À l'écoute des violons solos Par Alain Bénard
/ 1 mai 1999
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Dans le monde des musiciens d'orchestre, les violons solos
semblent faire bande à part. Au-delà du prestige associé à cette fonction, ces chefs
d'attaque sont de véritables médiateurs entre le chef d'orchestre et les musiciens.
Ayant à la fois l'âme d'un soliste et d'un instrumentiste, ces violonistes ont une
position privilégiée dans la poursuite et la quête de l'idéal sonore de leur
orchestre. Martin Chalifour, Denise Lupien, Darren Lowe et Nicole Trotier ont bien voulu
nous entretenir de leur passion, celle de leur expérience.
Travail de groupe
Pour Martin Chalifour, avec l'Orchestre
philharmonique de Los Angeles depuis 1995, le violon solo a un « rôle artistique qui
influence la totalité des cordes, quelque chose qui, en fait, a beaucoup de
répercussions. Une fois les coups d'archet coordonnés, le rôle de leader entre en ligne
de compte, de même que celui de médiateur entre les différentes sections de cordes et
le chef ».
Au chapitre de ces préliminaires et face
au public, ce rôle exigeant comporte aussi une part de travail effectué dans l'ombre.
Violon solo de l'Orchestre Métropolitain depuis sa fondation, Denise Lupien a connu
toutes les implications qui incombent à sa fonction lors de la mise en place d'un nouvel
orchestre, en constituant une bibliothèque, un fonds de partitions à partir duquel
s'élaborent les programmes. « Tout était à rédiger pour les coups d'archet,
signifiant des milliers d'heures de travail. C'est une tâche que seuls les violons solos
connaissent. Elle permet de questionner les styles, les phrasés, ce qui va donner un
meilleur rendement. »
Il va de soi que le rapport entre le
violon solo et le chef d'orchestre se révèle de première importance. Face aux exigences
du chef, de sa conception des styles et des phrasés, une grande connivence et une
réciprocité sont essentielles. Un travail suivi depuis de longues années permet cette
osmose, particulièrement lorsque le musicien est à la base de la constitution d'un
ensemble. C'est le cas de Nicole Trotier, qui, en grande complicité avec le chef Bernard
Labadie, a su définir, depuis sa fondation, le son des Violons du Roy. « Il faut que la
connection soit très grande entre le chef et le violon solo, ce qui n'est pas un
problème aux Violons du Roy. S'il y a des choses plus difficiles, mon rôle est de donner
ou de chercher avec les autres un moyen technique pour atteindre ce que le chef demande.
Chaque musicien a donc sa place, de la latitude pour s'exprimer », souligne-t-elle.
Pour Nicole Trotier, un ensemble
principalement destiné aux musiques baroque et classique comme les Violons du Roy doit
être à la recherche d'une sonorité très ronde et homogène. Sur instruments modernes,
le compromis s'opère donc par des archets d'époque facilitant la clareté d'articulation
en fonction des styles mais aussi de la plénitude du son recherché. À son avis,
l'équilibre a préséance sur toute forme d'excès qui viserait uniquement l'effet.
Le passage des chefs
La présence de différents chefs peut en
revanche modifier considérablement la façon de jouer et la production du son. C'est par
exemple le cas à l'OM, où, contrairement à la conception viennoise d'Agnès Grossmann,
le double coup d'archet satisfait maintenant à la demande d'un son plus généreux
souhaité par le chef actuel, Joseph Rescigno. Ainsi chaque chef doit trouver le moyen de
persuader les musiciens du bien-fondé de sa conception. Pour le violon solo, cela
implique qu'il lui faut parfois trouver une voie médiane, lorsqu'il s'agit de chefs
invités moins persuasifs.
Cette malléabilité des orchestres actuels
est un phénomène pouvant aussi mener à une certaine uniformité. La souplesse et la
capacité d'adaptation des orchestres n'a donc pas que des avantages. « Les orchestres
nord-américains ont tendance à être plus flexibles, à changer au gré du vent, à
s'adapter au fil des chefs, un peu trop, parfois. Face à des demandes très exigeantes ou
un peu extrêmes de la part d'un chef, et pour lesquelles les musiciens ne sont pas tous
convaincus, il faut essayer d'avoir un esprit de corps, de faire en sorte que le tout ne
soit pas livré au détriment de la musique », commente Martin Chalifour.
Pour des orchestres où les instrumentistes
sont issus de différentes écoles de violon, l'homogénéité de la section est
également une affaire de travail de longue haleine. C'est le cas à Los Angeles, où
Chalifour a le bonheur de jouer sur un Stradivarius qui lui est prêté et où l'on compte
aussi beaucoup de virtuoses d'origine russe et chinoise. « L'homogénéité est
une chose que l'on atteint plus difficilement. La qualité principale étant celle de
virtuose, il faut à certains moments analyser nos différences. Voir comment on peut
avoir plus d'homogénéité, c'est un aspect sur lequel notre orchestre doit travailler
plus que d'autres. Par contre, côté talent, lorsqu'un passage est très difficile, par
exemple lors d'un mouvement perpétuel, on peut compter sur la dextérité des musiciens,
même chose pour le rythme, un autre aspect sur lequel j'insiste beaucoup. »
Diriger et se dépasser
Diriger une section de violons présuppose
donc une certaine attitude, une habileté à guider une troupe. Cette part de
responsabilité tient à la personnalité du musicien et s'acquiert avec le temps. « Je
ne crois pas qu'on naît violon solo. Je crois qu'il y a des personnalités qui sont plus
leader, qui ont un sens de l'entraînement. Sentir qu'on peut rallier les gens, les
stimuler, rejoint ma conception d'un sentiment d'équipe plutôt que celui de vedette.
Avec l'expérience, je vais plus pour la musique que pour les solos », constate
Denise Lupien, qui saisit aussi l'importance que le violon solo doit accorder à
l'intuition.
Pour Darren Lowe, avec l'Orchestre
symphonique de Québec depuis une douzaine d'années, la sensibilité du chef sera en
grande partie responsable de la communication qui établira un terrain propice à
l'expression du discours musical. Après une sérieuse mise en place sur le plan
technique, une juste perception de la part des musiciens permettra la concrétisation
d'une émotion au sein de l'orchestre. Qu'il soit soliste, chef de section ou chambriste,
Darren Lowe trouve sa principale motivation à faire de la musique dans le prolongement et
les liens de réciprocité au sein de ses diverses activités. Le fait de pouvoir faire
des correspondances, en « communion » avec son état de musicien et le reste du monde
devient aussi une préoccupation. « Récemment, on a joué la Cinquième Symphonie de
Chostakovitch. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser à ce qui se passe au Kosovo »,
confie Darren Lowe avec grande sincérité. On comprend par ce commentaire que le but de
ce métier, dans sa pluralité, vise autant une sorte de transcendance au sein du groupe,
qu'un accord, une plénitude.
Si on dit parfois que le violon solo est à
l'orchestre ce que la diva est à l'opéra, on débusque aisément ce cliché en
constatant que, s’il semble vrai de l'extérieur, les responsabilités, alliant le
profil d'artiste et l'esprit d'équipe, remettent les choses en place, selon de justes
proportions. English Version... |
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