Yannick Nézet-Séguin — un talent sans mesure Par Wah Keung Chan
/ 1 février 2000
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« À l’âge de dix ans, déjà, je voulais devenir un chef d’orchestre »,
nous dit Yannick Nézet-Séguin, un jeune maestro de 24 ans, « la découverte
de l’année et le récipiendaire du « prix public » des Prix Opus décernés
en décembre dernier par le Conseil québécois de la musique. Yannick attribue
sa carrière fulgurante à sa persévérance, ainsi qu’à un destin favorable,
comme il nous l’expliquait récemment, dans une entrevue accordée à La
Scena Musicale.
En juin 1998, la carrière de Nézet-Séguin a pris un essor rapide
lorsqu’il a reçu un téléphone de Bernard Uzan, directeur général et
artistique de l’Opéra de Montréal. Un an après que Jacques Lacombe (voir l’entrevue
à notre site Web : www.scena.org)
eût quitté son poste de chef des
choeurs et de directeur musical adjoint, l’Opéra de Montréal était toujours
en quête d’un remplaçant permanent. « J’ai été vraiment surpris lorsqu’il
m’a offert le poste, dit Nézet-Séguin. Il n’y avait guère qu’un an que
je commençais à m’intéresser à l’opéra. J’ai donc passé deux mois à
lire, à étudier, à écouter les enregistrements des grands chanteurs et des
grands chefs d’orchestre. » Cette année-là, où l’on entendait surtout
des fausses notes à l’Opéra de Montréal, la nomination de Nézet-Séguin a
été saluée comme un événement des plus positifs. L’an dernier, en plus de
faire ses débuts à l’Orchestre Métropolitain, à la demande de Joseph
Rescigno, il a dirigé le Gala de l’Opéra, remplaçant un des chefs
annoncés. Cette année, on a pu l’entendre à deux reprises à titre de chef
invité à l’OSM, et c’est lui qui s’est chargé de la plupart des
représentations du Casse-Noisette des Grands Ballets. À l’Opéra de
Montréal, il a déjà dirigé une production de Lakmé (en janvier 2000) et
assumera la direction d’orchestre du Couronnement de Poppée au
printemps prochain. Chaque fois, ses prestations ont été reçues avec
enthousiasme, tant par les musiciens que par le grand public et les critiques.
Nézet-Séguin s’est depuis longtemps méthodiquement préparé à cette
carrière. « Lorsque je me suis joint aux Petits chanteurs de la cathédrale du
Choeur Polyphonique, le rôle joué par le directeur musical, et surtout la
façon dont il définit l’interprétation de l’oeuvre, m’a tout de suite
fasciné. » Charles Dutoit a été son premier modèle.
« J’ai téléphoné au Conservatoire de Montréal et je leur ai dit que je
voulais devenir un chef d’orchestre. C’était plutôt amusant, car je n’avais
aucune idée des préalables », comme il l’avoue aujourd’hui. Mais il a
très vite appris. « Je me suis inscrit aux cours exigés, je me suis
spécialisé dans l’étude du piano et j’ai fait de la musique de chambre.
Un chef d’orchestre doit comprendre le fonctionnement de chaque instrument. J’ai
beaucoup aimé l’approche du Conservatoire, parce qu’elle m’a permis de
progresser à mon propre rythme. » Des occasions de faire ses premières armes
se sont rapidement offertes. C’est ainsi que, à l’âge de 14 ans, il
commençait à diriger des répétitions du Choeur polyphonique, avant d’en
devenir le directeur musical, en 1995, âgé de 19 ans.
Cette période a joué un rôle très important dans son cheminement. « Je
me posais des questions au sujet de la direction d’orchestre auxquelles je ne
pouvais trouver les réponses dans des livres : Comment diriger une
répétition? Doit-on commencer en s’adressant aux musiciens ou en les faisant
jouer? Et comment tirer le meilleur parti du temps qui nous est imparti? Comment
s’adapter à un orchestre de calibre international? À un orchestre de jeunes?
» Nézet-Séguin a communiqué avec les Jeunesses Musicales du Canada et, à
force de persistance, au printemps de 1996, il s’envolait pour la Suisse, où
il assistait aux répétitions de l’Orchestre mondial des jeunes, sous la
direction de Temirkanov, Pappano et Nagano. « Cela m’a donné l’occasion de
rencontrer des musiciens et des chefs d’orchestre. J’ai été absolument
étonné de voir que leurs opinions au sujet des répétitions étaient presque
toujours différentes des miennes. »
Depuis qu’il a commencé à acheter des enregistrements, en 1988,
Nézet-Séguin a toujours été un grand admirateur du maestro italien Carlo
Maria Giulini. « Tout ce qu’il a fait m’émeut. Alors que je me trouvais en
Europe, j’ai communiqué avec lui par l’entremise de l’ambassade d’Italie.
Par la suite, je lui ai écrit pour lui expliquer ma situation et lui dire ce qu’il
représentait pour moi. » D’octobre 1997 à juillet 1998, alors que le
maître s’apprêtait à prendre sa retraite, il a pu le rencontrer à cinq
reprises, en privé et lors de répétitions et de concerts. « Il m’a
enseigné à respecter mon travail, l’orchestre, la partition et le
compositeur. C’était un spectacle extraordinaire que celui de l’intensité
des mouvements de son corps, de ses yeux et ses mains. Il m’a appris qu’avant
tout, il faut savoir être naturel et que c’est la meilleure façon de rester
fidèle aux intentions du compositeur. Il m’a également donné des conseils
sur la façon de créer mes propres mouvements de baguette. »
Lorsque l’on écoute Nézet-Séguin parler de l’art de la Callas, de son
admiration pour Tebaldi, de l’intelligence des interprétations de
Fischer-Dieskau, de sa vénération quasi religieuse pour Furtwängler, des
sentiments contradictoires que lui inspire Toscanini, de l’humanité et de la
vulnérabilité dans l’oeuvre de Brahms, du sentiment cosmique qui émane de
la musique de Bruckner et de la fusion absolue des moyens et du contenu de l’expression
musicale chez Bach, on n’a pas de peine à comprendre comment il arrive à s’imposer
avec tant d’autorité. « Lorsque je me présente devant eux, les musiciens de
l’orchestre sentent que j’éprouve beaucoup de respect pour leur talent et
leurs connaissances. »
Le Québec a produit plusieurs excellents chefs d’orchestre, dont Jacques
Lacombe, Stéphane Laforest et Marco Parisotto. « Je m’estime heureux de
pouvoir apprendre mon métier au pays », nous dit-il. Une comparaison entre
Nézet-Séguin et Jacques Lacombe s’impose presque – car les deux sont de
petite taille et débordent d’énergie. On peut également faire un parallèle
avec Bernard Labadie. À l’instar de ce dernier, Yannick, il y a cinq ans,
co-fondait son propre ensemble, La Chapelle de Montréal, un ensemble de musique
chorale et de musique de chambre qui se spécialise dans le répertoire baroque.
« La Chapelle est en train de se définir une personnalité. Je pense que, dans
deux ans, nous serons prêts à produire un premier enregistrement, qui sera
peut-être consacré à la musique de Zelenka. Je souhaiterais aussi que nous
explorions d’autres répertoires que celui du baroque. »
Fils de deux universitaires spécialisés dans le domaine de l’éducation,
Yannick s’est mis à l’étude du piano dès l’âge de 4 ans. « À l’époque,
mes parents prenaient eux aussi des leçons de piano. Ils m’ont toujours
beaucoup appuyé, sans jamais tenter de me décourager ou de me faire subir la
moindre pression. » Fait paradoxal, dans cette famille, ce sont les parents qui
ont suivi leur enfant, lorsqu’il se sont joints au Choeur polyphonique un an
après lui. Avant longtemps, il les dirigeait en concert! Et maintenant, à l’âge
de 24 ans, le petit Yannick dirige des musiciens de calibre international.
Yannick Nézet-Séguin dirigera La Chapelle de Montréal dans un programme
instrumental consacré à Bach, le 11 février prochain, avant d’aborder la Passion
selon saint Jean, le 21 avril, et la Messe en si mineur, le 2 juin.
Renseignements : (514) 527-5019. Il dirigera également L’incoronazione di
Poppea de Monteverdi à l’Opéra de Montréal, les 1er, 4, 6 et 8 avril.
Renseignements : ( 514 ) 985-2258; ainsi que l’Orchestre Métropolitain dans
un concert présenté le 8 mai au Théâtre Maisonneuve. Renseignements : (514)
598-0870.
[Traduction : Pierre Bellemare] English Version... |
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