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La Scena Musicale - Vol. 5, No. 2

La soprano Suzie LeBlanc de retour à Montréal

Par Dominique Olivier / 1 octobre 1999

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Délicate, simple, sans fard et éminemment attachante : ainsi pourrait-on décrire la soprano Suzie LeBlanc, si l'on n'avait pas l'impression, du même coup, de réduire sa personnalité à une image figée, d'en faire une sorte de madone de la musique des XVIIe et XVIIIe siècles. D'une beauté pure que l'on est porté à associer à quelque chose d'angélique, la chanteuse est pourtant vivante et communicative, valorisant, dans son art, une spontanéité servie par sa grâce naturelle. C'est que son contact à la scène est chaud, toujours vibrant, empreint d'une émotion qui ne doit rien au trac. « Quand j'étais plus jeune, nous confiait la soprano, je trouvais plus facile de chanter devant un public que de pratiquer. Ma voix sortait mieux, j'étais plus détendue. C'est rare, n'est-ce pas? »

Rare, son parcours musical l'est aussi. Sans fausse pudeur, Suzie LeBlanc admet qu'elle a volontiers mis la charrue avant les boeufs, en commençant une carrière de chanteuse professionnelle avant d'avoir étudié le chant de manière approfondie! À huit ans, elle chante dans un choeur en Acadie, sa terre natale. Bientôt, elle sera attirée par la gymnastique, la natation, la danse, tout ce qui lui permettra de bouger. Processus naturel pour une adolescente, puisque sa mère est professeur de chant... « C'est sûr qu'il y avait un filon musical dans la famille, lance en riant la chanteuse. Mais l'opéra, au départ, ça me faisait très peur, je trouvais ça laid! » Entrée dans le monde musical par la porte de la musique ancienne, Suzie n'a pas eu à surmonter sa peur, bien qu'aujourd'hui, elle chante Mozart avec un intense plaisir. « J'ai beaucoup changé, on grandit, mais ce que j'aimais alors, c'était le son pur. N'empêche que petit à petit, on a partagé beaucoup de choses, ma mère et moi. »

En 1976, la famille LeBlanc arrive à Montréal, et c'est alors que Suzie rencontre la musique ancienne. « Je n'en avais pas entendu beaucoup, presque pas en fait. Ça a été le coup de foudre. Un soir, à un concert du Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM), je me suis dit, c'est ça ma musique. C'était comme si je la connaissais déjà. Tout me semblait extraordinaire, je répondais à tout, l'harmonie, la rhétorique, le timbre des instruments, la forme. Ça me rentrait par les pores de la peau. » À partir de ce moment, Suzie se consacre à l'étude du clavecin. Au cégep, elle prend le chant comme instrument second, parce que ça ne lui demande pas d'efforts, afin de pouvoir consacrer plus de temps au clavier. Mais voilà que Réjean Poirier, alors directeur du SMAM, lui demande de chanter dans le choeur du Studio, à l'occasion de son mariage. Par la suite, Suzie chante parfois en solo et forme, avec deux autres chanteuses, un trio baptisé du joli nom de Musica Secreta. Lors d'une tournée dans l'Ouest canadien, une occasion unique lui est offerte. « Un groupe de Vancouver cherchait une soprano. Je me suis demandé si je devais prendre cet emploi, qui était professionnel et presque à temps plein, ou continuer le clavecin. J'ai opté pour le chant, pour apprendre, sur scène, mon travail. »

C'est ainsi que Suzie a pu constater qu'elle était effectivement faite pour le métier. « Je sentais que j'avais la personnalité pour le faire. Mais c'est un choix qui a eu ses difficultés. Se former sur scène, ça amène parfois beaucoup de stress », se souvient la soprano. Après trois ans à ce rythme, elle décide donc d'aller étudier le chant en Europe. « Là, je n'ai pas réussi non plus, enfin, pas comme je l'avais prévu! » Peu de temps avant son départ, la chanteuse reçoit un coup de fil d'Anthony Rooley, le mari d'Emma Kirkby. Celui-ci lui propose de remplacer la soprano britannique pour une période de huit mois, au sein de l'ensemble The Consort of Musicke. « Je n'avais pas le choix, c'était mon chemin, analyse aujourd'hui Suzie. De toute façon, j'étais toujours prête à partir, à foncer, tête baissée. Ça a été un apprentissage à cent milles à l'heure. » Mais cette plongée directe dans le métier n'a pas eu que des avantages. Techniquement, la soprano ne se sentait pas toujours aussi assurée qu'un chanteur rompu aux exercices depuis de longues années. « Des fois, je me levais le matin et je me demandais : "comment ça va sortir aujourd'hui?" C'était très souvent à redécouvrir. Mais chaque soir, il fallait que ça sorte, concrètement. »

Pour remédier à ses faiblesses techniques, Suzie fait ce qui lui a toujours réussi : elle plonge... « En concert, je ne pensais jamais à la technique. Ma façon de travailler, c'était de donner. » Beaucoup plus solide aujourd'hui, alors qu'elle arrive au milieu de la trentaine et qu'elle a réussi, malgré un agenda très chargé, à parfaire sa technique, la chanteuse a gardé de ces années un naturel qui la rend profondément attachante. Si on loue la beauté de sa voix, son agilité et son contrôle vocal, on ne peut rester insensible à la générosité de son geste musical. Avide de découvrir toutes les possibilités d'un texte musical, elle laisse aussi place à tout ce qui peut advenir durant l'interprétation. « Si on ose interpréter quelque chose d'une façon différente en se laissant vraiment aller, on apprend sur soi, sur la pièce, sur les autres musiciens qui sont avec nous. C'est sûr que c'est difficile, mais quand on réussit, le plaisir est supérieur à tous les inconvénients. »

Depuis ses débuts, Suzie LeBlanc choisit soigneusement les musiciens avec lesquels elle travaille. Outre Rinaldo Alessandrini, Ton Koopman et Reinhardt Goebel, elle chante régulièrement avec le luthiste Steven Stubbs, son ancien compagnon, et me cite quelques noms qui lui sont chers : Richard Egarr, Jaap ter Linden, Andrew Manze, Rachel Podger, Paul O'Dette. « Ce sont des gens qui aiment créer d'une façon très spontanée, comme moi, qui n'ont pas nécessairement une façon de faire les choses. Nous vivons la musique de la même façon, avec beaucoup de liberté. »

Muse de Tragicomedia et de Teatro Lirico, deux ensembles européens, Suzie LeBlanc nous avait quittés depuis déjà une douzaine d'années afin de faire carrière à l'étranger. Ayant successivement habité Londres, Brême et Amsterdam, elle chante maintenant sur tous les continents, à l'exception de l'Afrique. Sa discographie, magnifique, recèle de véritables trésors, comme son enregistrement Moulinié sous étiquette Radio-Canada. Sous contrat d'exclusivité pour le solo avec la compagnie Vanguard, elle nous réserve toutefois des surprises chez ATMA cette saison, en particulier avec l'alto Daniel Taylor. Mais la plus grande surprise qu'elle nous réservait est son retour, temporaire ou définitif, à Montréal. Cette saison, on l'a déjà entendue à la Fête de la musique à Tremblant, au Studio de musique ancienne de Montréal, au concert bénéfice de CAMMAC, et on l'entendra encore dans la série CBC McGill, avec l'Orchestre de chambre McGill à deux reprises, au Musée des Beaux-arts de Montréal et même à l'Opéra de Montréal, où elle incarnera Poppée dans le Couronnement de Poppée de Monteverdi, un rôle de maturité qu'elle fera pour la première fois. Bien sûr, la musicienne n'a pas coupé les ponts avec l'Europe, où elle repartira au printemps, entre autres pour chanter Mozart au Concertgebouw d'Amsterdam, en juillet prochain. En attendant, son cri du coeur est clair : « J'avais envie de revenir, de me reposer, de chanter avec mes vieux amis. Ça me fait énormément plaisir! » Et qui sait, peut-être Suzie LeBlanc reviendra-t-elle s'établir définitivement à Montréal, à moins que l'Italie ne nous la ravisse...


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