XXe siècle Erik Satie: Première Gnossienne Par Stéphane Villemin
/ 1 septembre 2000
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Composée en 1890 alors que
Satie avait 24 ans, cette
pièce, comme les Sarabandes
et les Gymnopédies,
fait partie des oeuvres à
succès qui révéleront
le compositeur sur la
scène parisienne. Le critique Roland
Manuel, satiste de la
première heure et dédicataire
de l'oeuvre,
défendit l'originalité de cette musique,
tout comme le
pianiste Ricardo Vines. D'abord publiée en
1893 dans une revue
musicale, la Première Gnossienne
ne fut officiellement
diffusée que 20 ans plus tard par
l'éditeur
Rouart-Lerolle. Caractéristique du style
de Satie, elle nous
interroge à bien des égards.
En premier lieu,
son titre fit couler beaucoup d'encre. Est-ce
une évocation de
l'île crétoise de Cnossos,
une allusion à la
devise introspective de Socrate (Connais
toi toi-même) ou plus
simplement un mot imaginaire choisi
pour ses sonorités et son
rythme? Les titres chez Satie
sont à rapprocher des
commentaires dont il essaime certaines
de ses partitions:
énigmatiques, elliptiques, riches de
sous-endentus, on ne sait
par quel bout les prendre. Mais les
originalités ne
s'arrêtent pas au texte. Bien que
le découpage des
mesures aurait pu souffrir une triviale
division à quatre
temps, Satie s'est bien abstenu d'y insérer
la moindre barre.
La vue d'ensemble y gagne en liberté.
Cette pièce
courte apparaît alors comme un tout,
un soliloque ininterrompu
qui se termine comme il a commencé,
issu du silence et se
perdant dans l'infini. D'autres effets concourent
à donner un
caractère intemporel à cette
Gnossienne.
L'aspect répétitif de la mélodie
interdit tout
développement. Tout au plus remplace-t-il
deux blanches par
une ronde lors de la seconde exposition. Le
rythme syncopé
à la main gauche abordé dans
le tempo indiqué
(exemple 1) se reproduit avec une sorte
de nonchalance, voire de
monotonie surrannée, et tourne
en rond comme un vieux
gramophone. La tonalité de fa
mineur,
suggérée par des basses insistant lourdement
sur une
note pédale de fa, s'avère un autre
leurre qui
s'effondre avec l'énoncé d'une
mélodie
clairement modale (exemple 1). Il s'agit en fait du
mode tzigane
que l'on peut retrouver dans la pièce du
même nom
de Ravel. Les appogiatures brèves, issues du
même
style tzigane, ponctuent chacune des courtes phrases
exposées
et répétées comme en
écho. Une seconde
idée intervient alors (exemple 2),
sans trancher avec ce
qui a été préalablement
exposé, mais
plutôt comme une variation
mystérieuse. À
cet endroit, la Gnossienne, que
l'on peut facilement chanter
vu la faible étendue de sa
tessiture, se permet une courte
envolée lyrique
accentuée par l'effet de ce mélisme
oriental.
« Questionnez », demande Satie. « Que
suis-je? »
demanderait Socrate, auquel répond le « Postulez
en
vous-même » de Satie. Humour, ironie, cynisme?
Comme
toujours avec le maître d'Arcueil, il y a plus de
questions
que de réponses. Cet amateur de litotes et
d'antiphrases
n'est certes pas à prendre au premier
degré, sauf
lorsqu'il s'agit de la simplicité et de la
pauvreté.
N'écrivait-il pas à son amie Valentine
Hugo: « Chère
Valentine, je souffre trop. Il me semble
que je suis maudit. Cette
vie de mandigot me répugne . Je suis
à bout et ne
puis attendre. » 1
1. Margerie, Anne
de. Valentine Hugo, Éd. J.
Damase, Paris,
1983.
Écouter Satie et le groupe des
Six:
To hear the works of Satie and "Les Six:"
* Satie:
OEuvres pour piano/Aldo Ciccolini (EMI)
* Satie:
Parade:/Orchestre National de France, direction
Manuel
Rosenthal (Adès)
* L'Album des Six: pièces
pour deux pianos et quatre
mains/Duo Corre-Exerjean
(Vérany)
* Les Mariés de la Tour
Eiffel/Orchestre National
de France, direction Darius Milhaud
(Adès)
* Arthur Honegger: Le Roi
David/Orchestre de la Suisse
romande, direction Ernest Ansermet
(Decca)
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