Georg Tintner : dans l'ombre de la musique Par Patrick Parent
/ 1 avril 2000
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Georg Bernhard Tintner avait assez souffert. Après avoir lutté pendant six ans contre le cancer et ne souhaitant pas dépendre de la morphine jusqu'à la fin de ses jours, le chef d'orchestre autrichien de 82 ans s'enleva la vie l'an dernier à Halifax. Quand on sait que cet homme a œuvré dans l'ombre durant près d'un siècle, l'attention accordée à sa mort dramatique semble cruellement ironique. Pour lui, le chef d'orchestre était un serviteur, les compositeurs, les autorités, et la musique, sa seule déesse.
Tintner naît à Vienne en 1917, commence ses cours de piano dès l'âge de six ans et se met à composer peu après. Il se joint aux Petits Chanteurs de Vienne, qui chantent à plusieurs reprises ses compositions de jeunesse sous sa direction. Adolescent, il apprend les rudiments de la direction d'orchestre avec Felix Weingartner, alors chef de l'Orchestre Philharmonique de Vienne. À l'âge de16 ans, il travaille étroitement avec Bruno Walter, préparant un chœur d'enfants pour une exécution de la Huitième Symphonie de Mahler. Peu après, il devient chef adjoint au Volksoper de Vienne. Les nazis venant d'annexer l'Autriche, ses origines juives l'obligent à démissionner. Il repousse avec mépris une ridicule prime de départ de 100 Schillings et menace de poursuivre les nazis devant les tribunaux pour bris de contrat. Il confia en entrevue au critique musical du Montreal Gazette, Arthur Kaptainis : « N'allez pas considérer cela comme un acte de courage. C'était un acte de pure folie de ma part. Quand j'y pense aujourd'hui, j'en tremble. »
Contraint à l'exil, après quelques mois passés en Yougoslavie et en Angleterre, il déménage en Nouvelle-Zélande en 1940. Suivent quelques années difficiles, après quoi il fonde un ensemble à cordes et prend la direction du Auckland Choral Symphony. En 1954, il se rend en Australie et s'impose rapidement comme le plus important chef d'orchestre et metteur en scène d'opéra de ce pays. On lui offre un poste en Afrique du Sud, qu'il décline en raison de l'apartheid. Exceptionnellement, Tintner fera passer la politique avant la musique. Après trois années frustrantes sur le plan professionnel à Londres à la fin des années soixante, il retourne s'établir en Australie jusqu'en 1987.
Il vient au Canada pour la première fois en 1971 pour diriger le National Youth Orchestra. Ses conférences et ses interprétations sont si appréciées qu'on le réinvite ensuite régulièrement. En 1987, la direction du Symphony Nova Scotia lui propose de diriger la Deuxième Symphonie de Beethoven. Selon Stephen Pedersen, critique du Halifax Chronicle-Herald,
« Tintner a réussi à obtenir les plus belles sonorités jamais offertes par un orchestre établi dans cette région du pays. C'était doux, vivant, plein de chaleur et de clarté ». Il devient alors directeur musical de l'ensemble, sera invité à diriger tous les grands orchestres du pays et partira en tournée avec ses musiciens.
Les jeunes musiciens adoraient « M. Tintner ». Ses généreux conseils et son style de direction particulier (Il préférait utiliser ses bras, ses mains et surtout ses regards plutôt que le traditionnel bâton.) captivaient ses étudiants. Kaptainis explique : « Tintner était évidemment associé à une tradition glorieuse. Mais il était surtout capable de transmettre son karma à ses musiciens, qui croyaient en lui et ainsi à la musique. » Cette influence se fait encore sentir sur de nombreux musiciens qui ont terminé depuis longtemps leur formation. Pour plusieurs d'entre eux, Tintner est devenu le modèle du chef d'orchestre, la référence à laquelle tous les autres seront comparés.
Tintner consacre ses dernières années à l'enregistrement de l'intégrale des symphonies de Bruckner pour l'étiquette Naxos. Dès la parution des premiers enregistrements, la critique internationale s'émerveille et les ventes augmentent. Ses interprétations sont comparées aux meilleures de l'histoire du disque et son approche audacieuse et érudite des différentes éditions de l'œuvre de Bruckner définit le regard qu'on portera dorénavant sur lui. Mais, comme le déplore Norman Lebrecht, auteur du livre The Maestro Myth et critique musical au London Daily Telegraph, « Tintner était une de ces trop communes victimes d'un préjudice du 20eýsiècle, un artiste qui dut attendre un âge vénérable avant qu'on soit prêt à reconnaître ses indéniables talents. La reconnaissance arriva trop tard pour réparer les dommages ». Malgré tout, grâce à ses étudiants, Tintner continuera à vivre encore longtemps.
Tintner, une courte discographie
La discographie de Georg Tintner n'est pas très imposante. Il fut presque totalement ignoré par les grandes multinationales du disque. Une interprétation prenante de la Cinquième Symphonie de Beethoven fut produite chez Phillips (Phillips 426 487-2) au début des années 90, mais la possibilité de futurs enregistrements ne se matérialisa jamais. Son intégrale Bruckner est toujours incomplète mais il enregistra une version de chaque symphonie avant sa mort. Ces enregistrements sont presque tous déjà disponibles pour moins de dix dollars l'unité. Les titres manquants seront mis sur le marché dans les prochains mois. Tintner enregistra des disques intitulés Les Petits Riens and Other Dances, Down Under, Late Romantics ainsi que les œuvres orchestrales de Delius avec les musiciens de la Symphony Nova Scotia pour l'étiquette CBC Records.
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