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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 4

Jean-Sébastien Bach : une affaire de chœur

Par Jacques Desjardins / 1 décembre 2000

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En cette année du 250e anniversaire de la mort de Jean-Sébastien Bach, on ne pouvait passer sous silence la contribution exceptionnelle du compositeur au répertoire et à la pratique du chant choral. Au Québec, par exemple, les Violons du Roy et le Studio de musique ancienne de Montréal ont tenu à souligner cette contribution en offrant à leurs publics respectifs la Passion selon saint Matthieu et l’Oratorio de Noël, deux des partitions les plus considérables du répertoire. Les Violons du Roy ont présenté leur Passion le 11 avril 2000 et le SMAM interprétera l’Oratorio de Noël en deux parties le 17 décembre 2000, à 16 h 30 (parties 1, 2 et 3) et à 19 h 00 (parties 4, 5 et 6), à l’église Saint-Léon de Westmount. De nombreux ensembles en région et à l’extérieur du  ébeuébec ont eux aussi rendu de vibrants hommages au compositeur. Mentionnons seulement les prestations récentes de la monumentale Messe en si mineurgpar l’Ensemble vocal de l’Université Carleton à Ottawa, et par l’Ensemble vocal Amadeus à Sherbrooke.

Bach a toujours maintenu un lien étroit avec les chœurs, lui qui devait pondre une nouvelle cantate par semaine pour les offices du dimanche au cours de ses longues années comme Kantor à la Thomasschule de Leipzig. Ses dons de virtuose autant à l’orgue qu’au violon expliquent les grandes difficultés techniques de son écriture pour la voix, ce qui a amené cette célèbre critique de Scheibe : « Comme il juge selon ses propres doigts, ses pièces sont extrêmement difficiles à jouer ; car il exige des chanteurs et instrumentistes qu’ils soient capables de faire avec leurs voix et leurs instruments tout ce que lui-même peut accomplir au clavier. Mais c’est impossible1. »

On pourrait croire qu’avec le temps, ces difficultés ont été résolues, mais il n’en est rien. L’apprentissage de l’Oratorio de Noël ou du Magnificat requiert encore de nos jours de longues heures de répétition. Pourtant, l’apparition de nombreux ensembles de qualité au cours des récentes années ont permis de démystifier dans une certaine mesure les difficultés techniques de cette musique. L’ai-sance apparente des nouvelles in-terprétations, couplées aux dernières découvertes musicolo-giques sur la pratique de l’époque, nous fait croire que ce répertoire est à notre portée. D’autre part, la grandeur de cette musique, qui en transcende la facture même, nous fait presque oublier, que ce soit à titre d’auditeur ou d’interprète, son haut niveau de virtuosité.

D’ailleurs, chez Bach, la virtuosité ne se sert jamais elle-même. Elle est sujette aux rigueurs d’un langage savamment contrôlé et veut servir une cause beaucoup plus noble, qu’il s’agisse de sou-ligner la grandeur de Dieu ou celle du prince de Köthen (pour qui Bach a travaillé à titre de directeur musical de 1717 à 1723). Scheibe a eu beau critiquer son illustre contemporain, il a eu tort de lui lancer la première pierre. Bach n’était pas le seul à inclure dans ses partitions de longues phrases ornementées aux interminables doubles-croches. Bien qu’on n’ait aucune admission documentée de sa part, Bach aurait certes lui-même reconnu, en particulier pour l’usage de plus en plus fréquent de longues lignes aux rythmes incessants, l’influence de son aîné de quelques années, le compositeur italien Antonio Vivaldi. On sait que Bach a été confronté à la musique de Vivaldi vers 1713-1714, années de parution du Orgel-Büchlein et des premières cantates de Weimar. On remarque dès lors un changement radical dans son style d’écriture, autant par l’exubérance de la virtuosité que par l’ingéniosité de la direction harmonique dont le parcours modulant allie à la fois clarté et effet de surprise.

Ces trouvailles harmoniques ajoutent à l’interprétation un autre degré de difficulté. C’est pourquoi de nombreux musicologues se sont interrogés sur la pratique du chant choral à l’époque de Bach et ont voulu savoir comment diable un même contingent de choristes pouvait apprendre chaque semaine une nouvelle musique et s’acquitter sans peine de telles prouesses vocales et tonales. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la musicologie nous a livré une foule de renseignements utiles et parfois surprenants. On sait maintenant que les dimensions des chœurs étaient beaucoup plus modestes que ce que nous l’avions cru à l’origine. Par exemple, il aurait été impensable pour Bach de réaliser des versions « victoriennes » de la Passion selon saint Jean, avec plus de 200 choristes et un orchestre de plus de 100 musiciens. Pourtant, un monument d’une telle envergure devait lui faire regretter de ne pas avoir à sa disposition de plus imposantes forces vocales et instrumentales.

En 1730, Bach a spécifié, dans une note à ses employeurs, avoir besoin de quatre solistes qui feraient aussi partie d’un chœur comprenant au moins trois sopranos, trois altos, trois ténors et trois basses – mais préférablement quatre par partie, donc un total de seize chanteurs. Ses inquiétudes quant aux chances de trouver des interprètes de bon niveau sont claires à la fin de son rapport : « 17 prêts, 20 pas encore prêts et 17 inutilisables3. »

Les femmes n’ayant pas le droit de faire partie des chœurs d’église, on peut se surprendre de constater que les difficiles soli de soprano aient échu à des voix de jeunes garçons. Pourtant, ces jeunes musiciens, avec leur entraînement d’une intensité quasi spartiate, devaient pouvoir s’acquitter sans trop de peine de ces exigentes arias. Il faut croire, selon Alfred Mann, que Bach faisaient appel à ces jeunes par nécessité plus que par choix et que sa préférence allait nettement du côté des voix de femmes. Mann cite en exemple le « Laudamus te » de la Messe en si mineur qui souligne une tessiture décrite dans les sources de l’époque comme typique de celle de Faustina Bordoni, vedette de l’Opéra de la cour de Dresde. On accorde une certaine crédibilité à l’argument voulant que Bach ait spécifiquement écrit l’aria pour madame Bordoni, parce que la Messe, dédiée à la cour de Dresde, semble avoir servi de moyen pour Bach de convaincre les courtisans de l’engager enfin comme compositeur de la cour, un poste qu’il convoitait entre tous4.

Qu’en était-il de l’accompagnement instrumental ? Dans la même
« note de service » à ses patrons, Bach demande que son orchestre compte deux (préférablement trois) musiciens pour chacune des parties de violons I et II, deux altos I, deux altos II, deux violoncelles et une contrebasse; à cet ensemble de cordes devaient s’ajouter deux ou, selon les besoins, trois hautbois (parfois occasionnellement deux flûtes), un ou deux bassons, trois trompettes et un musicien pour les timbales, pour un minimum de dix-huit musiciens. On peut supposer que ses ambitions de carrière à la cour de Dresde lui aient fait vouloir augmenter les dimensions de son orchestre.

Quoi qu’il en soit, depuis l’apparition d’ensembles de musique an-cienne soucieux de nous offrir des versions plus « authentiques » des œuvres du grand maître, le public a suivi et en redemande. Comme si ces prestations plus épurées, aux forces vocales et instrumentales plus mo-destes, avaient redonné à ce répertoire ses lettres de noblesse par ses dimensions plus humaines. Les disques et les concerts des Violons du Roy et du Studio de musique ancienne de Montréal, deux ensembles québécois de réputation internationale, rejoignent un auditoire sans cesse grandissant dont l’enthousiasme devant la fraîcheur et l’émotion de ces interprétations contribue à garder cette musique bien vivante.

L’auteur est professeur agrégé à l’École de musique de l’Université de Sherbrooke.


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