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La Scena Musicale - Vol. 5, No. 7

Andreas Staier: un amoureux des claviers

Par Justin Mariner / 1 avril 2000

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Andreas Staier reste un être d'exception dans le monde de la musique classique. En effet, sa virtuosité et sa sensibilité exceptionnelles lui permettent de mener de front une carrière internationale de claveciniste et de fortepianiste. Il passe sans difficulté apparente de Bach à Mendelssohn, du rôle de soliste à celui de chambriste. La Scena l'a rejoint chez lui, à Cologne, la journée de l'anniversaire de Bach.

Coup de foudre

Né en 1955 à Göttingen en Allemagne, pianiste de formation, Andreas Staier découvre le clavecin un peu par accident au début de la vingtaine. Ayant touché à la basse continue avec l'orchestre baroque du conservatoire de Hanovre, il décide de suivre des leçons de clavecin pendant une session, histoire de se familiariser avec la technique particulière de l'instrument. Le choc sera instantané : « Je suis tombé amoureux de la sonorité du clavecin et me suis tout de suite passionné pour le répertoire. Bien sûr, en tant que pianiste, je connaissais les œuvres de Bach, mais la découverte des compositeurs anglais virginalistes m'enthousiasma », confiera-t-il.

Il découvre le pianoforte au fil des ans et demeure séduit par la palette sonore de l'instrument. Il considère d'ailleurs les deux instruments complémentaires : « La perception que l'on a de Mozart ou de Beethoven se trouve transformée quand on connaît intimement le répertoire qui les précède. Les Variations Diabelli de Beethoven se présentent sous un nouvel éclairage si on connaît les cycles de variations de William Byrd et les Variations Goldberg de Bach. »

Passion

Il interprétera d'ailleurs ces célèbres variations lors de son passage à Montréal à la fin d'avril. Rêve longtemps caressé, mais jamais réalisé jusqu'à maintenant, il se réjouit d'interpréter cette œuvre fascinante.

Le choix de l'instrument s'est imposé de lui-même : « Dans les Variations Goldberg, Bach utilise les possibilités sonores de deux claviers. Cela est totalement idiomatique au clavecin, mais tenter de les interpréter au piano relève de la quadrature du cercle. » Pour extraire toute la richesse de l'instrument, les articulations et la rythmique doivent être totalement maîtrisées.

Cette œuvre cyclique reste pour Staier difficile à imaginer en concert : « Au XVIIIe siècle, il aurait été impensable d'inclure dans un programme de récital 30 variations toutes en ré mineur! Il faut utiliser des teintes différentes pour empêcher la pièce de devenir monochrome. » Il importe également pour l'interprète et pour l'auditeur de saisir les liens entre les variations. La stabilité de la structure de l'œuvre reste essentielle : « Il faut établir des connexions, des proportions de relations entre les variations. Une ligne générale se dégagera, qui permettra de maintenir l'intérêt, la tension... et l'attention, les variations poussant à la limite la patience de l'auditeur. »

Les Goldberg se sont laissées apprivoiser doucement. Staier voulait d'abord les maîtriser avant de les jouer en public. (Les Montréalais seront parmi les premiers à les entendre.) Il les laissera mûrir quelques années avant de songer à l'enregistrement.

Il avoue n'avoir pas écouté récemment de version sur disque de l'œuvre, car il désirait l'approcher de façon indépendante. Quand la controversée version de Glenn Gould est abordée, Staier commente : « Glenn Gould était l'un des plus grands talents du siècle, aux possibilités inouïes, mais qui s'est développé de façon malheureuse. J'aime beaucoup certains enregistrements de jeunesse, par exemple les Variations Eroica de Beethoven, tellement spontanées, jouées avec un tel raffinement de sonorité. Je crois, malheureusement, qu'il a tué les Variations Goldberg en voulant trop réfléchir. En cherchant à atteindre la perfection, il a plutôt trouvé une stérilité cristalline qui ne me dit rien. »

L'amour, toujours

Andreas Staier enseigna également le clavecin pendant huit ans à la Schola Cantorum de Bâle. Selon lui, « l'enseignement n'est réussi que s'il rend l'élève indépendant ». La philosophie de Staier est particulièrement originale sur un point : « Il est très important de réfléchir et de réaliser des expériences de composition. L'approche du compositeur face à l'œuvre doit être cernée : que signifient la préparation des voix, les dissonances? La musique baroque n'est pas une musique d'inspiration divine, elle reste ancrée dans le quotidien, c'est presque du bricolage. Les toccatas de Bach, par exemple, demeurent des improvisations écrites sur des harmonies simples. Il faut connaître la musique de l'intérieur, en démonter le mécanisme pour saisir le procédé. »

Il se consacre maintenant exclusivement à la carrière d'interprète. Un répertoire varié nourrit son esprit. Il a amorcé les Variations Diabelli de Beethoven en même temps que les Goldberg, renouant ainsi avec un amour d'enfance. Fasciné à l'époque par le répertoire de Beethoven, cette flamme, qui semblait éteinte, le consume à nouveau. Il venait également de recevoir une œuvre pour pianoforte d'un jeune compositeur français montant, Bryce Pauzé, qui mariera une rythmique complexe du XXIe siècle aux couleurs de l'instrument du XIXe.

« Je ne peux pas tout faire, mais je peux réaliser plusieurs choses, chacune représentant une facette de ma personnalité. » Un homme, des claviers, une passion inassouvie pour le répertoire, un grand interprète à cheval sur les siècles, un phare pour la prochaine génération... Andreas Staier saura peut-être accomplir cet exploit.

Le public montréalais pourra entendre Andreas Staier les 25 et 26 avril à 20h, à la salle Pierre-Mercure.


Les variations Goldberg

Ce chef-d'œuvre du répertoire est le fruit de la maturité de Bach, tout comme ses Passions et la Messe en si. La légende entourant la composition de cette œuvre vaut la peine d'être racontée. Le claveciniste Goldberg, un élève exceptionnel de Bach, se trouvait au service du comte Kaiserling. Ce dernier souffrant d'insomnie, le musicien le berçait parfois au son du clavecin des nuits entières. Un jour, peut-être à court d'inspiration, Goldberg demanda à Bach d'écrire un peu de musique qui adoucirait les nuits de son patron.

Défi brillamment relevé, les trente variations semblent par moments symphoniques mais, à d'autres, la virtuosité du clavecin atteint son apothéose. Bach a cherché à transformer la variation de la même façon qu'il avait mené la fugue vers de nouveaux sommets dans Le clavier bien tempéré.

Le thème, une sarabande qui apparaît déjà dans le 2e livre d'Anna Magdalena, 12 ans auparavant, est traité de façon inhabituelle : plutôt que de se concentrer sur la ligne mélodique de celui-ci, Bach renforce sa basse et sa structure harmonique. Les variations sont groupées par trois, la troisième de chaque groupe restant toujours un canon, d'abord à l'unisson, puis à la seconde, à la tierce, etc. La 30e variation, intitulée « quodlibet », plaisanterie musicale, juxtapose avec brio deux mélodies populaires de l'époque.

Un compositeur de moindre génie serait rapidement tombé dans la monotonie avec ces 30 variations en ré mineur. Bach, au contraire, nous fait découvrir une variété extraordinaire d'expressions, grâce à différents procédés : transformation des rythmes, variété des types formels, utilisation de toutes sortes de formules techniques, sans oublier le groupement par trois des variations qui s'embellissent ainsi l'une l'autre.

Ces variations jetteront les fondements de la forme pour les futures générations de compositeurs. - Lucie Renaud


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