Historique du piano Par Stéphane Villemin
/ 1 mars 2000
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En 1709, un claveciniste italien nommé Bartolomeo Cristofori, conservateur des
clavecins et épinettes du prince florentin Ferdinand de Médicis, met au point
un cembalo con piano e forte, ou « clavecin » capable de reproduire les
nuances piano et forte.
En fait, la dénomination « clavecin » n'est qu'une référence à
l'instrument le plus à la mode en ce début du XVIIIe siècle, car l'invention
de Cristofori est à cordes frappées alors que le clavecin est à cordes pincées.
Pourtant, cette géniale trouvaille continue pendant vingt ans à se faire
appeler cembalo, si bien qu'il est difficile de savoir si les grands
musiciens de l'époque, comme Domenico Scarlatti ou Antonio Vivaldi, en ont eu
connaissance. Le mot « pianoforte » n'apparaît qu'en 1732.
Johann Sebastian Bach, en visite à Dresde pendant l'année 1736, essaie les
pianofortes du grand organier Gottfried Silbermann, fabriqués d'après les
plans de Cristofori. La légende raconte que le Kantor de Leipzig n'apprécia
point la sonorité ni la mécanique de ces nouveaux instruments. Silbermann les
aurait dé-truits à coups de hache!
Il faut attendre le 7 mai 1747, à la cour de Potsdam, pour que le pianoforte,
jusque là connu des seuls facteurs, pénètre chez les compositeurs. À
l'occasion de sa visite chez le roi Frédéric II le Grand, Bach rend
publiquement hommage au nouvel instrument à clavier. Sur un thème fourni par
le roi en personne, Bach improvise avec succès une fugue à trois voix, devant
toute la cour. Ce baptême est important car Frédéric II, le despote, n'en est
pas moins éclairé. Ami des lettres, grand collectionneur d'art, il attire à
sa cour de Sans Souci les plus grands penseurs et artistes de l'époque. À
partir de cette date-clef, l'intérêt des compositeurs pour le pianoforte se répandra
dans toute l'Europe.
Après ce lancement réussi, les choses s'accélèrent pendant la deuxième
moitié du XVIIIe siècle. Plusieurs facteurs s'investissent dans la fabrication
de pianofortes et améliorent la mécanique de manière à donner au son plus de
présence. En Angleterre, l'instrument est doté d'une mécanique lourde qui lui
confère un son puissant; en Autriche, issu d'une mécanique légère, le timbre
est plus feutré. C'est sur ces pianos Zumpe, Tschudi, Broadwood, Stein ou
Streicher que les premiers pianistes se produisent en public.
Engouement pour le nouvel instrument
À la mort de Bach, le 28 juillet 1750, aucun musicien ne peut encore
s'honorer du titre de pianiste. Deux de ses fils, Carl Philipp Emanuel et Johann
Christian prendront le relais en faveur du pianoforte. Le premier fréquente les
milieux intellectuels allemands et s'intéresse à l'expression musicale visant
à « toucher le cœur et à affecter les sentiments ». En 1762, il reconnaît
en termes clairs que le pianoforte vaut bien le clavicorde. C'est le premier
musicien à écrire pour le pianoforte des pièces dignes de ce nom. Johann
Christian, de tempérament plus extraverti, trouve dans le nouvel instrument un
moyen de briller en public. Sa personnalité charismatique contribue à
promouvoir le pianoforte parmi la haute société de son époque. Son
contemporain, le musicologue Charles Burney, le considère comme le premier
fortepianiste, devenu célèbre grâce aux concerts qu'il dirige à Londres en
compagnie de Carl Friedrich Abel.
C'est donc en Angleterre que naît le concert public sur pianoforte. Les guerres
du milieu du XVIIIe siècle ont favorisé l'installation, autour de Londres, des
forces vives de la facture allemande. Dans ce creuset, la profession de pianiste
émerge progressivement.
En juin 1768, Johann Christian Bach donne le premier grand concert public à
Londres sur un pianoforte carré (sans doute celui qu'il a acquis un mois plus tôt
du facteur Zumpe). Puis la mode s'étend rapidement aux autres capitales européennes.
Les premiers pianistes jouent rarement sur des scènes importantes. Le récital
sur piano à queue de concert n'existe pas encore! De fait, la faible sonorité
des pianofortes de l'époque, notamment des instruments viennois, ne permet pas
aux interprètes de se faire entendre dans de grandes salles. Qui plus est,
celles-ci sont réservées à l'opéra ou aux concerts symphoniques. Il arrive
qu'un pianiste présente ses compositions entre les mouvements d'une symphonie,
pour ajouter à la variété à la programmation. Seul le concerto permet au
compositeur-interprète de faire valoir sa virtuosité tout en assurant la présence
d'un pianoforte sur une scène. D'ailleurs, Johann Christian Bach initie ce
mouvement en dirigeant depuis son pianoforte les derniers de ses trente-cinq
concertos pour clavier. Mozart fera de même.
En réalité, c'est dans les salons que s'est développée l'interprétation
pianistique. Le compositeur pianiste s'en accommode en travaillant sur une forme
qui vise en priorité l'instrument solo: la sonate, avec sa succession de
mouvements vif, lent, vif. Comparé au claveci-niste, il apporte à la sonate
plus de contrastes, grâce aux nuances forte et piano, et plus
d'ampleur en exploitant plus souvent les aigus et les graves. Enfin, il lui est
possible grâce à une pédale ou à une genouillère d'accroître la résonance
des cordes et, dès 1784, de renforcer la nuance piano grâce à la pédale
una corda.
Haydn et Mozart adoptent très rapidement le pianoforte. Muzio Clementi, déjà
compositeur et interprète, se lance dans la facture instrumentale en
Angleterre; il rédige l'une des premières méthodes sérieuses d'apprentissage
du pianoforte.
Avec l'arrivée des premiers pianofortes de la génération de Zumpe et de
Stein, le mot legato prend pour les compositeurs-interprètes du
pianoforte une signification propre, tout autre que pour les clavecinistes. Ce
jeu lié permet précision, naturel et élégance, qualités associées à l'époque
au « bon goût ».
Inventions et améliorations
Les progrès de la facture permettent d'explorer une technique jusqu'alors
inconnue. D'une part, ils procurent au pianiste une puissance sonore où les
nuances vont de ppp à fff (Schubert les utilise par exemple dès
1826 dans le premier mouvement de sa Sonate D 894 ). Elles sont rendues
possibles par l'utilisation de cordes tendues obliquement, donc plus longues
(Loud, 1802), d'un cadre métallique (Broadwood, 1815), de cordes à fort diamètre
(Erard, 1822), de feutres sur les marteaux à la place du cuir (Pape, 1826) et
d'une barre métallique sur les cordes pour augmenter leur résistance au choc
des marteaux (Bord, 1843).
D'autre part, les facteurs de piano augmentent le nombre des octaves: huit pour
le piano Pape de 1842, contre seulement six et demie sur le clavier du piano
Streicher de 1812 ayant appartenu à Beethoven.
Ces inventions facilitent aussi le toucher grâce à une mécanique à la fois
plus nerveuse, plus égale et plus perfectionnée. Le double échappement, mis
en place par Erard en 1822, en est la meilleure illustration. Il permet les répétitions
rapides des notes ainsi qu'un contrôle de l'intensité sonore par le toucher.
Sans cela, Moritz Moszkowski n'aurait jamais écrit La Jongleuse, cheval
de bataille des virtuoses qui pouvaient «jongler» avec les chromatismes et les
notes répétées comme autant d'assiettes au bout d'une baguette.
Avec l'apparition du premier grand piano Steinway de concert en 1859, toutes les
bases du piano moderne sont jetées. English Version... |
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