Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 6, No. 3

Renée Fleming - Le chemin de la gloire et polyvalence

Par Wah Keung Chan / 1 novembre 2000

English Version...


Le véritable signe de la réussite, c’est lorsque votre compagnie de disque vous donne carte blanche pour enregistrer ce que bon vous semble. Cet automne, la maison Decca a lancé le dernier album d’airs d’opéra de la soprano américaine Renée Fleming, intitulé simplement Renée Fleming, et les louanges se sont mises à pleuvoir. Toutefois, Renée Fleming n’est pas qu’une jolie voix. Le mois dernier, elle a été chaudement applaudie dans des productions d’Eugène Onéguine et de Don Giovanni ainsi qu’à la soirée d’ouverture de la série Live from Lincoln Center, tout cela en une semaine. Tant les critiques que le public ne tarissent pas d’éloges au sujet de son timbre merveilleux, de son superbe legato et de sa voix délicate et limpide. Il est donc étonnant d’apprendre que sa présence sur scène et sa technique vocale ont été méthodiquement cultivées, ainsi qu’elle l’a confié lors d’une entrevue téléphonique accordée à La Scena Musicale, depuis sa résidence du Connecticut.

´Je n’étais pas naturellement douée pour la scène. En vérité, il m’a fallu créer ma personnalité de scène pour être à l’aise devant le public. J’aime bien mieux chanter dans le calme d’une salle de pratique que devant un public. J’ai travaillé fort pour me préparer mentalement au stress et aux exigences d’une carrière professionnelle internationale.ª

Fille de deux professeurs de chant au secondaire, madame Fleming est venue tout naturellement au chant et à la musique. Elle s’est d’abord intéressée à la musique populaire et au jazz. Ses études avec Patricia Misslin à la SUNY de Potsdam lui ont permis d’approfondir son sens musical et son amour de la musique classique. Son travail à Juilliard avec Beverly Johnson (encore son professeur après 15 ans) l’a aidée à parfaire sa technique.

´Cela m’a pris 10 ans, dit-elle. Pour être une bonne chanteuse, il faut commencer avec un instrument naturel. Mais certains d’entre nous doivent mettre énormément de temps et d’effort pour que tout le mécanisme fonctionne. Lorsque j’ai commencé, je ne pouvais chanter en douceur ni dans le très aigu, et ma tension physique était énorme. Toutes ces faiblesses ont dû être surmontées avant que ma voix naturelle ne perce enfin. Cela a demandé beaucoup d’exploration et d’exercice. Les jeunes chanteurs font souvent l’erreur de confier à leurs professeurs trop de responsabilités concernant leur santé vocale et donc de ne pas expérimenter par eux-mêmes. Or, ils devraient essayer toutes sortes de méthodes pour atteindre chaque objectif, car aucun professeur de chant ne peut faire tout pour tous. Il faut chercher toutes les sources possibles d’information et écouter. J’écoute des enregistrements d’archives et historiques. J’adore regarder les chanteurs. J’ai beaucoup appris en regardant des vidéos. Celles des ´Heures Bellª sont particulièrement précieuses: elles montrent comment les grands chanteurs s’y prennent, ce qu’ils font avec leur corps, avec la bouche, comment ils respirent, leur posture. Je dévore les livres sur le chant, même ceux sur les aspects psychologiques du chant, qui sont souvent source de difficulté. De la curiosité et beaucoup de travail, voilà l’essentiel.ª

Renée Fleming est reconnue pour ses pianissimos aigus aériens (les notes payantes), le rêve de tous les chanteurs, mais dont peu sont capables. ´J’ai dû apprendre cela, dit-elle. La clé, c’est de comprendre que nous devons lutter contre nos instincts naturels. On a tendance, pour chanter piano, à serrer ou à retenir avec la gorge afin d’arrêter le son et la respiration, alors qu’il faut au contraire permettre au souffle de continuer. Un très bon exercice que je fais régulièrement, c’est la messa di voce sur tous les tons, en montant puis redescendant la gamme chromatique. Il y a un usage un peu différent de la résonance, plus centré. Il est essentiel d’apprendre à équilibrer le changement de résonances. En decrescendo, il faut penser qu’elles montent et relâcher du bas vers le haut. Le souffle change aussi. Il faut beaucoup d’expérimentation – et, pour les sopranos, écouter Montserrat Caballé. Tenir une note est l’une des choses les plus difficiles à maîtriser. Pour un bon legato, il faut travailler n’importe quoi avec un glissando afin d’avoir une idée de la continuation de la ligne. C’est une question d’exercice et d’expérience.ª

Les exercices constants ont commencé à rapporter. En 1988, à l’âge de 29 ans, madame Fleming a enfin attiré l’attention. Au printemps, elle a remporté les auditions nationales du Metropolitan Opera et fait ses débuts dans le rôle de la comtesse dans Le Nozze di Figaro au Houston Grand Opera, remplaçant au pied levé. Sa carrière décollait. En 1991, elle chanta le rôle de la comtesse dans la première mondiale de The Ghosts of Versailles de Corigliano. Toutefois, comme l’observait Anthony Tommasini dans son profil paru en février dernier dans le New York Times, l’étoile de Renée Fleming s’est alors un peu figée. La véritable percée semble avoir été la première d’Otello de Verdi au Met en 1995 aux côtés de Placido Domingo, trois semaines seulement après la naissance de sa deuxième fille. ´Ma voix n’a atteint son potentiel qu’il y a cinq ou six ans, dit la cantatrice, et elle s’améliore encore.ª Assez curieusement, la grande soprano dramatique Kirsten Flagstad, qui a créé une véritable sensation au milieu de sa trentaine, a écrit que sa voix s’est améliorée à chaque grossesse. Le rôle de Renée Fleming dans l’enregistrement du Così fan tutte de Solti l’a mise en contact avec Decca et elle devint une artiste exclusive de la maison en 1995.

Depuis, elle a vécu une suite ininterrompue de succès – à deux exceptions près. Une Lucrezia Borgia de Donizetti à La Scala en 1998 a suscité quelques huées. Cette même année, son mariage se brisait.

La polyvalence est un mot clé dans le vocabulaire de Renée Fleming. Mozart et le répertoire français occupent une grande place dans sa carrière (un enregistrement de Thaïs de Massenet vient de sortir en septembre). ´J’aime comment le français est placé dans la voix, c’est très confortable pour moi.ª Des rôles de bel canto comme Armida (Rossini) ont été des succès. Le ´Chant à la luneª de Rusalka (Dvorak) est son air fétiche, et elle a été saluée comme la prochaine grande Maréchale du Rosenkavalier de Strauss. Le nouveau disque de Fleming comprend des airs célèbres italiens et français, dont une copieuse portion de Puccini, mais elle a soin d’éviter l’opéra vériste sur scène, afin de ne pas se briser la voix sur l’écueil des grands orchestres. Championne de la musique nouvelle, Renée Fleming a chanté l’an dernier dans la première de A Street Car Named Desire d’André Previn et elle a donné ce printemps la première d’un cycle de mélodies de ce même compositeur en récital.

Les récitals sont importants pour madame Fleming, mais elle ne défend guère le purisme dans sa programmation. Par exemple, le public de son récital du 7 novembre à Ottawa pourra entendre autant des airs d’opéra que des mélodies. ´Je chante pour servir le public, pour rendre les gens heureux, non pour les sermonner ou les éduquer, et je tiens à monter des programmes qui me font plaisir. Dans une ville où je chante régulièrement l’opéra, je ne ferai que des mélodies. Si je me trouve dans une ville où je ne me produirai jamais dans un opéra, il est préférable de mélanger les deux. Mais je cherche avant tout à divertir et à déployer ma voix – et, je l’espère, faire connaître aux mélomanes de la musique qui les touche et veut dire quelque chose pour eux.

 

Renée Fleming fera deux apparitions au Canada cette saison. Le 7 novembre 2000, au Centre National des Arts d’Ottawa, dans un programme de mélodies et d’airs d’opéra – (613) 947-7000. Le 22 avril 2001 au Roy Thomson Hall de Toronto, en tournée pour son nouveau disque avec le pianiste Jean-Yves Thibaudet – (416) 872-4255.

[Traduction: Alain Cavenne]


English Version...

(c) La Scena Musicale 2002