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La Scena Musicale - Vol. 5, No. 8

LA SYMPHONIE DU MILLÉNAIRE Un opus pour le début des temps 1er volet : le défi musical

Par Marc Chénard / 1 mai 2000

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Pour bon nombre de gens, Le trois fait le mois n'est qu'un dicton français parmi d'autres. Mais pour Walter Boudreau, ces quelques mots acquièrent une tout autre résonance. Chef attitré de la SMCQ et compositeur, cet homme aux mille idées voit venir, inéluctablement, le plus grand rendez-vous musical de sa vie.

En effet, dans un mois, soit le samedi 3 juin à 20 h 30 pile (le lendemain, en cas de pluie), une volée de 2000 clochettes explosera sur le terrain de l'oratoire Saint-Joseph, signalant l'ouverture d'une uvre gargantuesque, la Symphonie du millénaire. Pendant 90 minutes, quinze ensembles interviendront dans ce magnum opus, notamment l'OSM, la SMCQ, le Royal 22e Régiment, les Petits Chanteurs du Mont-Royal, les grandes orgues et le carillon de l'oratoire, les sirènes de deux camions de pompiers et, pour finir, 2000 carillonneurs! (De plus amples détails sur l'aspect logistique de cette entreprise extraordinaire seront fournis le mois prochain dans le second volet de ce reportage.)

Au cours des derniers mois, les médias se sont attardés à la dimension organisationelle du spectacle, mais celle-ci ne représente qu'un côté de la médaille. L'autre présente un énorme casse-tête musical : en effet, 19 compositeurs (17 hommes, 2 femmes) ont été assignés à chacune des formations participantes. Outre le maître d'uvre, Walter Boudreau, et son proche collaborateur et codirecteur du projet, le compositeur Denys Bouliane, signalons la participation de John Rea et Gilles Tremblay parmi les « doyens », Jean Lesage et Estelle Lemire parmi les « cadets », ou encore Anthony Rozankovic et André Duchesne, deux interprètes-compositeurs engagés respectivement dans les milieux du jazz et des musiques actuelles. Devant cette énorme galère et son éclectique équipage, une question ne peut manquer de se poser : comment arrive-t-on à réconcilier, sinon à rallier, autant de visions et de préoccupations artistiques individuelles?

« Il nous a fallu inventer un code, précise Walter Boudreau, parce qu'il aurait été impensable de réunir tous les compositeurs sans préalable aucun. Plutôt que de leur imposer des règles rigides, ou de leur dire comment ils devaient composer leur partie respective, nous leur avons plutôt proposé d'emblée des balises permettant de trouver des terrains d'entente. » Pour ce faire, Boudreau suggéra en guise de thème principal un chant grégorien du Moyen-Âge intitulé Veni Creator Spiritus. Non seulement est-il entonné au début et à la fin de l'uvre, mais il la parcourt en filigrane, repris et transformé au gré de chaque compositeur. Pour justifier ce choix un peu inusité, Boudreau invoque, entre autres raisons, la simplicité de sa facture, les manipulations rythmiques et harmoniques diverses qu'il invite et un attrait personnel pour sa ligne mélodique (voir encart). Notons aussi en passant que la Symphonie rappellera de manière furtive un passage de l'opéra Boris Godounov de Moussorgsky.

Structure

Pour articuler cette idée directrice, il fallait échafauder une forme globale, ou une structure d'ensemble qui permettrait aux compositeurs de se mettre à la tâche. Après plusieurs discussions entre les deux codirecteurs, une première partition graphique est mise au point, qui sera maintes fois remaniée en cours de route. Elle comporte sept mouvements enchaînés :

I II III IV V VI VII VIIa
Appels Enfer Purgatoire Contemplation Paradis Ascension Apothéose Épilogue
4 min 8 min 45 min 5 min 15 min 8 min 4 min 1 min

Le lecteur notera au passage que le troisième mouvement compte pour la moitié de sa durée totale, un choix qui n'apparaît pas fortuit lorsqu'on prend en considération l'histoire de l'humanité dans tous ses élans et excès. Voilà pour le déroulement temporel de l'uvre. « À partir de cette première structure, affirme Denys Bouliane, nous avons réussi à élaborer un plan plus détaillé, où tous les événements musicaux ont été calculés à la seconde près. Nous avons informatisé toutes ces données. Le fichier imprimé a requis 35 pieds de papier! » clame-t-il tout en faisant défiler la partition sur l'un des écrans d'ordinateur de son studio de composition.

En contrepartie, on trouve, sur un axe vertical, une série de critères gouvernant la mise en situation des ensembles et de la musique :

1- Intervention des groupes
2- Matériel mélodique
3- Vitesse relative de déroulement
4- « Climats »
5- Dynamique générale
6- Spatialisation
7- Étalement du cantus firmus sur la durée entière de l'uvre.

De ces sept critères, deux nécessitent un mot d'explication. Le premier, Intervention des groupes, a pour objet d'établir les différents rôles confiés aux ensembles participants. Dans certains cas, ceux-ci peuvent agir en meneurs de jeu et occuper un rôle de soliste, que ce soit avec ou sans le concours d'autres groupes. Par ailleurs, l'entrée d'un groupe solo peut se faire de manière « autonome » (sans égard à la musique qui le précède), ou « dépendante » (reliée à la musique qu'on vient d'entendre). Dans d'autres cas, les groupes collaborent plus ou moins sur un pied d'égalité à la réalisation de la trame musicale. Dans cette situation, un ensemble peut détenir un rôle subordonné ou principal, le second pouvant opérer selon les modes « autonome » et « dépendant ». Dans le troisième et dernier cas, le « tutti » implique une dépendance de tous les ensembles envers un seul, comme ce sera le cas à la toute fin de l'uvre. Et quel ensemble mènera le bal vers sa grande apothéose? Soyez-y et vous aurez la réponse

Quant à la spatialisation, le sixième critère, elle a pour objet de décrire le déplacement de la musique dans l'aire de la performance. Pour ne prendre que deux exemples : dans le second mouvement, (Enfer), la musique se déplacera progressivement du centre vers la périphérie en suivant des directions de plus en plus erratiques; dans le quatrième mouvement (Contemplation), la musique ira d'abord du centre vers la périphérie pour effectuer ensuite un retour vers son point d'origine. Ces mouvements ne seront pas sans rappeller les effets « surround » particulièrement prisés en stéréophonie haut de gamme. D'ailleurs, Walter Boudreau nous promet une expérience qu'il a baptisée de la « toutpartoutphonie »!

À l'heure actuelle, les dernières orchestrations sont en voie d'être complétées et sont acheminées vers un copiste qui travaille d'arrache-pied à produire toutes les parties instrumentales pour 333 musiciens! « Une pure coïncidence », nous assure l'attachée de presse de la SMCQ, Suzanne Samson, qui avoue son étonnement en précisant : « Nous les avons recomptés plusieurs fois et arrivons toujours au même nombre... » Si le 3 juin 2000 fera le mois (pour ne pas dire le reste de leur vie) de Walter Boudreau et de ses nombreux compagnons de route, les 333 autres participants en feront autant pour le grand public qui envahira le terrain de l'oratoire lors de cet événement à noter dans les annales de la musique.

Le mois prochain : le défi organisationnel

Note : À l'heure actuelle, 1200 des 2000 clochettes sont vendues. Pour renseignements sur l'achat de l'un des trois modèles disponibles, communiquez avec la SMCQ au 843-9305, ou consultez son site Web : www.smcq.qc.ca.

 

Le Veni Creator De la turlute à la samba

Hymne liturgique du temps de la Pentecôte, le Veni Creator Spiritus (ou Venez, Esprit créateur) est au nombre des chants sacrés les mieux connus de la chrétienté. On croyait avoir retracé ses origines au IXe siècle, mais il semble avoir eu des antécédents en Grèce antique. Au fil des siècles, et suivant la traduction allemande faite par Martin Luther, des compositeurs comme Bach et Buxtehude l'ont paraphrasé dans leurs uvres pour orgue.

En ce qui concerne la Symphonie du millénaire, le cantique a servi de ligne directrice, ou encore de tremplin, aux 19 compositeurs. Membre émérite du collectif, Gilles Tremblay précise qu'il a décidé de n'utiliser que des voix d'enfants au sein de l'ensemble qui lui a été assigné, les Petits Chanteurs du Mont-Royal. Ces voix imiteront tantôt des volées de cloches (dans le troisième mouvement), tantôt des turlutes folkloriques en guise de variations thématiques (dans le cinquième).

Parmi ses jeunes collègues, le pianiste Anthony Rozankovic souligne qu'il a misé, de son côté, sur l'aspect rythmique. Il a trouvé son inspiration dans certaines musiques ethniques, notamment des sambas brésiliennes bien syncopées. « Je suis arrivé assez rapidement à cette décision, dit-il, et cela me paraissait d'autant plus intéressant qu'on m'avait assigné le corps du 22e Régiment. Comme c'est un ensemble militaire qui a l'habitude de jouer une musique très appuyée sur le rythme, j'ai décidé de le prendre à contrepied, ou plutôt à contretemps. »

Interrogé sur son appréciation globale de la symphonie, Gilles Tremblay y voit « une grande courte-pointe sonore et une uvre populaire dans le sens noble du terme ». Son cadet, Rozankovic, la compare à un We are the World à 19 compositeurs, tout en exprimant sa satisfaction à l'égard du thème choisi, « une mélodie, dit-il, qui mérite d'être mieux connue ».
­ Marc Chénard


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