verdi : De l’opéra bel canto à l’opéra d’action Par Céline Choiselat
/ 1 février 2001
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Par tradition, l’opéra italien consacre le règne du chanteur, tyran auquel se sont pliés les compositeurs. Cette tyrannie des chanteurs, qui a prédominé essentiellement au xviiie siècle mais dont on trouve encore trace au début du xixe siècle, marque l’ère de l’art opératique de l’aria da capo.
L’aria da capo, passage obligé de l’opéra italien, institue le chanteur comme « artiste-roi ». En d’autres termes, le compositeur doit se soumettre aux exigences de l’interprète en lui offrant une partition qui met en valeur sa technique, sa virtuosité et ses excentricités vocales de façon à ce qu’il puisse briller le plus possible. D’une manière générale, l’opéra italien se définit donc par ce principe esthétique du beau chant (bel canto), dont relève directement l’aria da capo.
Historiquement, on peut circonscrire l’époque du bel canto dans une période allant de 1680 à 1820. Toutefois, on parle encore de bel canto chez des compositeurs tels que Bellini, Rossini ou Donizetti. Les chanteurs belcantistes s’octroyaient alors le droit d’adapter un air à leur tessiture, d’ajouter des ornements non écrits, ou encore d’intercaler des morceaux composés par d’autres compositeurs, au point de devenir eux-mêmes coauteurs de l’ouvrage. Cela montre encore le peu d’intérêt accordé au livret par les interprètes eux-mêmes.
Même si Rossini, lassé de toutes ces libertés, fut le premier à fixer tous les ornements à exécuter, il ne fut pas épargné par ces pratiques désinvoltes. Le livret était donc sacrifié, devenant un pot-pourri qui réunissait des airs de différents compositeurs.
Mais l’attrait des romantiques pour l’opéra amènera un changement d’attitude parmi les chanteurs, obligés de se soumettre aux attentes d’un public plus exigeant qui désire assister à un véritable spectacle et non plus aux seuls numéros d’acrobatie vocale. Le fait que l’opéra se soit éloigné de la déclamation poétique au cours de son évolution historique a engendré une nouvelle conception de la fonction du librettiste.
Celui-ci ne devait plus être un simple poète que l’on jugeait sur la musicalité de ses vers.; il est devenu avant tout un dramaturge, créateur de situations, de personnages et de scènes.
On reconnaît aujourd’hui que l’art du librettiste se distingue de celui du poète. C’est un art qui a ses exigences propres, entièrement déterminé par l’articulation musicale.
Ainsi, l’artiste-roi semble passer au second plan, reléguant la musique et le livret au premier plan. Rossini d’abord, et Verdi ensuite, s’insurgent contre le dictat des chanteurs. À l’opéra bel canto succède dorénavant l’opéra d’action. Les numéros de prouesses vocales des chanteurs, vantant le chant pour le chant, pour le seul bel canto, ne satisfaisaient plus ce public éclairé. L’interprète ne doit donc plus faire étalage de sa technique, mais doit chercher à émouvoir.
Dès lors, ce qui doit être privilégié, c’est l’expression de sentiments, d’émotions et de passions. Alors que le bel canto sublimait le langage des personnages, le romantisme vise à une vérité psychologique et dramatique qui touche le public.
En fin de compte, il ne désire plus assister à un drame où se confrontent dieux et héros sous une cascade d’allégories et de symboles. L’opéra bouffe avait déjà rapproché la scène du spectateur, mais l’opera seria doit faire face à une deuxième exigence qui pouvait se poser comme une contradiction insurmontable.: le goût de l’époque pour le « spectaculaire », propre à susciter l’enthousiasme.
On comprend dès lors que pour pallier à cette double exigence, les librettistes et les compositeurs aient cherché dans les littératures historiques — et non plus mythologiques — le fond de leurs ouvrages. Ces thèmes devront parler un langage qui s’adressera directement au cœur, et non plus à l’esprit. Ce qui ne l’empêchera pas d’être porteur de grandes idées (on pense ici aux chœurs de Verdi, véritables hymnes du mouvement du Risorgimento).
y´a cause du Risorgimento, c’est-à-dire la cause de l’unité italienne contre l’occupation italienne, constitue le noyau de l’esthétique verdienne. Et Verdi, grâce à l’utilisation des chœurs, touche directement le peuple dont il a su faire vibrer les fibres les plus intimes et les plus nationalistes. Il transformera dans Nabucco une histoire d’amour dans le contexte biblique en un ouvrage où le peuple persécuté par un oppresseur étranger passe au premier plan.: cette démarche prenait l’allure d’une manifestation anti-autrichienne.
Lucia di Lammermoor
Un exemple parfait d’un opéra transitionnel qui sait faire le
lien entre l’art du bel canto et celui de Verdi reste
certainement l’opéra de Donizetti Lucia di Lammermoor.
Lucia incarne à merveille l’amour romantique, le seul amour
véritable qui sera récompensé même au delà de la tombe. C’est le
sens de la cabalette après la scène de la folie.: l’amour dure
jusque dans l’au-delà. « Je viens à toi » chantera Edgardo lorsqu’il
apprend la mort de Lucia.
Un grande partie du succès de Lucia dérive de son
caractère « romantique », et c’est ce trait qui toucha le public de
l’époque. Tandis que Bellini présente des personnages abstraits,
dont les émotions sont sublimés par la chant, Donizetti donne à ses
personnages des caractères concrets.
Les hasards du calendrier nous permettent de célébrer l’amour en
assistant aux repésentations exceptionnelles de Lucia di
Lammermoor données par L’Opéra de Montréal les 10, 12, 15, 17,
21 et 24 février 2001 à la Salle
Wilfrid-Pelletier. |
Mais cet investissement politique ne saurait se faire sentir uniquement par la musique instrumentale, par l’orchestration.; il faut donc que Verdi ait pu sélectionner ses livrets, ou encore s’adjoindre la complicité des librettistes compatriotes.
Ainsi le but, pour Verdi, sera toujours le même.: adapter un livret aux causes nationales de l’époque, où l’Italie puisse se reconnaître. Et, soucieux de s’entourer des meilleures garanties de succès, Verdi exigera de ses librettistes une totale collaboration. Dans cette optique, Verdi va être amené à bouleverser la coutume en choisissant lui-même son librettiste, tâche normalement réservée à l’imprésario.
Mais si Verdi est si présent dans la constitution même du livret, c’est aussi parce qu’il a conscience plus qu’aucun autre compositeur de son époque (hormis Wagner) de l’importance du livret.
Un autre aspect de l’esthétique verdienne découle directement de cette conception théâtrale de l’opéra.: l’intérêt porté à la voix. La voix doit servir les personnages et le drame avant la musique ou le texte. Avant la splendeur vocale, Verdi recherche la vérité dramatique. C’est ainsi qu’il a pu refuser à Eugenia Tadolini, pourtant estimée comme l’une des plus belles voix du monde, le rôle de Lady Macbeth.
En s’éloignant du bel canto, Verdi a ouvert la porte à une tradition d’interprétation qui mise sur l’expressivité et qui met la voix au service d’un personnage à qui il faut insuffler vie. L’insistance qu’il manifesta tant dans son œuvre écrit que dans son travail physique auprès de ses interprètes a bouleversé la manière d’aborder l’opéra.
Né en 1813, Verdi ne devait s’éteindre qu’en 1901.
Il vit, dans son propre pays, grandir la renommée des plus grands
musiciens de son époque. Il assista à leur désuétude, à leur remplacement
par de nouveaux maîtres qui tentèrent de substituer l’art symphonique à
celui de la mélodie et du chant. Ainsi, si les Richard Strauss, Schoenberg
et autres compositeurs du xxe siècle sont les héritiers directs de Wagner,
Verdi nous a offert pour descendance les plus grands interprètes, de
Caruso à Callas.
Cet article est le premier d’une série qui soulignera le 100e
anniversaire du décès de Verdi.
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