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La Scena Musicale - Vol. 5, No. 8

Aussi vulnérables que des athlètes : comment prévenir et guérir les blessures des musiciens

Par Pierre-Olivier Savoie / 1 mai 2000

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Pourquoi les blessures de musiciens deviennent-elles de plus en plus fréquentes? Récemment, l'Orchestre du Centre National des Arts à Ottawa a dû annuler des concerts, car trop de musiciens étaient blessés. Le programme trop chargé semblant en cause, la direction de l'orchestre a remplacé certaines uvres au programme par d'autres moins éprouvantes physiquement, espérant résorber le problème. Bernard Labadie, directeur musical des Violons du Roy, critique quant à lui le milieu de la musique qui ne prépare pas correctement les musiciens à exercer un métier parfois aussi exigeant que des sports de pointe. « C'est comme si on avait un club de football, qu'on ne parlait que de stratégie, qu'on jouait, mais qu'on ne parlait pas des exercices de préparation et d'assouplissement, dit-il. Ce serait une aberration. Dans une certaine mesure, c'est le cas des musiciens, et les murs doivent changer. »

Arrêtez dès les premiers signes !
Malgré des débuts très prometteurs, Agnes Grossmann a perdu toute chance de faire une carrière internationale de pianiste après une blessure à la main en 1972. Ses intérêts pour la direction d'orchestre et la direction chorale lui ont cependant permis d'amorcer une seconde carrière. Cette Autrichienne de naissance a dirigé l'Orchestre Métropolitain durant 10 ans, jusqu'en 1995, et fait maintenant le tour du globe en tant que chef invitée.

Elle relate avec précision l'événement : « Un jour, j'ai eu la main coincée par une porte en fer. Elle m'est tombée sur la main droite et j'ai senti un engourdissement intense dans le troisième doigt. Cependant, lorsque l'engourdissement a disparu, après quelques jours, j'étais tellement contente de recommencer à jouer que je n'y ai plus repensé. » Comme l'incident avait été de courte durée, elle n'avait pas pris le temps de consulter un médecin. Deux mois plus tard, juste avant de partir pour une tournée aux États-Unis avec le Columbia Artist Management, elle a ressenti l'engourdissement encore une fois, mais l'a ignoré.

Vers la fin de la tournée, le petit engourdissement est réapparu, plus insistant, plus dérangeant. « C'était comme si j'avais perdu toute la technique de ma main droite », relate-t-elle. De retour à Vienne, Mme Grossmann a subi une intervention chirurgicale afin de rétablir la situation. « Après deux ou trois semaines, j'ai recommencé à jouer du piano, mais contrairement à ce que le médecin avait prédit, mon doigt pouvait encore moins bouger. Si vous regardez bien, vous pouvez voir comme un trou entre mes troisième et quatrième doigts », dit-elle en montrant une petite cavité sous la peau de sa main droite. Les deux muscles ou les deux nerfs activant chaque doigt ont probablement été entremêlés durant l'opération. Aujourd'hui, son majeur ne peut bouger seul et suit les mouvements de l'annulaire. Mme Grossmann a même eu recours à l'acupuncture, mais sans succès.

Après deux ans, elle s'est résignée et a abandonné tout espoir de guérison. Elle est retournée à l'Académie de musique de Vienne pour y étudier la direction d'orchestre. « [Entre-temps] j'ai dû annuler de plus en plus de concerts, vivant toujours avec un petit espoir, mais sachant que les choses ne pouvaient continuer ainsi pour toujours. [...] C'est pour cela qu'il faut toujours avoir plus d'un intérêt dans la vie. En plus de l'interprétation, j'avais toujours été très intéressée par la direction d'orchestre et la composition », dit-elle philosophiquement. Même s'il l'a écartée du piano, son « problème de coordination » du majeur de la main droite ne l'empêche toutefois pas de manier avec virtuosité le bâton du chef d'orchestre.

L'assurance rassure
Une stratégie pragmatique pour un musicien est de se couvrir avec des assurances, comme Mme Grossmann le fait aujourd'hui. « L'assurance est la première chose à laquelle on pense si on veut que la vie continue après une blessure, mais ce n'était pas une éventualité qu'on envisageait dans les années 60 et 70. Je n'avais jamais eu de problème auparavant », dit-elle.

Bernard Labadie encourage les musiciens dans cette direction. « C'est clair... quand c'est possible. Le problème reste que 95 % des musiciens gagnent 20 000 $ et moins par année. Il faut en avoir les moyens. »

Même si les primes peuvent être onéreuses, Darren Lowe, violon solo à l'Orchestre symphonique de Québec, a rapidement récupéré l'argent qu'il y avait investi. Les 10 000 $ payés en primes durant des années lui ont été rendus en quelques mois seulement. Il explique qu'à l'automne 1997, des concerts, des pratiques, de la musique de chambre ou des récitals étaient à son horaire pratiquement tous les jours. Cet horaire surchargé a certainement été un facteur dans la diminution de la circulation sanguine dans son bras droit. « J'ai une bonne posture, mais garder mon bras droit et mon coude dans des positions aussi peu naturelles pendant si longtemps a fait que la pression sanguine de mon bras a diminué. » Cela lui a créé, entre autres, des maux de dos et il a dû prendre un repos forcé de presque deux ans.

Grâce à plusieurs traitements conjoints, dont la physiothérapie et l'eutonie (une méthode holistique qui cherche à énergiser certaines parties du corps ainsi qu'à trouver un équilibre corporel), il a été capable de recommencer à jouer progressivement après six mois de repos complet. Il a ainsi pu réintégrer sa position l'automne dernier.

La peur des occasions manquées
La meilleure solution demeure la prévention : les musiciens devraient arrêter de jouer au premier signe de blessure et consulter un spécialiste. « J'aurais dû arrêter de jouer [aussitôt avoir ressenti les premiers signes], ce que je n'ai pas fait », dit Mme Grossmann. De son côté, Bernard Labadie concède que chacun des 16 musiciens de son ensemble à cordes a déjà joué blessé, malade ou avec de la fièvre. « Tous les musiciens du monde le font. C'est un fait malheureux. » Souvent, les musiciens craignent aussi de perdre l'occasion de se produire s'il admettent leur douleur.

Acceptant cela, le directeur musical des Violons du Roy croit beaucoup en l'importance de la préparation physique pour éviter les blessures. Il trouve que chacun doit respecter ses propres limites. Dans son cas, s'il prend du poids, une pression supplémentaire s'exercera sur son dos et, en quelques semaines, la douleur atteindra l'avant-bras. « J'ai appris à me connaître, » raconte Labadie, qui a souffert d'une lésion musculaire dans son avant-bras droit. « Si je travaille beaucoup, je vois les signes précurseurs et peux réagir en conséquence. Mais c'est évident qu'il va falloir que je me réchauffe ou que je commence les répétitions un peu plus mollo. C'est devenu quelque chose de tout à fait contrôlé. »

Gilles Courchesne, le physiothérapeute de Bernard Labadie, soutient qu'il est difficile de vendre la prévention comme méthode, mais que des exercices de renforcement prépareraient mieux les musiciens aux difficultés physiques qui les attendent. « Les musiciens ne préparent pas leurs corps, il pratiquent seulement la technique », dit-il. « C'est comme si un gymnaste pratiquait seulement des vrilles mais ne faisait jamais de musculation. » Il note également que les musiciens cessent souvent de jouer durant les périodes où il n'ont pas de concerts. Il leur suggère de se maintenir en forme pour être fin prêts pour le début de la prochaine saison - comme les sportifs professionnels qui doivent être en forme dès le début du camp d'entraînement.

Agnes Grossmann espère toujours comprendre ce qui est arrivé à son doigt et rêve de s'asseoir au piano avec 10 doigts en pleine forme. Darren Lowe, lui, continue ses exercices quotidiens de renforcement dans son salon. Pour prévenir la répétition de tels cas, Bernard Labadie offre une petite leçon : « La chose importante à retenir, c'est que le travail de musicien est à peu près aussi exigeant pour le corps que certaines activités sportives. Alors que les sportifs apprennent très tôt à faire des exercices d'échauffement et à s'assouplir, les musiciens n'en entendent jamais parler. »


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