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La Scena Musicale - Vol. 6, No. 3

Le revers de la médaille

Par Marie Valla / 1 novembre 2000

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Emmanuelle Quiviger a passé cinq jours à marcher et à poser ses affiches. Tout y est passé: restaurants, boutiques, cafés et marchés. Ça a fini par payer. Vingt personnes étaient intéressées, cinq ont signé. Depuis qu’elle a décroché sa maîtrise en interprétation de l’Université de Montréal, Emmanuelle Quiviger enseigne la flûte traversière à son domicile. « J’avais commencé à l’université pour aider à payer mon loyer. Depuis 6 mois, j’ai 15 élèves à la maison, et c’est suffisant pour survivre. » La jeune flûtiste de 26 ans, qui pensait d’abord faire sa médecine, n’a jamais envisagé une carrière d’orchestre. « J’ai décidé à l’université que l’argent n’était pas important. Je voulais faire ma vie en musique mais en protégeant mes choix de vie. »

L’histoire d’Emmanuelle Quiviger ressemble à celle de beaucoup de jeunes musiciens. S’ils ne comptaient que sur leur instrument, bon nombre d’entre eux vivraient en dessous du seuil de pauvreté, rappelle Emile Subirana, le président de la Guilde des musiciens du Québec. Alors, certains rêvent de gloire et font du divertissement en attendant, parce qu’il faut bien vivre. D’autres se savent bons musiciens sans être grands artistes et ont su reconvertir leur talent.

Roeland Denooij a vite compris que « la musique, c’est une chose; vivre, c’en est une autre. » Diplômé en direction musicale de McGill en 1997, il a fait ses armes au Booking office de l’Université. Il en a repris le concept lorsque le bureau a fait faillite. Sa compagnie, Creative Sounds Entertainment, est née de la double volonté de fournir un accompagnement musical de qualité à toutes sortes de réceptions privées ou d’entreprise et de permettre à de jeunes musiciens, étudiants ou non, d’acquérir l’expérience de jouer en public.

Les aspirants musiciens, constate Roeland Denooij, ont tendance à dénigrer les « gigs ». « Ils ont beau ne pas aimer ça, c’est un gagne-pain », dit-il. La politique de sa maison, c’est que les musiciens n’aient à s’occuper de rien jusqu’au moment où ils commencent à jouer. Pour une prestation de 2 heures (auquel il faut ajouter le temps de transport), Denooij obtient autour de 50 $ l’heure par musicien, après prélèvement de sa commission de 10 ou 15 %, selon la taille de l’événement. Son chiffre d’affaires tourne ainsi autour de 100 000 $ par année.

Lorsqu’il s’agit de musique d’ambiance, Emmanuelle Quiviger ne se déplace pas pour moins de 75 $ l’heure. Il lui est arrivé, par exemple, de se produire à un vernissage dans la boutique d’un fleuriste qui avait obtenu ses coordonnées sur une de ses fameuses affichettes. Que les gens ne montrent qu’une attention modérée à sa musique ne la gêne pas outre mesure. « C’est agréable de se laisser enfermer dans sa bulle et de sentir la complicité avec la violoniste », dit-elle.

Christopher Hall pense autrement. Ce clarinettiste de 39 ans, diplômé de McGill, a eu plus d’une occasion, dans ses 10 ans de carrière à la pige, de jouer de la musique de fond. Jouer la Sixième de Beethoven pour une tablée d’hommes d’affaire indifférents lui a valu de perdre quelques illusions. « Mais, dit-il, j’ai du respect pour les musiciens dont c’est le métier, parce qu’ils réussissent quand même à faire de la bonne musique. » Quant à enseigner, il n’avait qu’une patience limitée pour les élèves ne prenant pas l’étude de leur instrument au sérieux.

« La porte est ouverte à ceux qui veulent donner des cours de musique », reconnaît Emmanuelle Quiviger. » Mais elle se ferme rapidement si l’on n’est pas compétent. " Emmanuelle consacre 20 heures par semaine à ses élèves. Pour assurer un peu de régularité à ses revenus, qu’elle estime autour de 10 000 $ par année, elle exige d’être payée au mois, toute absence prévenue pouvant être rattrapée. Avec ça, il lui reste trois ou quatre heures chaque jour pour pratiquer sa flûte.

De temps en temps, elle et sa pianiste donnent des récitals. Elles obtiennent alors entre 250 $ et 300 $ pour la soirée. « Les musiciens qui acceptent de se faire sous-payer font oublier que, derrière toute prestation, il y a les heures de pratique, » aime-t-elle à rappeler.

Mais il y a également ceux qui délaissent leur instrument pour s’occuper de la musique des autres. Après avoir étudié le piano et touché sans conviction à l’enseignement, Jacques Marquis est retourné à l’université faire un bac en administration. « J’avais des intérêts diversifiés », explique-t-il. « Et j’avais conscience que je ne ferais pas carrière : je n’étais pas assez fort et n’aimais pas pratiquer. » Pour travailler à l’Orchestre Métropolitain, où il occupe le poste de chef d’exploitation, ses connaissances musicales s’avèrent un atout certain. « Pour gérer 60 musiciens, les productions et les conventions collectives, il est nécessaire qu’un admi-nistrateur comprenne la musique », dit-il.

Jacques Marquis voit la musique d’orchestre comme une religion : pour y arriver, il faut avoir la foi. Christopher Hall, lui, préfère la comparer au hockey professionnel de la Ligue Nationale : « Il y en a très peu qui parviennent au sommet. »

Même les musiciens d’orchestre possèdent plus d’une corde à leur instrument. L’Orchestre Métropolitain est souvent l’employeur principal mais non exclusif de musiciens qui, pour la plupart, travaillent ailleurs pour diversifier leurs sources de revenus. Avec les tarifs accordés actuellement dans sa convention collective et agréée par la Guilde des musiciens du Québec, le Métropolitain rémunère 82,50 $ au service, pour 2,5 heures de répétition et 3 heures de concert. Les cachets annuels oscillent entre 14 000 $ et 16 000 $. Quand les productions ne sont pas celles de l’Orchestre, les tarifs de la Guilde s’appliquent : 24 $ l’heure de répétition pour un minimum de 2 heures, 125 $ pour 3 heures de concert.

Christopher Hall a multiplié les expériences, collaborant avec la,
plupart des grandes formations montréalaises. Un jour, il a décidé
d’accrocher sa clarinette, avec un peu d’amertume et la conviction que rien dans sa vie ne lui apporterait autant de joie que la musique. « Je voulais vivre à Montréal, et il n’y avait pas de place pour moi », confie-t-il. « Finalement, peut-être n’étais-je pas assez dévoué. J’aurais dû aller pas-ser des auditions à Thunder Bay ou à London, en Ontario. »

Jacques Marquis recommande aux étudiants de faire tout ce qu’ils peuvent pour devenir musicien d’orchestre si c’est ce dont ils rêvent. « Mais il faut être réaliste, ajoute-t-il, il faut diversifier ses horizons, prendre des cours en droit, en administration. »

Ceux qui tentent leur chance n’ont rien à perdre pour autant. Christopher Hall, qui travaille maintenant comme journaliste pigiste en radio et en télévision, se rappelle du conseil qu’un de ses collègues cla-rinettiste à l’Orchestre Métropolitain lui avait donné à l’époque : « Si tu arrives à t’en tirer comme musicien à la pige, toutes les autres choses vont te paraître faciles. » « Rien de plus beau, rien de plus dur », répète Hall, hochant la tête.


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(c) La Scena Musicale 2002