Prodigieux ! Par Marie Trudel
/ 1 octobre 2000
English Version... Les prodiges des siècles passés
Quand on dit «musicien prodige», on pense spontanément à Mozart. Évidemment! Ce dernier s’était inventé un système de notation musicale dès l’âge de 3 ans, et à 6 ans, il pouvait jouer n’importe quelle partition au violon même s’il n’avait jamais pris de leçon! Lors d’une répétition à laquelle participait son père, Léopold, excellent violoniste lui-même, il joua en lecture à vue la partie de deuxième violon de six trios de Wenzl, un compositeur oublié aujourd’hui... Quand même!
Mozart n’est pas le seul musicien prodige, bien sûr! On peut penser également à Bach et ses fils, Liszt, Alessandro Scarlatti (un contemporain de Bach), Clementi, Bertini (Tout jeune pianiste connaît bien ces compositeurs.), Rossini, Paganini — vive l’Italie! De nos jours, plusieurs jeunes vedettes de la musique classique démontrent leur virtuosité et leur sensibilité, que ce soit au piano ou au violon. Parfois, ils optent pour des instruments beaucoup moins traditionnels, comme l’a fait Félix Hell.
Prodige d’aujourd’hui, artiste de demain
Felix Hell est un jeune Allemand qui vient tout juste d’avoir 15 ans. Il a débuté au piano à l’âge sept ans, un peu par défi. En effet, le soir de Noël 1992, il écoute son père qui joue le premier prélude du Clavier bien tempéré. Il parie avec lui qu’il pourra jouer la pièce parfaitement en trois semaines. Il a finalement perdu son pari puisqu’il réussira à interpréter la pièce, par cœur et sans erreur, trois jours plus tard! Son père a alors compris que son fils, qui n’avait pas démontré d’intérêt particulier pour la musique jusque-là (il trouvait même le cours de flûte à bec de l’école franchement ennuyant) avait un don unique. Neuf mois de leçons plus tard, il assiste à un concert d’orgue et c’est le coup de foudre! Il se souvient de ce jour avec précision: «J’ai adoré la sonorité riche de l’instrument, c’était vraiment impressionnant! Après le concert, nous avons eu le droit de monter au jubé pour examiner la console. Il fallait que j’apprenne à jouer de cet instrument sur le champ. Je me disais que cela ne devait pas être bien difficile, après tout ça ressemble un peu au piano!»
La réaction de ses parents fut quelque peu mitigée. Il faut admettre que ce n’est pas tous les jours qu’un enfant de huit ans émet de tels souhaits! Leo Kraemer, un ami de la famille, organiste à la cathédrale de Speyer, propose à la famille d’aller voir un «petit» orgue dans une ville pas très loin de chez les Hell. Felix n’en peut plus d’attendre et dès le lendemain, il y traîne la famille. Le sort en est jeté. Depuis ce temps, il n’a jamais arrêté, passant d’un orgue plutôt modeste à des orgues grandioses aux quatre coins de la planète.
New York, New York!
En septembre 1999, il fait le grand saut et déménage à New York. Il étudie l’orgue et le piano à la prestigieuse école Juilliard. Son horaire est très chargé. Debout tous les matins à 6 heures 30, il débute sa journée par un petit jogging dans Central Park. Il habite à quelques pas (le chanceux!) chez le Dr Tom Schmidt, organiste et pianiste, également directeur musical de la St. Peter’s Lutheran Church à Manhattan. Il va ensuite à la Professional Student School, une école secondaire spéciale qui ne compte que 150 élèves, tous plus ou moins dans la même situation que Felix. Tous les jeunes sont acteurs, musiciens, danseurs de ballet ou mannequins. Trente professeurs y enseignent, les groupes sont toujours très petits. «Je suis parfois tout seul dans ma classe», précise Felix. Ses matières préférées restent les sciences, mais surtout l’histoire, particulièrement l’histoire ancienne. Il termine l’école à 14 heures et se rend ensuite à l’église St. Peter’s pour répéter pendant trois ou quatre heures. De retour à la maison, il se met au travail et rédige ses devoirs, souvent jusqu’à 11 heures passées. Une journée bien remplie! Il est séduit par New York: «Les gens sont tellement gentils! J’adore son côté fou! Je m’y suis tout de suite senti à l’aise!»
Son horaire de tournée le tient parfois éloigné pendant un certain temps de New York. Il doit alors envoyer ses devoirs par courriel. Il voyage le plus souvent seul, en train ou par avion, mais cinq fois par année, son père le rejoint aux États-Unis. Il est d’ailleurs son agent, s’occupe des communications avec les médias, note les dates de ses concerts et gère son site Internet.
Felix n’est pas constamment attaché à son orgue ou à son piano. Il aime également le sport, comme tous les adolescents de son âge. Il circule souvent en patins à roues alignées et adore le vélo de montagne, la marche et l’escalade. À la télé, il regarde le baseball et le football américain. En Allemagne, il ne manque pas un seul match de soccer. Il se détend au clavier… de son ordinateur, en jouant à des jeux vidéo ou en «chattant» avec ses amis sur le Net. On pourrait croire qu’il mène une vie totalement ordinaire si ce n’était de ses formidables aptitudes d’organiste.
Bach
Son compositeur préféré reste Jean Sébastien Bach. Il est d’ailleurs ravi, en cette année anniversaire de pouvoir l’inclure en première partie de chacun de ses programmes. Il précise: «Personne ne pourra jamais rejoindre Bach. On le considère ‘‘ancien” mais, en fait, je trouve sa musique très moderne. Ses contemporains devaient parfois croire qu’il était fou! J’adore Franck et je joue également du répertoire plus contemporain, comme la Toccate de Schneider, écrite en 1994. Mais y a-t-il vraiment de la nouvelle musique après Bach? Je me le demande parfois.»
Les jeunes et le classique
Il n’y aucun doute dans son esprit qu’il sera toujours un musicien. Il mariera peut-être l’enseignement aux tournées de concerts, mais il n’a bien sûr pas besoin de prendre cette décision maintenant, il a bien le temps! Il possède des vues bien arrêtées sur les autres adolescents qui n’osent pas venir à des concerts de musique classique. «Les jeunes ne devraient pas dire qu’ils n’aiment pas la musique classique s’ils n’en ont jamais entendu! Il faut lui donner une chance! Je me souviens d’un concert que j’avais donné à Washington. Je logeais chez des amis et je voulais qu’ils viennent à mon récital. Ils m’avaient répondu: “Bof, c’est ennuyant, on n’aime pas ça.” Je les ai finalement convaincus de venir au concert et ils étaient très excités après. Ils avaient adoré! Ça m’a vraiment beaucoup motivé. Les interprètes devraient se faire un devoir de communiquer leur passion au public. Le lien direct avec le public, voilà le secret.» Le secret de son succès, en tout cas. Le public est peut-être d’abord curieux d’entendre ses prouesses virtuoses, mais il repart généralement convaincu de la beauté du répertoire. Un jeune homme banal, donc? Tout de même pas. Son père décrit bien sa personnalité: «Il a besoin d’un but. Il a besoin du sommet. La marche sur place, ce n’est vraiment pas son truc. Vivre avec un prodige pourrait être difficile, mais il est tellement simple, tellement normal, que, parfois nous trouvons que c’est ça, le vrai miracle, et non ses talents musicaux exceptionnels.» Papa a raison…
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