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La Scena Musicale - Vol. 4, No. 9

Le clavecin apprivoisé

Par Alain Bénard / 1 juin 1999

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De leurs doigts aux prouesses à la fois sages et extravagantes, les clavecinistes d'aujourd'hui apprivoisent leur clavier avec une maîtrise jamais encore égalée. Les fines sonorités de leur instrument cristallisent et actualisent un passé, celui de l'âme du baroque. À l'occasion des Journées du clavecin et du Concours international de clavecin de Montréal, qui se dérouleront sous le signe de la musique française à la salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau du 3 au 6 juin, Catherine Perrin, Geneviève Soly, Hank Knox et Réjean Poirier parlent de cet «instrument-roi». Le clavecin captive en effet un public de plus en plus nombreux tout en comblant les attentes du mélomane curieux de répertoires neufs.

Renaissance

La renaissance actuelle du clavecin procède d'une évolution encore toute récente des écoles d'interprétation qui ont su agir sur la facture et réfléchir sur la pratique de cet instrument. Le claveciniste et organiste Réjean Poirier, doyen de la faculté de musique de l'Université de Montréal, rappelle que ce cheminement a suivi l’avènement des instruments d'époque.

« Jusqu'au début des années 1960, le clavecin revivait avec l'école de Wanda Landowska. Dans une perspective «moderne», toutefois. On ne jouait pas sur des instruments anciens et on redécouvrait progressivement le répertoire. L'approche organologique — la recherche de bons instruments — n’existait pas. De façon générale, le retour aux instruments d’époque s’amorçait à peine et l’on faisait beaucoup de recherche afin de retrouver l'esprit de cette musique. »

Dans ce sens, Geneviève Soly, directrice artistique des Journées du clavecin, souhaite que le public d'aujourd'hui abandonne toute idée préconçue et dépassée qui jouerait en défaveur de l'instrument. « Si le public n'aime pas le clavecin, c'est bien souvent parce qu'il ne le connaît pas, ou encore parce qu'il a gardé souvenir d‘une sonorité d'il y a vingt ans. Or, les instruments d’aujourd’hui sont infiniment plus développés en raison de progrès énormes dans leur facture. De même, sur les plans des interprètes et des styles, tout s'est amélioré. »

L'esprit des lieux

Le clavecin exige beaucoup de ses interprètes. Ils doivent posséder une affinité particulière pour son répertoire de même que le désir de se pénétrer des mentalités et des cultures qui ont été témoins de son apogée aux XVIIe et XVIIIe siècles.

« Cela demande une oreille très attentive et très ouverte sur tout ce qui est nouveau. Pour jouer les différents répertoires, très distincts selon les pays, il faut pratiquement réapprendre une autre langue chaque fois. Il faut être à l'affût de toutes les subtilités appliquées au toucher et à la sonorité. La nature de l'instrument, en lui-même plutôt sec et dépourvu d’artifices pour soutenir le son, fait que tout passe par les doigts. On est ainsi constamment appellé à écouter le résultat pour l'adapter à ce que l'on veut créer. Pour le claveciniste, la création, ou la re-création, est vraiment poussée car ces langages sont très subtils. Je ne conçois absolument pas qu’on puisse exercer le métier d'interprète "baroque" sans une grande culture musicale et historique», explique Geneviève Soly.

Réjean Poirier, pour sa part, croit que qu’une formation de niveau universitaire s'impose dans la mesure où la recherche de manuscrits (une tâche de musicologue) fait partie du travail du claveciniste. Et si l'enseignement de ce côté de l'Atlantique est de nos jours tout à fait adéquat, en revanche le contact avec la culture et les lieux européens enrichit sans conteste la palette artistique de l’interprète.

La part d'audace

Chez le claveciniste, la part de création répond à un certain penchant pour l'audace. À ses indispensables connaissances théoriques, entre autres sur la basse chiffrée, s’adjoint une certaine marge de manoeuvre, apparentée peut-être au jazz. « Rien ne demeure théorique, dit Hank Knox, claveciniste de l'ensemble Arion et professeur à l'Université McGill. Il faut tout réaliser au bout de ses doigts. C'est l'aspect pratique qui m'a fasciné au début. Quand j'ai découvert qu'il fallait improviser sa propre partie, ça m'a allumé tout de suite et ça n’a pas cessé depuis. Nous avons énormément de liberté, ce qui nous incite à nous lancer dans le vide et à prendre des risques. »

Les partis pris de certains interprètes en matière de style et d'interprétation du langage baroque permettent de se positionner face aux diverses pratiques de la musique d'ensemble, dont le clavecin est le point de contact.

« Je respecte beaucoup ce qui s'est fait en Angleterre il y a une dizaine d'années. Mais il n'empêche pas que je trouve aujourd'hui cette approche très froide. Et, même si je trouve celle d'un Fabio Biondi vraiment exagérée, j'admire l'esprit qui l'anime et respecte cet esprit d'explorateur », poursuit Hank Knox.

La quête du temps

C’est la richesse du répertoire qui, pour une grande part, a séduit la claveciniste d'I Musici de Montréal, Catherine Perrin. Sensibilisée très tôt à certains attraits oubliés de la musique française, celle qui vient de signer un très beau disque solo chez Atma s'est d'abord raprochée intimement du langage musical de son instrument: « La littérature du clavecin était une langue qu’il m'était naturel de parler. Faire des phrases, des ornements au clavecin, ça allait avec ma façon de penser, de parler.»

Par delà certains traits archaïsants, la langue toute classique du clavecin prédispose à un dialogue esthétique qui chevauche les époques. Intéressée par la musique contemporaine, Catherine Perrin intègre avec bonheur le répertoire actuel à l'ancien dans le souci et le respect de l'intégrité de l'instrument.

« J’ai pour ambition de faire cohabiter deux mondes. Dans une continuité, je choisis des pièces éloquentes, exceptionnelles, et parfaitement accordées à l'idiome de l'instrument; sans être conservatrices, elles prennent leurs racines dans ce qui est un clavecin. Je tiens à jouer de la musique où le clavecin ne sert pas uniquement de laboratoire sonore mais où le langage est développé de telle sorte qu'il fait sonner l'instrument correctement, de façon généreuse. »

Outre ce qui concerne les divers tempéraments de l'accord de l'instrument ou la maîtrise d'un plectre récalcitrant, la réussite d'un récital de clavecin dépend largement du cadre acoustique. Réjean Poirier fait remarquer que l'une des principales erreurs, au début du mouvement baroqueux, fut de présenter des concerts dans des endroits qui s’y prêtaient mal. Château, petite église ou salle moderne comme Pierre-Mercure, un lieu approprié gagne l'attention de l'auditeur et la porte sur la musique. Comme le souligne Catherine Perrin, le défi est d'apprendre à écouter et à se faire entendre sans avoir à crier mais plutôt par les détours subtils du chuchotement. En fait, le propos actuel du clavecin s’exprime peut-être dans cette fine distinction.


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