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La Scena Musicale - Vol. 5, No. 3

Marc-André Hamelin et Karina Gauvin : un duo complice

Par Lucie Renaud / 1 novembre 1999

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La relation idéale entre un accompagnateur et un chanteur implique réciprocité et équilibre des forces. Ainsi, les deux musiciens peuvent atteindre des sommets. Une nouveauté sous étiquette Riche Lieu, Fête galante, réunit les stars Marc-André Hamelin et Karina Gauvin dans un duo de très haut niveau.

En solo

Dès ses débuts, la technique phénoménale de Marc-André Hamelin a su rallier l'opinion de la critique internationale. Au fil des ans, son intelligence analytique et sa sensibilité musicale ont fait du virtuose un artiste phare de sa génération. Son imposante discographie de plus de 30 enregistrements l'a couronné grand défenseur du répertoire marginal. Mais malgré son amour pour les trésors oubliés de la musique romantique et néoromantique, il sait apprécier les grands classiques et reste un fervent défenseur de la musique de son temps.

Quant à la renommée de Karina Gauvin, elle ne cesse de croître, tant au Québec qu'à l'étranger. Récipiendaire de plusieurs prix prestigieux, la chanteuse a maintenant dans sa discographie Le petit livre d'Anna Magdalena Bach, des airs d'Egmont de Beethoven, des motets de Vivaldi et des airs de d'Agrippina et d'Alcina de Handel.


En duo

Marc-André Hamelin, un chambriste exceptionnel

Le pianiste se souvient avec précision de son premier récital avec Karina Gauvin en 1989. Les deux musiciens avaient interprété des oeuvres du fils de Mozart, lors d'un concert radiodiffusé en direct dans une salle surchauffée. « Il faisait chaud sur la scena musicale », mentionne-t-il avec un éclat de rire ! Cette première expérience lui a tout de même laissé un souvenir très positif. Karina Gauvin s'est retrouvée une deuxième fois sur sa route en 1995, alors que Marc-André Hamelin était membre du jury du concours Radio-Canada. La chanteuse avait interprété les Illuminations de Benjamin Britten avec brio. Marc-André Hamelin va jusqu'à dire qu'elle « possédait la pièce. Sa voix avait évolué vers quelque chose de grandiose ». Il dit avoir ressenti « des instants de pure grâce ». Maureen Frawley, coordonatrice de l'événement, a alors approché Marc-André Hamelin avec un projet de disque. Après avoir beaucoup jonglé avec leurs horaires, les artistes se sont finalement rencontrés en mai 1999, pour donner naissance à Fête galante.

Lors des répétitions, le pianiste a découvert les capacités vocales et la personnalité de sa partenaire. Il décrit maintenant Karina Gauvin comme « une des plus grandes chanteuses » qu'il ait rencontrées. Quelques suggestions de répertoire viennent de lui : le choix des Deux Poèmes de Louis Aragon de Poulenc, par exemple. (Il est à noter que lorsque nous avons demandé aux deux artistes, sans qu'ils puissent se consulter, de mentionner une oeuvre qu'ils chérissaient particulièrement dans cet enregistrement, la mélodie C a été évoquée par les deux interprètes.) Karina Gauvin ayant éprouvé le désir d'inclure à l'enregistrement des chants d'inspiration folklorique, les Chansons de Vuillermoz se sont ajoutées aux programme, pour le plus grand plaisir de Marc-André Hamelin qui les découvrait, qualifiant maintenant Jardin d'amour de « bijou ». La décision d'intégrer les classiques de Fauré a, elle aussi, été approuvée par le pianiste. « Il est important de transmettre l'oeuvre, même si elle est très connue, comme si c'était la première fois que le public l'entendait. »

Le virtuose qualifie les séances d'enregistrement de « délicieuses », même s'il avoue que la qualité du piano mis à sa disposition le laissait frustré par moments. Un meilleur instrument lui aurait permi de dévoiler les « 37 285 intensités de nuances » nécessaires à sa vision de l'interprétation de Debussy - les 37 283 présentes sur le disque étant déjà fascinantes !

Le rôle de Marc-André Hamelin, dans le contexte de cette rencontre exceptionnelle, n'était pas celui d'un accompagnateur mais bien d'un chambriste. Une communion non verbale a su s'établir entre les deux artistes, chacun devant apprendre à « faire attention à l'autre, à réagir, à s'adapter ». Cette attitude laisse place à l'imprévu, un geste musical de la chanteuse entraînant une réaction du pianiste, et vice versa. Hamelin se dit fasciné par le processus qui transforme le pianiste et la chanteuse en un seul instrument, le piano se fondant dans le son de la voix, la voix épousant le son du piano.

Cette collaboration confirme que Marc-André Hamelin demeure un pianiste exceptionnel, à l'intelligence lumineuse et au jeu raffiné, mais d'une humilité déconcertante. Il reste à souhaiter que malgré son horaire de soliste surchargé, il continue de nous émouvoir par ses dons de chambriste.


Marc-André Hamelin, Karina Gauvin


Karina Gauvin, une complice parfaite

Le projet de disque conjoint qui a donné naissance à Fête galante a longtemps trotté dans l'esprit de la chanteuse. Le choix des mélodies à y inclure s'est parfois révélé ardu, mais certains titres se sont imposés d'eux-mêmes. Bien sûr, Poulenc devait être représenté en cette année commémorant le centenaire de sa naissance. C'est d'ailleurs lors d'un récital Poulenc donné en mars 1999 à la Bibliothèque nationale de Paris avec le pianiste Roger Vignoles qu'elle rencontre Pascale Honegger, la fille du compositeur Arthur Honegger. Charmée par la voix de Karina Gauvin, elle lui fait parvenir le cycle Saluste du Bartas - écrit par son père et créé en 1942 -, partition introuvable de ce côté-ci de l'Atlantique, que la chanteuse s'empressera de mettre au programme. Le choix des mélodies de Debussy, cependant, a été réalisé en étroite collaboration avec le pianiste, au cours de rencontres préparatoires. D'après la soprano, Marc-André Hamelin semblait particulièrement enchanté de travailler ce répertoire très exigeant pour le pianiste, mais aussi très gratifiant musicalement.

Les liens tissés entre les artistes sont presque magiques. Karina Gauvin parle avec beaucoup de chaleur de leur association et insiste sur le fait que leur relation musicale en est une « d'égal à égal ». L'image du pianiste discret qui accompagne la diva tourmentée vole ici en éclats et perd toute sa pertinence. Les oeuvres ont été abordées à deux, chacun se sentant libre d'émettre des suggestions d'interprétation. Leurs conceptions personnelles des mélodies se sont ainsi unifiées en une entité supérieure. Rien n'est venu brimer la spontanéité du processus créatif, les subtilités du jeu du pianiste devenant autant de surprises agréables auxquelles réagissait plus ou moins instinctivement la chanteuse.

Karina Gauvin ne tarit plus d'éloges pour Marc-André Hamelin, qu'elle trouve extraordinaire, mais malheureusement pas apprécié à sa juste valeur : « C'est un trésor national! » affirme-t-elle, alors qu'elle a été plus d'une fois éblouie par la richesse, la profondeur et la subtilité de son jeu. Dès leur première rencontre préparatoire, il a su l'émouvoir profondément, en quelques mesures seulement. Prise d'un fou rire nerveux, la chanteuse a dû s'arrêter. « Cest trop beau! » se souvient-elle avoir déclaré.

La soprano espère pouvoir travailler avec le pianiste à un nouveau projet de disque, dès que leurs horaires respectifs le leur permettront. Nous assistons peut-être ici à l'éclosion d'une complicité unique qui saura combler d'aise les mélomanes.


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(c) La Scena Musicale 2002