Richard Strauss ou le compositeur de l'Art nouveau Par Jacques Desjardins
/ 1 novembre 1999
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Imprégné de musique dès sa plus tendre enfance, Richard Strauss s'est mis très tôt à l'écriture. Entre 1885 et
1911, il réussit à se bâtir une solide réputation de chef d'orchestre et de compositeur, depuis l'accueil favorable
réservé à ses premières oeuvres orchestrales jusqu'au triomphe de Der Rosenkavalier, son opéra le plus joué.
Cette période correspond à peu près à l'arrivée, en Europe, du style Art nouveau en architecture et en arts
décoratifs, qui se caractérise par l'abondance des ornements et des formes sinueuses, images qu'on peut aisément
associer à la musique de Strauss. Le compositeur affectionnait particulièrement les textures sonores à
l'orchestration imposante et les riches édifices contrapuntiques. Ses détracteurs n'hésitaient pas à l'accuser de faire
usage d'une orchestration « décadente » et de « contrepoint forcé ». Même si des pages entières de sa musique
rebutent encore certains auditeurs, ces accusations sont sans doute exagérées.
Il est vrai qu'avant lui, jamais on n'avait exigé du grand orchestre des traits de virtuosité aussi audacieux que ceux
de son Don Juan. Il est vrai aussi que Strauss souhaitait que l'interprète de Salomé soit « une adolescente de 16
ans avec la voix d'une Brünnhilde ». Mais on lui doit, en revanche, des passages d'une sublime intériorité,
comme dans ses poèmes symphoniques Also sprach Zarathustra et Tod und Verklärung.
Par ses poèmes symphoniques, Richard Strauss se voulait l'héritier naturel de Franz Liszt et il contribua
grandement à faire connaître les oeuvres orchestrales de son illustre prédécesseur. Le compositeur et chef
d'orchestre a d'abord dirigé dans sa Bavière natale, puis partout en Europe, et enfin à New York, où il créa le 21
mars 1904 sa Symphonia domestica. Pas mal, pour un musicien qui n'avait jamais fréquenté de conservatoire ou
d'académie de musique! Il faut dire que son père, Franz Strauss, premier cor à l'Orchestre royal de Munich, lui a
permis dès sa plus tendre enfance d'assister aux répétitions de l'orchestre et même de s'y joindre, à partir du
moment où il a su suffisamment manier le violon. Le jeune Strauss n'a pas mis beaucoup de temps à faire valoir
son talent et des membres de l'orchestre lui ont très vite offert de s'occuper de son éducation en interprétation et en
composition. Le musicien a donc été formé « à l'ancienne », c'est-à-dire de maître à disciple, comme on le faisait à
l'époque de Haydn, Mozart ou Beethoven. Franz Strauss a veillé à ce que son fils ne soit pas « contaminé » par la
nouvelle musique (Wagner) et l'a autorisé à se rendre « jusqu'à » Mendelssohn sur l'échelle de l'histoire.
Mais le fruit défendu attire toujours les jeunes et, à l'âge de 17 ans, Richard Strauss découvre Tristan et Isolde,
de Wagner. C'est le choc immédiat. Cette première rencontre avec la musique de son aîné le persuade de se
consacrer un jour à l'opéra. Après sa brillante période de « poète symphoniste », Strauss écrira au tournant du
siècle deux opéras, Guntram et Feuersnot, avant de faire sensation en 1905 avec Salomé, d'après la pièce
d'Oscar Wilde. L'oeuvre fit scandale un peu partout auprès des élites bien pensantes mais reçut la faveur du
public, qui avait soif de nouveauté. La partition regorge de trouvailles harmoniques qui ne seront surpassées que
dans son opéra suivant, fruit d'une première collaboration avec le poète allemand Hugo von Hoffmanstahl.
Elektra ne parvint pas à répéter le succès de Salomé mais les maisons d'opéra étaient impatientes de le produire.
Ses audaces harmoniques firent dire à Ernest Newman que la musique en était « abominablement laide ».
Heureusement, Elektra fait maintenant partie, depuis peu il est vrai, du répertoire des grandes maisons d'art
lyrique.
Tandis que ces deux opéras traitaient du pouvoir sexuel et de la folie au féminin, Strauss se retira, pour ainsi dire,
dans le confort d'un salon viennois du XVIIIe siècle pour mettre en scène une conventionnelle histoire d'amour,
celle de Der Rosenkavalier. La musique, bien que brillante, ne recèle aucune des audaces harmoniques des deux
précédents ouvrages et laissa perplexes les défenseurs de « Strauss, le maître de l'avant-garde ». L'orchestration,
comme toujours riche et colorée, retourna néanmoins à une sonorité plus sage et plus conforme aux conventions
post romantiques.
On peut se demander pourquoi Strauss a, apparemment, régressé musicalement. Il faut savoir que le compositeur
était nettement conscient de sa place dans l'histoire. Il se voyait comme l'héritier légitime de Wagner et de Liszt et
devait sa notoriété au monde qui l'avait fait, c'est-à-dire à la Prusse et à l'Empire austro-hongrois. Il ne se
reconnaissait pas vraiment dans cette Allemagne et cette Autriche « affaiblies » après la cuisante défaite subie au
cours de la Première Guerre mondiale. On peut concevoir qu'il ait préféré s'en tenir au souvenir de cette époque
glorieuse des empereurs François-Joseph et Wilhelm II. Strauss appartenait à cette aristocratie qui l'avait élevé très
tôt au rang de génie et a peut-être souffert de se sentir hors de son époque au moment de l'émergence de nouveaux
courants musicaux, comme le dodécaphonisme de Schönberg et le primitivisme de Stravinsky. Quoi qu'il en soit,
il n'a jamais connu, après 1914, de succès comparables à celui de Der Rosenkavalier et s'est mis à écrire de
façon plus sporadique. Parmi ses dernières oeuvres, il faut citer les Métamorphoses, écrites en 1945 et surtout les
Vier letzte Lieder, véritable testament artistique. Anachroniques ou non, ses oeuvres majeures continuent de
remplir les salles de concert et d'opéra et n'ont pas pris une ride. English Version... |
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