André Prévost: le connaître, le comprendre et l'aimer! (1934–2001) Par Marie Trudel
/ 1 mars 2001
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Âme tourmentée, tendue
vers la lumière, homme optimiste mais inquiet, d’une grande lucidité mais d’une
sensibilité à fleur de peau, le compositeur André Prévost, décédé le
27 janvier dernier, cherchait sans cesse des réponses aux problèmes
concrets de son monde tout en ne négligeant point de cultiver une vision
universelle des choses. Jacques Hétu – compositeur parmi les plus joués au
Canada et à l’étranger – n’a de cesse, pourtant, de décrire celui qui fut un ami
très cher comme un « champion en contrepèteries », qui
réchauffait avec cœur le climat des soirées même si, au lendemain de ces
joyeuses agapes, cet obsessionnel de l’authenticité s’empressait de nourrir sa
musique de ses angoisses latentes. Aux dires de Jacques Hétu, la volonté et,
même, l’entêtement de Prévost servirent de catalyseurs à son énergie
essentiellement lyrique et poétique. On peut penser que ces qualités
particulières l’aidèrent aussi à préserver sa liberté de créateur dans
l’utilisation des techniques et procédés d’écriture contemporains. Soucieux de
grandes mouvances, de souffle intérieur, il marqua son œuvre d’un profond
sentiment d’urgence de vivre, porteur qu’il était, répétons-le, d’un désir
inaltérable d’authenticité. Tel fut, semble-t-il, cet homme libre et compositeur
passionné, André Prévost.
Jacques Hétu vient de perdre non seulement un ami mais également un compagnon
de route. Les deux étudiants en musique de 18 et 21 ans se sont connus en 1956
au conservatoire, où ils s’étaient présentés avec, déjà, leur caisse respective
de manuscrits de composition! « Nous avions les mêmes aspirations et
affinités et, pour dire les choses comme elles sont, raconte Jacques Hétu avec
humour et simplicité, nous étions aussi les plus doués à ce moment-là, au
conservatoire. Oui, j’ai un deuil à faire mais André reste présent. C’est la
mémoire qui entre en jeu. Tout en voyant a priori le bon côté des choses,
il éprouvait tout de même face à l’existence, de préciser Hétu, une angoisse
constante, à tous points de vue, qu’il transcendait à travers sa musique
extrêmement dense. » D’où une musique aux couleurs très diversifiées, des
blocs, peut-être, de froideur ou d’agressivité mais, surtout, comme l’affirmera
Hétu, des états d’être lyriques et poétiques dans l’ensemble de la
construction sonore de ses œuvres.
En 1960, à Paris, les deux compères et leurs conjointes se retrouvent voisins
de palier. À Montréal, leur maître en composition a été Clermont Pépin. Là-bas,
ils auront Dutilleux et Messiaen. Ils s’épauleront sans cesse dans la vie comme
dans le métier. Leur maître spirituel est Beethoven, « pour sa recherche
obstinée de la vérité par la musique, pour la structure de ses œuvres, pour ses
innovations qui restent actuelles, poursuit Jacques Hétu. Dans la musique
d’André ou la mienne, que ce soit consonant, dissonant, chaud, froid, peu
importe le langage ou les techniques d’orchestration, tout est toujours englobé
dans les structures traditionalistes des grands musiciens classiques. Oui, la
musique d’André est angoissée, répétera par ailleurs l’ami fidèle. Ma musique à
moi, sans être joyeuse, est tout de même plus ludique que la
sienne! »
Une contamination fascinante
Michel Longtin enseigne la composition depuis 1986 à la Faculté de musique de
l’Université de Montréal. Il a été l’élève d’André Prévost de 1968 à 1975.
« Les gens de l’époque, dit-il, avaient leur manière à eux d’être
mélodiques et rythmiques. Mais un Prévost se remarquait toujours. Prévost
avait un caractère marqué comme homme et n’attaquait jamais une œuvre de manière
fade. Sa musique n’est pas pastel. Elle a une personnalité que l’on
retrouve d’une œuvre à l’autre, sans redondances. J’ai donc de l’estime pour
plusieurs de ses œuvres, assure Longtin. Le style de Prévost se différencie de
celui des autres compositeurs surtout par la rythmique, par exemple au début
d’un mouvement de Diallèle (1968) ou le début de Chorégraphie I
(1973). Je pense aussi à sa façon de faire dans Pyknon (1966), dont
certains espaces rythmiques sont très caractéristiques de son langage. Et,
aussi, par l’aspect mélodique, comme dans Évanescence (1970), Le Conte
de l’oiseau (1979) et dans ses quatuors à cordes, son concerto pour
violon et celui pour violoncelle. »
« Prévost a influencé plusieurs compositeurs d’aujourd’hui qui ont été
ses élèves », affirme Longtin. Mais ce dernier demeure sceptique quant à la
portée réelle d’une telle influence dans le milieu de la musique contemporaine
au Québec. « De plus, dit-il, la société dans laquelle nous sommes rend
impossible toute prédiction à long terme quant à la survie de bons compositeurs
comme Prévost. Mais il aura réussi à nous contaminer positivement! En 1967, la
veille de mon entrée à la Faculté des sciences, j’ai eu le malheur de le visiter
chez lui. C’était la chose à ne pas faire pour un futur chimiste parce que ça
ébranle drôlement les molécules! dit Longtin, pince-sans-rire. Sa partition de
Terre des Hommes m’a tellement impressionné qu’en sortant de là, je me
suis dit: Je veux être compositeur. J’ai fait deux mois en chimie et j’ai changé
pour la musique. » Comment Prévost interpréta-t-il cette volte-face très
inspirée? Longtin ne s’en souvient pas. Il garde plutôt en mémoire le
professeur, l’homme et son œuvre. Comme tant d’autres qui l’ont aimé, d’autres
qui le découvriront.
Des extraits de partitions pourront être téléchargés avec la version PDF du
magazine à <www.scena.org>.
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