José van Dam, Maître du chant Par Wah Keung Chan
/ 1 octobre 2000
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Il est réconfortant d’entendre un grand chanteur dire qu’il apprend encore à maîtriser sa voix, surtout quand il est âgé de 60 ans, qu’il chante depuis 40 ans et possède une discographie de plus de 140 enregistrements. "Ma voix évolue toujours d’ailleurs. Je crois que tant qu’on chante, une voix évolue ", dit le baryton-basse belge José van Dam, à quelques jours de la première du Pelléas et Mélisande de Debussy au Metropolitan Opera – sa première apparition sur cette scène en 12 ans. "C’est à peu près à l’âge de 30 ans que je suis devenu assez sûr de ma technique, dit-il, mais il y a des choses que je chante aujourd’hui plus facilement qu’il y a 10 ans."
José van Dam a commencé à chanter comme alto à l’âge de 11 ans et, comme en font foi les enregistrements de sa mère, il avait déjà, très jeune, une technique naturelle basée sur le souffle et sur l’appui du diaphragme. "Quand j’ai rencontré mon professeur, M. Frédéric Anspach, à l’âge de 14 ans, il a cherché à perfectionner ce que j’avais déjà." Cette relation s’est poursuivie jusqu’à la mort d’Anspach. Van Dam avait alors 37 ans. "Depuis, je travaille seul." Ses idoles étaient George London, Cesare Siepi, Jussi Bjoerling.
Le succès vint rapidement et van Dam fit ses débuts professionnels à l’âge de 20 ans. Après quatre ans à l’Opéra de Paris, il déménagea à Genève, où Lofti Mansouri l’aida à apporter plus de personnalité à ses rôles sur la scène. Une très belle relation s’établit également avec Herbert von Karajan. "Si redoutable qu’il fût, Karajan ne pouvait quand même pas tuer une voix si un chanteur refusait de chanter les rôles que le maestro lui proposait ", rappelait van Dam dans une entrevue parue en
juillet 1980 dans Opera News. Le sommet de sa carrière fut une production de 1973 du Mariage de Figaro de Mozart à Paris, dirigée par Georg Solti, avec Giorgio Strehler à la mise en scène et une
distribution comprenant Mirella Freni, Gundula Janowitz et Frederica von Stade.
Vu son horaire chargé de 50 à 60 apparitions par année, les deux tiers à l’opéra et le reste en concerts et récitals, van Dam n’a guère de temps pour l’enseignement. "C’est pourtant une chose qui me passionne et j’espère pouvoir commencer à enseigner dans quelques années. Je travaillerais d’abord la technique de la respiration et de l’appui sur le diaphragme. Le voile du palais devrait être relevé et la bouche s’ouvrir correctement, à la verticale. Il faut laisser tomber la mâchoire à la jointure juste à l’avant des oreilles. Nous ne travaillerions que de petites sections d’airs traditionnels italiens et ferions beaucoup d’exercices vocaux. Idéalement, je verrais deux ou trois élèves par semaine. Il est également important d’enseigner à l’élève comment travailler seul. Je travaillerais d’abord la technique, six mois avec l’un, deux ans avec l’autre, selon les besoins de chaque élève. Dès que la technique est maîtrisée, on peut commencer à travailler des airs importants, on peut se concentrer sur le texte pour en comprendre la signification et lui donner sa personnalité, que ce soit à l’opéra ou en récital."
Connu mondialement pour son rôle remarquable dans le film Le Maître de musique, van Dam a des vues assez nettes sur l’état actuel du bel canto. "L’une des premières qualités d’un jeune chanteur est la patience, aime-t-il rappeller. Quand j’ai commencé, on avait peut-être 85 chanteurs sur 100 avec une très bonne technique. Maintenant, on serait à 65 ou 70 sur 100. Aujourd’hui, quand quelqu’un a une belle voix, les maisons de disque s’en emparent et parfois ça va trop vite pour les jeunes chanteurs. À notre époque, deux choses sont importantes : l’argent et que ça aille vite. Les jeunes chanteurs oublient que les stars comme les Pavarotti, Domingo et compagnie chantent depuis des années. Il faut prendre le temps, avoir de la patience et de l’humilité."
"Naturellement, il y a plusieurs façons de chanter, certaines bonnes, d’autres mauvaises, ajoute-t-il. Si on veut être un bon chanteur, c’est-à-dire faire à peu près ce que l’on veut avec sa voix, nuancer, faire des piani, il faut posséder une bonne technique. Je pense qu’aujourd’hui, on n’insiste pas assez sur la technique dans les conservatoires ou les universités. Chaque élève possède un instrument différent. Avant de faire le chanteur, l’interprète, le professeur doit construire l’instrument avec l’élève. Ce n’est qu’une fois l’instrument formé que le professeur peut dire au chanteur : voilà, tu possèdes l’instrument, maintenant tu vas apprendre à t’en servir, à faire de la musique. Trop souvent, on apprend à un jeune chanteur à se servir d’un instrument qui n’est pas complet."
En octobre, van Dam recevra un diplôme honorifique (son premier) de l’Université de Montréal. "C’est un grand honneur ", dit van Dam, un peu inquiet tout de même à l’idée de faire un discours. Après un récital des Diechterlieder de Schumann et de mélodies françaises le 22 octobre, van Dam donnera un cours de maître le lendemain. "Je ne suis pas très amateur des masterclasses, avoue-t-il. On n’a le temps de travailler que l’interprétation, non la technique."
Amorçant une cinquième décennie de chant, van Dam nous confie que son grand défi est toujours de faire encore mieux. "J’ai gardé l’étendue de mon registre au cours des ans. Je chante peut-être des rôles plus aigus, par exemple Scarpia ou le Hollandais volant. J’ai attaqué des rôles plus baryton, bien que je chante toujours des rôles de basses tels Méphisto ou Philippe II." Van Dam tient cependant à souligner qu’il est un baryton-basse. "C’est une question de tessiture, dit-il. Le baryton-basse aura des aigus plus faciles qu’une basse et, en général, un timbre plus brillant. Je puis aussi chanter des rôles de baryton pas trop aigus comme Scarpia ou Simon Bocanegra. Je crois que ma voix s’est élargie, mais elle n’est pas plus grave qu’il y a 20 ans. Avec le temps et l’expérience, des couleurs se sont ajoutées, mais la tessiture est restée la même. Peut-être mes interprétations sont-elles devenues plus profondes."
Riche d’une discographie impressionnante, van Dam a néanmoins évité les contrats d’exclusivité. "Je voulais pouvoir enregistrer ce que j’avais envie d’enregistrer." La seule chose qui manquerait à sa discographie, confie-t-il avec regret, serait le rôle du Don Juan de Mozart… mais il y a déjà tellement d’enregistrements. "L’important est que le jour où j’arrêterai de chanter, les gens disent: c’est dommage que van Dam ne chante plus, plutôt que : c’est dommage qu’il chante encore."
[Traduction : Alain Cavenne]
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