Une Renaissance canadienne Par Richard Turp
/ 1 décembre 2000
English Version... Le Canada peut s’enorgueillir d’une
tradition vocale extrêmement riche. Depuis l’époque
d’Albani, de nombreux chanteurs canadiens ont marqué
l’opéra au XXe siècle. De nos jours, une nouvelle
cuvée de Canadiens a repris le flambeau et préserve
notre fier héritage.
On peut l’affirmer sans exagérer: les
chanteurs canadiens ont la cote depuis un bon moment. Les grandes
maisons d’opéra affichent des noms comme Heppner,
Margison, Schade, Forst, Pieczonka, Finley, Russel Braun et Gino
Quilico, pour ne citer que ceux-là. Tous mènent
d’importantes carrières internationales, mais de nombreux
autres Canadiens sont recrutés par des compagnies
d’opéra et des sociétés de concert.
Butterfield, Gietz, Feubel, Kutan, Popescu, Berg, Laperrière,
Jean-François Lapointe, Polegato et Enns sont tous de jeunes
artistes qui montent rapidement dans l’élite
internationale.
Tout laisse croire que de nombreux autres les
rejoindront bientôt, si l’on en juge par le nombre de
Canadiens qui ont récemment remporté des concours
prestigieux. En quelques mois seulement, la soprano Isabel
Bayrakdarian (Con-cours Placido-Domingo), la contralto Marie-Nicole
Lemieux (Concours international Reine-Elisabeth) et Liesel
Fedkenheuerx(Fondation Marilyn-Horne) viennent de s’ajouter au
palmarès des lauréats canadiens de grands concours
internationaux.
Comment expliquer cette véritable
renaissance canadienne ? Les concours sont révélateurs
du succès des jeunes chanteurs canadiens, mais ils
démontrent également que bon nombre d’entre eux
sont prêts physiquement, mentalement et musicalement à
envisager une carrière en chant. En outre, les concours dans
lesquels les Canadiens peuvent s’illustrer sont plus nombreux
que jamais. Il y a à peine une génération, ni le
concours Domingo ni la Fondation Horne n’existaient. Les
concours offrent aux jeunes chanteurs tas tant un aiguillon que des
récompenses. La situation évolue rapidement, même
ici. Le Canada a peut-être perdu le Concours international de
musique de Montréal, mais le Prix Joseph-Rouleau accorde
chaque année des prix en argent et des engagements aux jeunes
chanteurs canadiens.
Par ailleurs, les centres traditionnels du chant
comme l’Italie, la France et l’Allemagne produisent
proportionnellement moins de ta-lents vocaux de calibre international
qu’autrefois, et ce, à une époque où il se
produit plus d’opéra dans le monde que jamais auparavant.
Les possibilités à l’étranger pour les
chanteurs canadiens sont donc de plus en plus nombreuses.
En musique baroque, les Can-adiens se sont
taillé et maintiennent une réputation enviable. Les
contre-ténors Daniel Taylor et Matthew White et les sopranos
Donna Brown, Karina Gauvin et Suzie LeBlanc, bien qu’ils ne
s’en tiennent pas exclusivement à la musique baroque, se
sont tous illustrés dans ce répertoire.
Les chanteurs canadiens n’aspirent pas
seulement à remporter des concours. Ils se sentent
stimulés par l’exemple des grandes vedettes canadiennes.
Le simple fait que des noms comme Heppner, Margison et Schade, pour
ne citer que les ténors, soient acclamés partout leur
sert d’inspiration et démontre que nos compatriotes
peuvent effectivement atteindre les sommets. Ces artistes reconnus
illustrent également à quel point une éthique du
travail sans compromis, une détermination inébranlable
et le désir de réussir sont des éléments
cruciaux dans le succès de toute carrière. Rappelons
cependant que ces artistes ont atteint leurs objectifs professionnels
essentiellement en dépit, et non à cause, de
l’infrastructure musicale existant au Canada.
De nombreux chanteurs canadiens ont
également bénéficié de la forte tradition
canadienne de musique chorale et d’église. Cette
tradition est peut-être moins vivace de nos jours, mais son
influence et son rôle ne devraient pas être
sous-estimés. Plusieurs jeunes chanteurs, par exemple la jeune
mezzo Susan Platts, viennent de cette tradition et comptent chanter
peu d’opéras pour le moment et se concentrer plutôt
sur l’oratorio et le récital.
Toutefois, la principale raison des succès
continus des chanteurs canadiens est sans doute l’excellence de
leur formation musicale de base. Les chanteurs canadiens ont pu
profiter de l’excellence des programmes en musique de nos
universités et conservatoires. La multiplication des
écoles de musique et des compagnies d’opéra
professionnelles partout au pays depuis la guerre a certainement
donné aux jeunes chanteurs plus de possibilités
d’être entendus au Canada et un meilleur accès
à des normes professionnelles en chant. Il existe maintenant
une évolution parallèle dans le domaine du
récital : Toronto compte son Aldeburgh Connection et sa
série Off Centre and Song Circle, alors que Montréal
possède sa SMAT.
D’un autre côté, il est
remarquable de voir combien de jeunes artistes, après avoir
terminé leurs études, ont eu besoin de se perfectionner
davantage dans des programmes d’apprentis ou de formation
supérieure comme ceux qui sont offerts par L’Opéra
de Montréal (Atelier lyrique), la Canadian Opera Company
(Ensemble), le Vancouver Opera (programme d’extension), de
même qu’au Banff Centre for the Performing Arts. Il se
pourrait que les jeunes chanteurs aient moins besoin d’un milieu
institutionnel que d’un environnement où se
produire…
En effet, une façon plus constructive de
permettre à certains jeunes chanteurs d’atteindre leur
plein potentiel est de leur offrir un réseau de soutien plus
cohérent. Par exemple, des programmes particuliers de
résidence de compa-gnies d’opéra ou de petites
compagnies de tournée présentant de jeunes chanteurs
pourraient être une solution plus pratique pour certains
artistes. Malheureusement, il n’existe pas au Canada
d’équivalent du Glyndebourne Touring Opera, de
l’European Union Opera ou d’Opéra Europe, bien que
de tels organismes soient essentiels tant pour donner aux jeunes
chanteurs de l’expérience et de la visibilité que
pour élargir le bassin des amateurs.
Il faut comprendre que les transitions les plus
importantes pour un jeune chanteur sont celles de l’état
d’étudiant à celui de jeune professionnel, puis de
jeune professionnel à celui d’artiste accompli. À
cet égard, l’utilité des programmes
d’apprentis fait peu de doute. Toutefois, les endroits et la
durée des stages dans les ensembles de Toronto et
Montréal sont à l’heure actuelle limités
(chaque centre offre une dizaine de places, pour une durée
maximale de trois ans). Suivant la vocation de l’ensemble et le
degré d’expérience des jeunes chanteurs, ces
programmes peuvent être d’une valeur inestimable. On doit
aussi reconnaître que les divers ensembles ont des mandats
différents : certains ont tendance à engager les
chanteurs en vue de leur intégration immédiate dans les
productions alors que d’autres se donnent plutôt pour
mandat l’épanouissement du jeune chanteur.
Un autre élément tout aussi
important faisant présentement défaut dans
l’infrastructure musicale au Canada est un système de
soutien de transition qui permettrait aux jeunes chanteurs
professionnels de mieux s’adapter aux exigences d’une
carrière. En ce moment, des organismes comme la Fondation
Jacqueline-Desmarais et le Théâtre lyrichoréga 20
jouent à ce chapitre un rôle important pour les jeunes
chanteurs canadiens. Toutefois, les organismes publics doivent aussi
examiner leur engagement dans ce domaine, de manière à
aider des jeunes artistes aussi talentueux que James Westman, Isabel
Bayrakdarian, Marc Hervieux, Marie-Nicole Lemieux, Robert Pomakov et
Mariateresa Magisano à poursui-vre la renaissance vocale
canadienne.
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