois certains conseils d’ordre vocal, mais notre travail porte avant tout sur la préparation dramatique. Stuart a une vision remarquable de l’œuvre et il a fait une analyse de la partition. En général, il me lance des idéesegarde, ici, dans la partie pour orchestre, c’est joué par tel instrument, c’est important, c’est le thème d’un personnage. J’ai appris à lire entre les lignes — et à rester calme. Mélisande est complètement bouleversée dans son cœur, mais elle cherche à paraître détendue à l’extérieur. »

« Stuart m’a donc aidée à découvrir ce qui se passe dans l’orchestre et, par conséquent, à laisser Mélisande grandir en moi. Je suis ravie de notre collaboration. Stuart s’installe au piano et je lui fais face. Nous travaillons les lignes une par une. Parfois, j’arrête pour poser des questions, parce que la partition comprend beaucoup d’erreurs. »

"J'ai à trouver des émotions qui se rattachent à ma vie, 
à ma façon de vivre, à trouver des assises pour les
éprouver et les faire sentir."

L’automne dernier, Nathalie Paulin est venue à Montréal travailler durant deux semaines avec la soprano Rosemarie Landry. « Pelléas et Mélisande est un trésor à découvrir, affirme celle-ci, qui a déjà chanté deux fois le rôle de Mélisande. Les couleurs de l’orchestre sont comme du sable mouvant. Pour chanter ce rôle, il est bon d’avoir étudié les mélodies de Debussy et il faut être forte en solfège. Nathalie est une musicienne très généreuse et elle a une belle voix. Le rôle lui convient à la perfection. »

« Rosemarie connaît l’œuvre en profondeur, ainsi que le répertoire français, ajoute Nathalie Paulin. Pour la diction, elle est extraordinaire. Nous avons travaillé les moindres détails, par exemple l’emploi des liaisons dans certaines phrases ou la couleur de certaines voyelles. C’est très différent de travailler avec une autre soprano. Je me sers de tout ce qu’elle me dit. Nous avons approfondi le symbolisme, certaines lignes précises. Elle me pose des questions et m’oblige à réfléchir. J’aurais aimé travailler avec elle plus longtemps. Au départ, par exemple, j’avais prévu beaucoup de rubato dans mes lignes, mais Rosemarie m’a conseillé de respecter les tempi, parce que le drame repose tout entier dans la musique. »

En dernière analyse, le rôle de l’entraîneur vocal est de guider. « En bout de ligne, c’est moi, la chanteuse, dit la soprano. J’ai à trouver des émotions qui se rattachent à ma vie, à ma façon de vivre, à trouver des assises pour les éprouver et les faire sentir. »

Nathalie Paulin est arrivée à Montréal une semaine avant le début des répétitions, dans une voiture louée qui contenait l’essentiel de sa bibliothèque. Le travail en solitaire du début a commencé à prendre forme à mesure qu’elle travaillait avec son compatriote acadien, le baryton Dion Mazerolle, qui chantera le rôle de Golaud, lui aussi pour la première fois, dans des répétitions privées sous l’œil attentif de Mme Landry. « Bien sûr, ma conception de l’œuvre évolue lorsque je travaille avec les autres membres de la distribution, avoue Nathalie Paulin. Dion et moi sommes sur la même longueur d’onde. J’ai hâte d’arriver aux répétitions avec le chef Yannick Nézet-Séguin et le metteur en scène Renaud Doucet et de connaître leurs idées. Nous sommes après tout les serviteurs de l’œuvre, et de la vision du metteur en scène. »

Le travail a commencé le jeudi 19 avril, à 13 h, par une séance de présentation de trente minutes. Doucet a expliqué les grandes lignes de sa conception et Nézet-Séguin a dirigé un premier enchaînement avec accompagnement au piano jusqu’à 18.h.30. « Ce sera formidable, confie Nathalie Paulin à la fin de la journée. Tout le monde est arrivé bien préparé. » Le vrai travail a commencé sérieusement le lendemain avec la mise en scène. Au cours des deux prochaines semaines et demie de mise en place, d’essayage de costumes et de maquillage qui mèneront à la générale du 6 mai, Nathalie Paulin sera dans son monde. « J’ai tendance à devenir très centrée et à ne pas penser à autre chose », confie-t-elle. La soprano est ravie de travailler avec les jeunes chanteurs en majorité francophones — la plupart d’entre eux sont dans la trentaine — réunis par L’Opéra de Montréal. « Ce devrait être très excitant », dit-elle.

 

Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, L’Opéra de Montréal, les 8, 10 et 12 mai. Théâtre Maisonneuve, Place des Arts. (514) 842-2112.


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