Les grandes figures musicales du début du siècle Par John Winiarz
/ 1 février 2000
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La fin du XXe siècle semble être le moment idéal pour retracer l’évolution de la
musique classique occidentale à partir du début du siècle, alors que sont
ensemensées les graines d’un renouveau proche. Autour des années 1900, la
musique a été établie par des compositeurs nés pour la plupart vers 1860. Dans
ce premier article sur la musique du XXe siècle, nous identifierons quelques
grandes figures musicales qui ont créé un pont entre le XIXe siècle romantique
et le XXe siècle moderne.
À la fin du XIXe siècle, Paris était incontestablement la
capitale culturelle de l’Europe. Effectivement, depuis le milieu du siècle, une
tradition avant-gardiste y était bien implantée; c’est alors que les poètes
symbolistes Mallarmé, Verlaine, Rimbaud, Maeterlink et les peintres
post-impressionnistes Gauguin, Seurat et Cézanne assaillirent les règles
fondamentales du réalisme au XIXe et, fait sans précédents dans l’art, placèrent
l’accent sur des éléments purement formels. Cependant, en dépit des progrès
enregistrés tant en littérature qu’en arts visuels, il n’en demeure pas moins
que la musique française subit toujours l’influence de l’esthétique
germanique.
Claude Debussy
(1862-1918) fut l’un des grands
responsables de la nouvelle orientation de la musique française. Il fut le plus
grand représentant de la musique impressionniste bien qu’il détestât cet
épithète. Le terme impressionnisme vient d’une
peinture de Monet intitulée Impression, soleil
levant. Soulignons qu’aux yeux de Debussy, les poètes symbolistes revêtaient
plus d’importance que les peintres impressionnistes. Cependant,
l’impressionnisme et Debussy sont à jamais liés car, tout comme les peintres
impressionnistes développèrent de nouvelles théories de lumière et de couleur,
Debussy créa en musique de nouvelles théories de lumière et de couleur et
chercha à capter tant des impressions fugitives que des humeurs.
De même, à l’instar des poètes symbolistes qui avaient
développé des sensibilités de perception avec des images qui dépassaient la
simple observation sensorielle, Debussy créa une palette de sons hypersensibles
qui, ultimement, supplantèrent la rhétorique musicale du XIXe siècle.
Rebelle de nature, Debussy, qui n’aimait pas les
compositeurs académiques, n’utilisa que rarement la forme sonate, prédominante
depuis Mozart. « Je suis de plus en plus convaincu que la musique, de par sa
vraie nature, est quelque chose qui ne peut être coulé dans une forme fixe et
traditionnelle, affirmait-t-il. Elle est faite de couleurs et de rythmes. »
Debussy puisa son inspiration dans la musique de Moussorgsky et dans celle qu’il
avait entendue lors de la Grande Exposition Universelle de1889; à cette
occasion, il nota que la musique javanaise employait un contrepoint qui, «
comparé à celui de Palestrina, est un jeu d’enfant. » À la suite d’une brève
avecture avec le wagnérisme, Debussy, comme par défi, se déclara musicien
français. Toutefois, comme Wagner, Debussy conféra à l’orchestre l’importante
tâche de soutenir l’action dramatique dans son opéra Pelléas et Mélisande
(1893-1902), opéra qui ressemblait
plus à un poème symphonique – avec commentaire soutenu par les chanteurs – qu’à
un opéra conventionnel. La méthode harmonique de Debussy, avec l’intervalle de
triton accentuant le libre flottement des accords parallèles, ses centres tonals
vagues ancrés par des pédales, sa sensibilité remarquable au timbre, sa
subtilité orchestrale et ses rythmes élastiques fluides, exerça une influence
énorme sur la musique du XIXe siècle. Son Prélude à
l’Après-midi d’un Faune (1894) et les trois Nocturnes
(1900) lui valurent d’être classé, à la fin du XIXe siècle, parmi les plus
grands compositeurs français de tous les temps.
Collèque et ami de Debussy, le compositeur excentrique et
pianiste de café, Erik Satie (1866-1925), influença Debussy tout d’abord, puis
les compositeurs du groupe des Six qui comprenait, entre autres, Honegger,
Milhaud et Poulenc. Un élément essentiel du modernisme musical français fut de
rejeter le romantisme allemand qui plaçait l’accent sur l’intensité des
sentiments personnels. Satie a écrit : « J’ai expliqué à Debussy que je n’étais
en aucune façon anti-wagnérien mais que nous devrions avoir notre propre musique
et, si possible, sans aucune choucroute. » En composant de courtes pièces
éparses, il a instauré une sorte de musique, quelquefois anti-musicale. La «
musique d’ameublement » était destinée à être jouée, et non écoutée, un peu
comme un papier peint que l’on voit sans véritablement le regarder. Satie était
un dadaïste de la première heure et ses compositions portent des titres
surréalistes tels que Pièces en forme de poires.
Satie représente une rupture totale avec la tradition – un retour conscient au
dépouillement, à la légèreté et à la clarté qui inaugurent une nouvelle ère dans
le style musical francais.
Vienne à l’avant-garde
À la fin du
XIXe siècle, Vienne, en dépit de son noyau conservateur, est un centre
d’activité artistique, grâce à un remarquable groupe d’artistes et
d’intellectuels radicaux. Le psychiatre Sigmund Freud, l’architecte Otto Wagner,
les peintres Klimt et Kokoschka, l’écrivain Hugo von Hofmannsthal et le
compositeur Gustav Mahler (1860-1911) entreprenaient la restructuration des
croyances traditionnelles et posaient les fondations intellectuelles et
artistiques de l’âge moderne.
Le rôle
contradictoire de Vienne comme bastion de la
tradition et foyer de l’innovation a un contrepoint artistique dans le
tempérament complexe de Mahler. En tant que chef d’orchestre à l’opéra, le rôle
de Mahler était de préserver les chefs-d’oeuvre du répertoire; néanmoins, ses
productions furent taxées de révolutionnaires. Comme compositeur, sa production
trahit des tensions similaires entre la nostalgie du passé et une recherche
constante d’idées nouvelles. Mahler s’est limité à la mélodie et à la symphonie.
Son « chant symphonique » est de dimension symphonique avec accompagnement
orchestral élaboré. Dans le massif Das Lied von der
Erde (Le Chant de la terre ) (1907-1908) il exploita l’art de la mélodie,
démontré originellement par Schubert, et ce, à un point tel que tout
développement additionnel était devenu impossible. De même, les quatre premières
symphonies de Mahler, qui, chronologiquement et esthétiquement, appartiennent au
XIXe siècle, sont toutes de dimensions démesurées. Pour Mahler, la symphonie est
un monde kaléidoscopique qui se prête au mélange des styles et des éléments, où
les marches banales, les chants folkloriques, les sonneries de clairon et les
parodies grotesques sont combinées dans un méli-mélo presque similaire au
collage. L’habileté de Mahler à prendre des éléments de diverses sources et à
les intégrer dans une structure dont la signification est inattendue, a amené
certains historiens à le considérer comme l’un des premiers authentiques
compositeurs modernes.
Hugo Wolf (1860-1904), ce rebelle qui mena une vie de
bohème tumultueuse, mourut affligé d’une incurable démence à l’âge de 43 ans.
Dans les 242 mélodies qu’il laisse en héritage, il utilise des courants musicaux
aussi brillants et intenses qu’un rayon laser pour illuminer le texte des
poésies choisies. La partie vocale est souvent déclamatoire avec un
accompagnement au piano caractérisé par la tonalité progressive. Dans une
mélodie de quatre pages de Wolf, les modulations peuvent être aussi nombreuses
que dans un acte complet des opéras de Wagner. En outre, avec le réalisme de
chants tel Zur Warnung, (L’avertissement) dans lequel
il donne une description de la gueule de bois et pousse à sa limite
l’utilisation de la tonalité au XIXe siècle, il anticipe l’expressionnisme de
Berg dans Wozzeck.
Richard Strauss (1864-1949), figure dominante de la
génération post-wagnérienne parmi les compositeurs allemands, a créé une musique
d’une hardiesse et d’une puissance irrésistibles – un symbole musical approprié
à l’esprit expansionniste de l’Allemagne de l’époque. Les poèmes symphoniques de
Strauss Tod und Verklärung (Mort et Transfiguration)
(1889) et Ein Heldenleben (La vie d’un héros) (1898)
sont des compositions brillantes avec des effets de bruits qui révolutionnèrent
le concept de la sonorité orchestrale. Dans Don
Quixotte (1897), le mouvement de vibrations de la langue aux cuivres en
sourdine dans des combinaisons dissonantes reproduit le bêlement de la chèvre.
Après 1904, Strauss a produit deux opéras qui sont autant de pivots de la
musique au XXe siècle : Salomé (1905) et Electra (1908). Ici, on a tourmenté la structure tonale
jusqu’à un niveau d’intensité quasi insupportable.
Dans son Sketch of a New Aesthetic
of Music (1907), Feruccio Busoni (1866-1924), pianiste italien et
compositeur établi à Berlin, fixe les repères des principales voies que la
musique allait suivre. Busoni voulait libérer la musique des pratiques démodées;
pour ce, il proposait d’explorer les possibilités de nouvelles gammes et un
système de microtons. Notons qu’il a même présagé l’utilisation des instruments
électroniques.
En Amérique du Nord, Charles Ives (1894-1954) se
détachait du moule artistique européen. La langue vernaculaire de sa petite
ville du Connecticut – hymnes, chants populaires et patriotiques, marches et
dances – et les expériences musicales de son père ont formé sa conception de la
musique : une forme d’art « ouverte » capable de combiner tous les types de
musique et de les fusionner dans une synthèse supérieure. Son individualisme
marque le commencement d’un mouvement alternatif chez les compositeurs de
musique expérimentale américaine où l’on s’embarrasse peu des précédents
européens.
Les graines de la musique du XXe siècle commençaient à
germer. Il reviendra aux générations futures de greffer les tiges et de cultiver
leur jardin.
Le compositeur John Winiarz enseigne l'histoire, la
théorie et le solfège au Département de musique de l'Université Concordia. Dans
le cadre de l'Année Internationale Chopin 1999, il a récemment produit un
concert « Chopiniana », où l’on donna la première de son Lustro Szopina pour piano.
[Traduction : Agathe Devault]
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