L'industrie indépendante du disque classique au Québec - suite et fin Par Anne-Catherine Hatton
/ 1 novembre 1999
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Pour compléter le portrait, entamé en septembre dernier, de l'industrie indépendante du disque classique au
Québec, voici un dernier volet qui nous présente, à l'instar des deux précédents, plusieurs compagnies ayant
chacune leur stratégie afin de survivre au sein de l'immense marché dont elles font partie.
« [...] le marché québécois n'étant pas élastique, même s'il s'y consomme plus de musique classique et qu'on y
est davantage porté à encourager ses propres artistes que ses voisins, la conquête des marchés étrangers est une
étape quasi obligée pour qui veut se développer. Pour ce faire, les plans de bataille varient », lisait-on dans le
dernier numéro.
Le flûtiste André-Gilles Duchemin lançait, en 1998 aux États-Unis et en février 1999 au Québec, une nouvelle
étiquette à vocation internationale, Eclectra. Dans son catalogue, qui compte déjà une douzaine de titres, on
retrouve presque autant d'artistes et d'ensembles canadiens - dont l'Orchestre Métropolitain, André-Gilles
Duchemin et son frère Mario, pianiste - qu'américains, notamment l'Orchestre baroque de Cleveland et le Duo
Toth. Pour ceux qui s'étonneraient de la forte représentation de la famille Duchemin au sein du catalogue,
André-Gilles Duchemin précise qu'il ne s'agit que d'un concours de circonstances : pour faciliter le lancement de
l'étiquette, il a préféré utiliser des enregistrements déjà disponibles, dont la qualité garantissait une distribution
immédiate. Cette même pluralité se retrouve du côté de la direction artistique, assurée conjointement par
André-Gilles Duchemin et le violoncelliste américain Andor Toth, ce qui n'est pas chose courante et explique en
partie l'originalité de la vision de cette entreprise. La méthode semble avoir porté ses fruits : le label a reçu un bon
accueil aux États-Unis et une dizaine de titres paraîtront en 1999-2000. « Pour bien servir les artistes d'ici, il faut
leur ouvrir les portes des marchés étrangers, et le meilleur moyen de le faire est de les intégrer à un catalogue
international », conclut André-Gilles Duchemin.
Miser dès le départ sur un catalogue sans frontières, telle a également été la vision d'Alexey Ziskin et de
Jean-Pascal Hamelin lorsqu'ils ont fondé l'étiquette PALEXA en 1996. S'ils avaient une devise, ce serait peut-être
« Place aux jeunes! ». Ces deux fanatiques du piano, constatant que les multinationales du disque préfèrent
souvent resservir au public les mêmes interprètes et le même répertoire qu'il y a 30 ans, et ce, au détriment de la
nouvelle génération, ont décidé de donner leur chance, à l'orée d'une carrière prometteuse, à des jeunes pianistes
doués, qu'ils soient de nationalité canadienne (Lucille Chung, Paul Stewart) ou non (Constantin Lifschitz, Kemal
Gekic, Frank Lévy, Gabriela Montero). Pour financer cet effort de promotion de la relève, PALEXA mise sur sa
collection Documents qui propose des enregistrements historiques et inédits signés par quelques-uns des plus
grands artistes du siècle, comme les pianistes Vladimir Horowitz, Dinu Lipati, Annie Fischer ou Jorge Bolet, ou
encore le violoniste Henrik Szering. Grâce au vif intérêt suscité par cette collection à l'étranger, notamment au
Japon, ainsi qu'au caractère international du catalogue, les portes des distributeurs étrangers s'ouvrent rapidement,
ce qui permet à PALEXA d'accélérer son rythme de production : son catalogue, qui compte une douzaine
d'albums, devrait s'enrichir de cinq nouveaux titres d'ici les fêtes. Le premier disque avec orchestre du label
paraîtra l'an prochain.
Chez SNE (Société nouvelle d'enregistrement), la doyenne des étiquettes de musique classique au Canada née en
1978, le son de cloche est différent. Âgé de 71 ans, son fondateur et directeur, Gilles Poirier, ancien réalisateur à
Radio-Canada et expert de l'acoustique et de la prise de son, assure presque seul la production. Son catalogue de
150 titres offre un bon panorama de la production musicale canadienne. Les revenus sont toutefois insuffisants
pour permettre d'investir dans la promotion. « Je n'aurais jamais pu vivre de cette activité », affirme le directeur de
SNE, dont le cheminement n'est guidé que par son histoire d'amour avec la musique classique - unique secret, à
son sens, pour faire un produit de qualité. « De toute façon, la rentabilité est un but irréaliste pour une maison de
disque québécoise » ajoute-t-il, ce qui ne l'empêche pas d'annoncer la parution cette année, comme d'habitude,
d'une quinzaine de nouveaux titres.
On le voit, les mélomanes n'auront que l'embarras du choix cette saison. Ce foisonnement d'étiquettes et de
nouveautés pourrait-il se retourner contre les artistes et les éditeurs d'ici en provoquant un effritement du marché?
De l'avis de Georges Nicholson, directeur artistique des disques Pélleas - étiquette que nous présentions dans le
précédent numéro -, lui-même discophile, voire discophage impénitent, cette nouvelle abondance aura plutôt un
effet d'entraînement bénéfique. Plus le public aura d'occasions de connaître ses artistes, plus il prendra conscience
de leur excellence, estime-t-il, en concluant avec optimisme « Plus on est de fous, plus on rit. » English Version... |
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