La Technique Pianistique : Évolution ou Révolution ? Par Lucie Renaud
/ 1 février 2000
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De multiples approches techniques semblent se disputer
les faveurs des pianistes à laube de ce nouveau millénaire. Mais comment songer
à sy retrouver quand même les experts, pédagogues ou concertistes, ne
sentendent pas sur la voie à suivre?Un survol historique mènera peut-être à une
meilleure compréhension des enjeux.
XVIIIe siècle : Clementi et Czerny
Avant le XIXe siècle, la pédagogie du piano pouvait se
résumer en trois points :
1. Les doigts doivent échapper à linfluence « négative »
de la main et du bras;
2. Lentraînement technique est un processus mécanique
que renforcent des heures quotidiennes de pratique intensive;
3. Le professeur est lautorité suprême.
Muzio Clementi, auteur de la première méthode pianistique
Introduction à lart de jouer du piano, parue en
1801 avait établi que les cinq doigts devaient posséder la même force. Il
exigeait que la main reste immobile, le poignet horizontal, les doigts courbés
et levés très haut et que les notes soient frappées avec vigueur.
Cette technique connut son apogée avec les exercices de
Carl Czerny, qui continuent, encore aujourdhui, de faire partie du régime de
plusieurs jeunes pianistes. Cette approche dissocie la maîtrise technique de
linterprétation musicale, Czerny étant convaincu que la première facilite
éventuellement laccomplissement de buts artistiques.
XIXe siècle : Chopin et Liszt
Avec lévolution de linstrument et lapparition des
compositeurs-pianistes virtuoses, de nouvelles approches émergent au XIXe
siècle. Le premier, Liszt suggère que chaque mouvement de doigt soit relié au
bras et affirme que les changements de rythme ou de nuance sont indissociables
dune pulsation intérieure. Chopin, de son côté, insistait sur limportance
dintégrer les mouvements de la main, du poignet, de lavant-bras et du bras,
afin dobtenir une sonorité plus riche. Les bras devaient conserver une certaine
liberté, les articulations et les muscles évitant toute raideur. Pour Chopin, la
technique faisait partie intégrante de la musique.
Les méthodes pédagogiques de Chopin et Liszt nen étaient
pas moins diamétralement opposées. Chopin privilégiait les leçons individuelles,
tandis que Liszt préférait les cours de maître en public. Chopin se montrait
gentil et patient avec ses élèves, tandis que Liszt maniait le sarcasme avec
hauteur. Chopin, très méticuleux, faisait travailler les mêmes pièces jusquà
leur maîtrise complète; Liszt ne dispensait jamais ses lumières deux fois sur la
même oeuvre. Le répertoire de prédilection de Chopin incluait Bach, Mozart,
Hummel, Clementi et Weber, tandis que Liszt était prêt à tout écouter, même les
nouveaux manuscrits.
Le XXe siècle
Tobias Matthay, professeur à la Royal Academy of Music de
Londres, mentionna le premier, en 1880, les bienfaits dune technique
pianistique basée sur le transfert de poids. Pour lui, afin dobtenir une
palette variée de couleurs sonores, il faut toujours soutenir les doigts
(extension du bras) par le poids du corps.
De nombreuses variations de cette approche sont apparues
dans les 50 dernières années. On parle couramment, dans les cercles
pianistiques, de rotation, de direction, de poids du bras et de lépaule, de
préhension du bout de doigt.
De nos jours, beaucoup de conférences et de publications
traitent des divers maux qui affligent les musiciens. Les médecins sont nombreux
à se spécialiser dans le traitement des tendinites et autres « bibittes »
connexes. LAméricaine Dorothy Taubman a consacré plus de 50 années de sa vie à
létude et à la recherche en cette matière. La technique pianistique quelle a
mise au point peut sembler révolutionnaire mais elle découle dune grande
logique. Mme Taubman est persuadée que les tendinites et le syndrome du tunnel
carpien pourraient être évités si les musiciens apprenaient à exécuter
correctement leurs mouvements. Elle prône lélimination des mouvements de bras
et de mains qui font travailler les muscles dans le sens contraire de leur
spécificité anatomique. À son avis, la technique et la musique sont
indissociables : notre corps génère la pulsation, la sonorité, le phrasé,
lintonation, les couleurs. Malgré toute la réflexion et tous les sentiments
dont le pianiste est capable, ses efforts savéreront inutiles si son corps ne
travaille pas comme il se doit.
La majorité des pianistes admettent aujourdhui que
lintégration des mouvements des doigts, de lavant-bras et du bras est
essentielle à lobtention dun son riche et détendu. Ils doivent toutefois
réinventer leur façon dapprocher linstrument. Le réputé professeur russe Egon
Petri résumait bien cette idée : « Ne croyez pas tout ce que je vous dis, mais
essayez mes méthodes. Si elles vous aident, adoptez-les; sinon, oubliez-les et
trouvez-en dautres. » Pourquoi sacharner à redéfinir la quadrature du
cercle?
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